De vieilles "Eternit" bien encombrantes : le casse-tête des déchets d’amiante liée
La Wallonie manque de solutions pour réduire les déchets de matériaux contenant de l’amiante liée.
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Publié le 23-08-2021 à 09h52
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Que faire des déchets d’amiante liée ? La question n’est pas neuve, mais elle se pose de manière d’autant plus pressante que le gouvernement wallon a choisi d’interdire la mise en décharge de ces déchets dits "ultimes non valorisables" dans deux des quatre centres d’enfouissement technique de classe 2 (destinés à accueillir les déchets dont les caractéristiques ne permettent pas d’envisager le recyclage ou la valorisation énergétique) présents au sud du pays.
Cette décision, en partie fondée sur la volonté de ne pas exposer les populations riveraines de ces décharges à de potentiels problèmes sanitaires, met aujourd’hui en difficulté certaines entreprises actives dans le traitement de ces matériaux.
Pas de danger tant que l’on n’y touche pas
Un petit rappel tout d’abord : l’amiante liée concerne les matériaux dans lesquels les fibres d’asbeste sont emprisonnées et donc non volatiles en l’état. On la retrouve principalement dans les ardoises ou les plaques de toiture ondulée de type "Eternit" dont il reste des milliers de mètres carrés partout dans le pays, mais aussi dans les bardages de façades spécifiques ou encore dans les anciens tuyaux de tubage de cheminée et autres appuis de fenêtre…
"En soi, s'ils ne sont pas dégradés, ces matériaux ne posent aucun danger pour la santé", souligne Damien Verraver, cogérant de la SCRL Retrival, spécialisée dans le démontage, le tri et le réemploi des déchets dont les matériaux de construction. "Les risques apparaissent dès que l'on commence à les manipuler. Quand on les casse, qu'on les troue ou qu'on les frotte, des fibres peuvent se libérer et se disperser dans l'air de manière incontrôlée, ce qui représente un risque non négligeable pour la santé."
Le démontage de ces produits doit donc se faire en respectant un certain nombre de précautions telles que l’arrosage de la toiture avec un produit contenant un fixateur, l’utilisation de combinaisons et de gants jetables, le port d’un masque filtrant, etc. Un travail délicat donc, que les particuliers peuvent effectuer eux-mêmes (de petites quantités collectées dans le recyparcs) mais pour lequel il est recommandé de faire appel à des professionnels agréés et dûment formés.
Une fois collectés, ces déchets doivent ensuite être placés dans des "big bags" spéciaux à double paroi avant d’être évacués par containers pour être mis en décharge de façon durable et sécurisée.
Pas de solution de traitement abordable
Et c'est ce point qui pose désormais problème, explique notre interlocuteur. "À l'heure actuelle, il n'existe aucune autre solution économiquement viable pour traiter l'amiante liée. La seule qui est disponible consiste à recourir à la pyrolyse qui coûte 1 200 à 1500 euros la tonne, mais c'est impayable. Si on impose le recours à cette technique, tout le monde ira balancer ses 'Eternit' dans les bois et les fossés. C'est la raison pour laquelle on les met en décharge, avec un coût d'évacuation qui tourne autour de 60 à 70 euros la tonne."
Le problème, c'est que les deux principaux CET qui étaient agréés pour ces déchets (celui de Monceau-sur-Sambre et celui de Wauthier-Braine) n'ont désormais plus le droit de les prendre en charge, et que les options alternatives font aujourd'hui défaut. "Les deux autres, implantés à Hallembaye en province de Liège et à Habay-la-Neuve en province de Luxembourg, sont submergés de demandes et refusent désormais d'accepter des produits qui ne viennent pas de leur province. Il n'y a donc plus de solutions pour gérer les déchets d'amiante liée en région namuroise, dans le Brabant wallon et le Hainaut, si ce n'est de se tourner vers de gros opérateurs qui vont les envoyer dans des CET… en Flandre pour des tarifs deux à trois fois supérieurs à ce que l'on doit payer pour une mise en décharge en Wallonie", déplore Damien Verraver.
Une situation qui le pousse à refuser certains chantiers et qui est contraire aux principes d’autosuffisance et de proximité de traitement des déchets inscrits dans le "Plan wallon des Déchets-Ressources".
En outre, regrette encore notre interlocuteur, faute de contrôles suffisants du respect des procédures de démontage sur le terrain, son entreprise se trouve confrontée à la concurrence déloyale d'opérateurs qui cassent les prix et n'exécutent pas ces travaux sensibles dans les règles de l'art. "On peut d'ailleurs se poser la question de savoir où se retrouvent les déchets collectés par ceux-ci ?", s'interroge-t-il.
Un retour temporaire dans les CET ?
Au cabinet de la ministre wallonne de l'Environnement, Céline Tellier (Ecolo), on explique être bien conscient de cette problématique et qu'un travail est en cours pour "identifier la mise en place de solutions les plus structurelles possible. Une petite dizaine de pistes sont à l'étude".
Parmi celles-ci figure notamment la constitution de réserves de sécurité. Faute d'autres options de traitement en Région wallonne, le gouvernement pourrait "établir une liste d'installations tenues d'accueillir, dans des circonstances exceptionnelles, et à concurrence de certaines capacités ou quantités, des déchets de ce type". Dans les CET de classe 2, aptes à les recevoir en l'occurrence. Une formule qui "permettrait de garantir temporairement une solution répartie sur le territoire tant pour les déchets provenant de recyparcs que pour les déchets générés par les chantiers ou collectés par les opérateurs privés".
Les capacités de stockage temporaire de déchets d'amiante-ciment "dans les centres de tri et de regroupement de ces déchets peuvent également être investiguées, afin d'évaluer quelles sont les possibilités de 'stockage tampon', le temps de dégager des solutions structurelles pour la mise en CET ou le développement d'alternatives de traitement", complète le cabinet.
D'après les premières estimations qui ont été réalisées, poursuit la porte-parole de Mme Tellier, les deux CET encore agréés ne sont pas saturés. Et leurs capacités résiduelles devraient permettre d'accueillir les déchets d'amiante liée "pendant au minimum une dizaine d'années, moyennant certaines adaptations techniques et réglementaires qui sont à l'étude".
En outre, certaines nouvelles mesures qui sont en train de se mettre en place - en matière notamment d’obligation de tri des déchets dans les entreprises ou d’interdiction de mise en CET de certains autres types de rebuts - devraient permettre de libérer une capacité d’accueil de déchets ultimes dans les prochaines années.
Quoi qu’il en soit, conclut le cabinet Tellier, sur le long terme, la solution n’est certainement pas l’enfouissement. L’objectif du gouvernement est de favoriser et de faciliter rapidement le déploiement à l’échelle industrielle des projets pilotes de valorisation des déchets amiantés, qui font actuellement l’objet de recherche en Wallonie et ailleurs.