On les retrouve dans l'air, les aliments, l’eau, les vêtements… Quels sont les effets des microplastiques sur la santé humaine ?
La Flandre a réalisé une première étude quantifiant les microplastiques dans les eaux de surface. Les effets de ces particules sur la santé humaine sont encore inconnus. Mais la science s’empare de la question.
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Publié le 10-09-2021 à 06h33 - Mis à jour le 10-09-2021 à 17h03
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Selon une étude américaine, un être humain consomme environ 70 000 particules de plastique de tailles diverses par an (ingestion et inhalation). Les principales sources sont l’air, bien devant les produits de la mer et l’eau en bouteille. Pour quelle toxicité ? En bref, on n’a pas de réponse pour l’instant, mais la communauté scientifique s’active (de plus en plus) à le déterminer.
"Les recherches sur le sujet ont démarré il y a très peu de temps, fortes des constats qui ont été faits sur les organismes marins, explique le biochimiste Guillaume Duflos, spécialiste des microplastiques etchercheur à l'Anses, l'agence de sécurité sanitaire en France, dans le cadre d'une récente conférence de presse organisée par le CNRS sur le thème "Océan et plastiques". On a pu démontrer l'impact des microplastiques sur les moules, les huîtres, etc. Et donc la question, par voie de conséquence, est apparue concernant l'homme. En sachant que faire ce transfert n'est pas si simple. D'autant que chez l'homme, les sources d'exposition sont relativement différentes. On démontre cinq sources d'expositions pour l'homme : les vêtements que l'on porte, l'air que l'on respire, qui peut aussi contenir des particules de plastique, les cosmétiques, l'alimentation (car certains aliments peuvent être contaminés par des microplastiques) et enfin via des actes médicaux, même si on est là sur une action très positive. Il faut donc intégrer toutes ces voies d'exposition pour savoir s'il y a un réel danger pour l'homme. Le danger n'est pas si simple à établir : en fonction des tailles et la quantité présente, plus on va vers de petites tailles, plus ces 'nanoplastiques'(les nanoplastiques sont des particules sont comprises entre 1 et 100 nanomètre, 1nanomètre = 1 milliardième de mètre NdlR) peuvent aller loin, et potentiellement, je dis bien potentiellement, peuvent créer des dommages. C'est un vrai challenge pour les années à venir. Je ne peux pas apporter de réponse directe toxique/pas toxique. Je pense qu'il faut être mesuré pour l'instant. En tout cas, on peut retenir, pour l'humain, qu'on a globalement une exposition plus importante par l'air que l'on respire que par l'alimentation ou la consommation d'eau par exemple. Mais le challenge est de voir la toxicité. Des appels à projets européens ont été lancés en 2020 pour mobiliser la communauté européenne et internationale sur la toxicité de ces microplastiques vis-à-vis l'homme." Les premiers résultats sont attendus d'ici 3 à 5 ans, selon Guillaume Duflos qui signale que de gros projets de recherche démarrent.
Souris et poisson zèbre
Pour ces études, pas question de forcer des êtres humains à manger du plastique pour étudier sa toxicité. Pour faire le transfert homme-animal, on étudie notamment les souris, à qui on fait ingérer des particules de plastiques avant d'examiner les impacts, par exemple au niveau des différents endroits de l'intestin. D'autres tentent d'étudier l'impact des particules de plastiques sur le microbiote. Des études sont aussi faites sur les selles humaines, en y ajoutant des particules de plastique pour voir si cela modifie la composition du microbiote. Des recherches peuvent aussi être réalisées au niveau cellulaire afin d'étudier la toxicité cellulaire.Outre les souris, un autre animal désormais très utilisé en toxicologie est le poisson-zèbre. "Il se rapproche de l'humain, c'est un vertébré et la plupart des fonctions physiologiques du poisson sont similaires à celles de l'homme et régulées de la même façon", explique Patrick Kestemont, professeur d'ecotoxicologie à l'Université de Namur, qui utilise cet animal dans les études qu'il est en train de lancer avec plusieurs de ses chercheurs (doctorants et post-doctorants), afin d'évaluer les impacts des microplastiques sur l'environnement au sens large, et donc y compris l'homme.

"Les microplastiques font partie des problématiques environnementales émergentes.Ce sont des polluants auxquels on commence seulement à s’intéresser, ils étaient déjà dans l’environnement, mais on les avait en fait un peu négligés (essentiellement pour des raisons de complexité analytique et de monitoring)."
Les microplastiques, qui peuvent être primaires (créés ainsi) ou secondaires (résultant de dégradation au cours du temps) peuvent agir de deux façons : soit directement, ou indirectement car ils vont être colonisés par des composés. Par exemple des microfilms bactériens se déposant sur les surfaces des microplastiques, une série de composés chimiques du moins toxique jusqu’à l’extrêmement toxique, tels que des PCB, dioxines… Les microplastiques possèdent une surface hydrophobe qui permet d’absorber ces composants.
"Le microplastique sert en quelque sorte à les fixer, continue Patrick Kestemont. Si vous ingérez ces microplastiques, vous ingérez ces substances qui se trouveraient normalement beaucoup plus diffuses dans l'environnement. Ce qu'on sait, via les études sur les animaux, c'est que les microplastiques peuvent déclencher des processus oxydatifs, et eux-mêmes, en termes de santé humaine ou animale, peuvent avoir des effets au niveau cancer, notamment. Et en cela, ils peuvent agir de manière directe. Ils peuvent aussi perturber le microbiote intestinal. Au laboratoire, nous commençons à étudier la question suivante sur le poisson zèbre : de quelle manière les microplastiques sont-ils capables d'être internalisés (pénétrer dans l'animal, se retrouver dans le tube intestinal, et au final perturber l'intégrité du microbiote, avec des effets sur les systèmes immunitaires, intestinal…)." Selon la taille des particules, elles peuvent être évacuées comme excréments ou pénétrer dans l'organisme, dans le sang et véhiculé dans différents organismes. Ainsi, chez le poisson zèbre, on observe en laboratoire, à une certaine taille, des particules de plastique, dans leur cerveau.Elles sont visibles au microscope électronique.

Et en Wallonie ?
Pour la santé humaine, une étude telle que celle quantifiant en Flandre les concentrations dans les eaux de surface constitue en fait une première étape. "Il faut encore compléter cela, multiplier les sites, les moments de prélèvement etc, mais à partir du moment où on a des chiffres valables, on peut prédire les concentrations dans le milieu. Ensuite, on étudie à quelles concentrations ces particules déclenchent des effets, sur des organismes modèles, explique le Pr Kestemont. On soumet ceux-ci à des concentrations environnementales, et également plus faibles, et plus fortes. On détermine alors la Noec, la concentration maximale où on n'observe pas d'effets. Pour l'homme, par rapport aux poissons zèbres par exemple, on estimera que cette Noec doit être dix fois plus basse(on prend un facteur de précaution). Ce sera la 'concentration maximale qui n'entraîne pas d'effet prédit'. En comparant celles-ci et les valeurs prédites dans l'environnement, on saura s'il y a un risque environnemental ou pas."
Selon le Pr Kestemont, "il est évident" que la Wallonie devrait mener la même étude qu'en Flandre, afin de commencer à pouvoir connaître les concentrations de microplastiques dans les eaux de surface et l'environnement. "Mais je ne veux pas jeter la pierre au SPW : le nombre de substances à doser dans l'environnement est devenu exponentiel, et ces études coûtent cher.Avant des programmes de surveillance régulière, on peut commencer par des sondages, pour voir vers quelles concentrations on se dirige. Il faut aussi avoir les connaissances des effets de ces concentrations."
Du côté du Service public de Wallonie, on confirme qu'il n'y a pas de mesure de microplastiques dans les eaux de surface. "Quant aux eaux de distribution, ces particules ne se retrouvent pas dans les eaux distribuées sachant qu'elles sont incapables de traverser les sols pour atteindre les eaux souterraines et que les filtres à sable installés après décantation sur les stations de traitement d'eau de surface retiennent parfaitement ces particules." Des projets sont en cours pour étudier les microplastiques et leur présence en Wallonie. Entre autres, via l'Institut scientifique de service public, chez les poissons, dans les sols et boues, et afin de diagnostiquer l'efficacité des stations d'épuration à traiter ces particules.