Cop 26 : "Ce n’est pas aux jeunes de porter la charge mentale de l’action à mener" sur le climat
La chercheuse Valérie Masson-Delmotte, qui a participé au dernier rapport du Giec, espère que la conférence sur le climat de Glasgow permettra une coordination internationale pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre, et appelle à construire un dialogue entre générations sur la question climatique.
- Publié le 02-11-2021 à 09h26
- Mis à jour le 02-11-2021 à 11h59
Valérie Masson-Delmotte est physicienne et chercheuse en sciences du climat. Elle a notamment participé au dernier rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Alors que s’est ouverte ce lundi la COP26 à Glasgow (Ecosse), elle revient sur les principaux enjeux de la lutte contre le réchauffement climatique, tout en abordant la présidentielle et le mouvement des jeunes pour la planète.
Concrètement, que va-t-il se décider lors de la COP26 ?
C'est le moment de faire le point sur l'ambition affichée par les différents pays à l'horizon 2025-2030, formulée avant la COP21 [qui s'est déroulée en France en 2015, ndlr]. A l'époque, l'accord de Paris avait déjà pointé que la somme des promesses des Etats n'était pas tout à fait cohérente avec les trajectoires permettant de limiter le réchauffement largement en dessous de 2 degrés. De plus, la question de l'aide aux pays en voie de développement devrait être abordée durant la COP26, que ce soit pour leur permettre d'accéder plus rapidement à une énergie propre ou pour l'adaptation aux conséquences qui sont déjà là : un climat qui change du fait du cumul historique des émissions de CO2 en particulier. Un plan d'action suggère ainsi de tenir l'objectif de 100 milliards de dollars d'aides.
Qu'attendez-vous de cette COP de votre côté ?
Le dernier rapport du Giec, publié au mois d'août, montre que pour limiter le réchauffement à venir, il est essentiel de réduire les émissions de CO2. C'est la première condition pour arriver à stabiliser le réchauffement climatique. Le rapport montre aussi les bénéfices à diminuer rapidement et fortement les émissions de méthane. Pourquoi ? Car c'est un puissant gaz à effet de serre (GES) qui contribue à la formation d'ozone en surface, et sur lequel on a encore le plus grand mal à agir. Enfin, les connaissances sur les évolutions futures du climat peuvent être mieux utilisées avant que les changements ne se produisent.
Cela permettrait d'anticiper des tendances, des extrêmes plus fréquents et plus intenses, des saisons nouvelles dans des régions qui n'en ont pas encore fait l'expérience. Aujourd'hui, la plupart des stratégies d'action sont faites en regardant dans le rétroviseur. On court derrière le climat qui change. C'est le cas par exemple pour l'élaboration des plans de prévention des risques inondations. Je l'ai vu dans l'Essonne, où des écoles sont construites en ne prenant en compte que les intensités des vagues de chaleur d'il y a une vingtaine d'années. On a dépassé 40 degrés en juin 2019…
Pensez-vous que ces grandes messes internationales sur le climat et la biodiversité sont utiles ?
Si on n’avait pas la convention-cadre des Nations unies pour le climat, est-ce que les choses avanceraient ? Est-ce qu’il y aurait à un moment un socle commun sur lequel on puisse s’appuyer pour définir si l’action de tel ou tel pays est à la hauteur ? Je n’en suis pas sûre. Est-ce qu’il y aurait de l’émulation ? Est-ce qu’il y aurait des alliances de certains pays plus avancés, de certaines entreprises ? Je ne sais pas.
Pour moi, cette coordination internationale permet de faire le point régulièrement. De constater ceux qui sont aux avant-postes, qui agissent mieux et avant les autres. Et à l’opposé, ceux qui ne font rien et ne sont pas à la hauteur de leur capacité à agir et de leur responsabilité historique. La vraie difficulté, partout dans le monde, c’est d’arriver à construire des changements structurels permettant d’obtenir le plus rapidement possible une baisse importante des émissions de gaz à effet de serre qui se reflète au niveau mondial. Cela va bien au-delà des COP et touche à la mise en œuvre d’actions ayant un effet rapide et de grande ampleur.
Est-il possible d'agir sur le climat sans l'implication des gros pays émetteurs tels que la Chine, responsable de plus d'un quart des émissions mondiales, mais aussi l'Inde et les Etats-Unis ?
Historiquement, les Etats-Unis ont le plus grand cumul d’émissions de CO2. Les Américains ont exprimé une ambition renforcée, mais il n’y a pas encore le plan d’action qui va avec. La Chine est quant à elle le premier émetteur mondial aujourd’hui. C’est un pays centralisé qui a la capacité à mettre en place des stratégies d’action à long terme. Actuellement, ce qui se met en place en Chine semble beaucoup plus structurant qu’aux Etats-Unis.
L’Inde est quant à elle très vulnérable aux conséquences climatiques, ne serait-ce aux modifications de moussons par exemple. C’est un pays immense qui a une population pauvre, avec des besoins d’accès à l’énergie dans les zones rurales immenses et des problèmes majeurs de pollution atmosphérique.
Si on baisse lentement les émissions dans les pays riches, mais qu’elles continuent à augmenter dans les pays émergents, on dépassera 2 degrés en 2050 et 3 degrés le siècle suivant. Ça demande beaucoup de volonté politique et d’habileté pour construire des transitions sans que ce soit perçu comme antisocial et sans que cela ne torpille l’activité économique.
Impossible toutefois de dicter l’agenda d’un autre pays…
On ne peut pas interdire à l'Arabie Saoudite de vendre son pétrole. Mais nous, on peut faire en sorte d'en être moins dépendant. On a des solutions pour arriver à décarboner les mobilités. Est-ce que c'est vraiment valorisé ? Est-ce que c'est quelque chose qu'on met au cœur des politiques publiques ? Sur les voitures, je pense que les pouvoirs publics pourraient être plus proactifs, vis-à-vis du poids des véhicules, et en communiquant plus largement sur leur cycle de vie et leurs émissions de gaz à effet de serre.
Par ailleurs, en France, 50 % des émissions par personne proviennent de ce qui est importé d’autres pays, souvent utilisateurs du charbon ou qui ont une déforestation importante pour leurs activités agro-industrielles. La question est de savoir comment le non-respect des engagements s’intègre dans les accords commerciaux, en particulier entre l’Union européenne et les autres régions du monde.
Quels sont les leviers les plus importants en matière de lutte contre le réchauffement climatique ?
C'est un ensemble. Pour le CO2, c'est bien sûr la question énergétique qui n'est pas la même selon les pays. Il est essentiel de décarboner en priorité la production d'électricité, les transports, le chauffage, sortir le plus rapidement possible de l'utilisation du charbon, du pétrole, et réduire l'utilisation du gaz fossile. Il y a également des enjeux majeurs à protéger les écosystèmes riches en biodiversité qui stockent du carbone et à restaurer les terres dégradées. S'atteler également à décarboner la production alimentaire qui utilise des engrais azotés et à réduire les émissions de méthane, en particulier en lien avec les ruminants. Les leviers d'action doivent porter sur les pratiques agricoles, mais aussi sur le renforcement de la part des protéines végétales dans notre alimentation. Enfin, les villes jouent un rôle important sur l'économie circulaire, l'efficacité énergétique, les mobilités.
Avec de tels enjeux climatiques, cette élection présidentielle est-elle plus importante que les autres ?
Chaque élection est importante et en particulier les phases avant l'élection, où les projets, les programmes d'action sont construits. Sont-ils cohérents avec la stratégie nationale bas carbone ? Pour l'atteindre, le rythme de baisse des émissions de gaz à effet de serre à partir de 2024 devrait être multiplié par trois et toucher des secteurs qui, pour l'instant, contribuent peu, en particulier le secteur de l'agriculture. Comment être plus efficace à court terme à l'horizon 2022-2027 ? J'ai suivi les programmes présentés pour les élections municipales et régionales, c'était plutôt frustrant sur ce point…
Pourquoi ?
Les journalistes politiques qui mènent les débats devraient être un peu plus formés sur les enjeux climatiques, qui sont souvent peu ou mal abordés dans ces moments-là… Les questions ne devraient pas être «est ce que vous croyez au réchauffement climatique ?» mais plutôt «que proposez-vous pour tenir les engagements de la France, et agir sur notre responsabilité historique et nos capacités ?» ou «quels sont vos plans d’action pour limiter les risques liés au climat, quelle est votre stratégie d’adaptation ?» Pour l’instant, le niveau des débats politiques sur ce point reste souvent très mauvais.
Que pensez-vous du rôle croissant de la jeunesse dans la mobilisation pour la planète ?
Je rencontre en permanence des jeunes femmes et jeunes hommes qui ont bien compris les enjeux, et qui acquièrent des compétences solides pour agir. C'est vraiment impressionnant. Je pense néanmoins que ce n'est pas aux jeunes de porter la charge mentale de l'action à mener. Je comprends leur colère et leur désarroi devant l'incapacité des dirigeants à agir. Plusieurs fois, j'ai entendu des personnes d'un âge certain, avec des fonctions à responsabilités, dire «tout va bien puisque c'est dans l'éducation des plus jeunes». On se désengage de notre responsabilité et du courage qu'on doit avoir à dire les choses.
Comment sensibiliser les autres générations au problème climatique ?
Quand on a 50 ou 60 ans, se projeter en 2050, intégrer un climat qui change, comprendre l'enjeu à aller vers des émissions zéro CO2 net, ce n'est pas évident. La phrase la plus douloureuse que j'ai entendue dans un lycée suite au mouvement des jeunes pour le climat : «Je n'arrive plus à parler à mon grand-père, il est climatosceptique.» Il faut construire un dialogue pour ne pas opposer les générations.
On entend souvent : «J’ai voulu juste faire bien.» Il y a un problème de culpabilisation, des gens de bonne volonté, qui ont fait ce qu’on attendait d’eux pendant toute leur vie. A un moment donné, on dit qu’il faut faire autrement pour se déplacer, manger, s’éclairer… C’est sûr que c’est plus facile d’engager des changements profonds quand on démarre sa vie, que lorsqu’on l’a déjà construite, qu’on a des habitudes.