Des satellites pour mesurer les émissions de CO2 : "Pas pour fliquer les pays, mais les aider à réduire leurs émissions"
D’ici à 2026, l’Europe disposera d’un système de surveillance des émissions de CO2 d’origine humaine. "Le but est d’aider les pays à savoir si ce qu’ils rapportent correspond bien à ce qu’on observe dans l’atmosphère". Il y a des abus dans les inventaires.
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Publié le 22-12-2021 à 14h43 - Mis à jour le 22-12-2021 à 14h44
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Lors de l'accord de Paris en 2015, 192 pays ont promis de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et de faire des rapports sur leurs progrès de manière transparente et cohérente. Bien qu'il existe des lignes de conduite pour ces inventaires et cette surveillance de ces émissions, ces rapportages ont franchement leurs limites : impossibilité de comparer les pays car les méthodes diffèrent, difficultés de mesurer certaines sources, ou même abus de la part de certaines nations. Ainsi, une récente enquête du Washington Post basée entre autres sur les travaux du réputé climatologue Philippe Ciais montre qu'il y a un grand écart entre les émissions que déclarent les nations et ce qui est envoyé réellement dans l'atmosphère: jusqu'à 13, 3 milliards de tonnées de gaz à effet de serre à l'année en plus. Mais il y a peut-être une solution : les satellites.
Une constellation de trois satellites
D'ici à 2026, les scientifiques de Copernicus, système d'observation de la Terre de la Commission européenne, seront en effet capables d'estimer et de mesurer les émissions d'origine humaine de CO2 et de méthane dans l'atmosphère, "avec une qualité de détails, de précision et de couverture sans précédent", viennent-ils d'annoncer. De nouveaux satellites seront ainsi capables d'observer jusqu'aux sources individuelles de CO2 et de méthane, comme les centrales et les sites de production de carburants fossiles. Parallèlement, ces observations seront assimilées, avec bien d'autres données de sources d'émissions disponibles à travers le monde, dans des modèles de simulation numérique de l'atmosphère, pour quantifier les émissions quotidiennes de CO2 d'origine anthropique.
"Dans les inventaires, quelques pays pionniers utilisent des mesures de l'atmosphère depuis le sol, nous détaille Vincent-Henri Peuch, patron du Copernicus Atmospheric Monitoring Service (Cams). M ais il n'y a pas encore de satellites avec une précision suffisante. Il y a l'Orbiting Carbon Observatory-2, un satellite américain qui commence à donner des informations intéressantes et que nous utilisons, mais ce n'est pas encore complètement suffisant pour répondre aux besoins dans le cadre de l'accord de Paris, c'est-à-dire d'avoir des informations à l'échelle des pays. Pour des pays énormes comme la Russie, cela suffit peut-être, mais pour des pays comme la Belgique, les Pays-Bas ou le Luxembourg il faut des systèmes qui ont beaucoup plus de résolution."
Les trois nouveaux satellites, les CO2M, auront une résolution de deux kilomètres sur deux kilomètres et mesureront le méthane, le CO2 ou encore le dioxyde d'azote (NO2), un polluant de l'air. "Pour mesurer les émissions nouvelles de CO2, il faut une très grande précision, souligne Vincent-Henri Peuch. C'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin, parce qu'on regarde 1 % du total : les émissions nouvelles. Quand on mesure du CO2, on ne peut pas distinguer s'il s'agit de CO2 fraîchement émis ou déjà dans l'air depuis des dizaines d'années, car ce gaz s'accumule pendant près d'un siècle dans l'atmosphère. En revanche, le NO2 est un gaz à très courte durée de vie. Il est émis, réagit dans l'atmosphère et se dépose en moins d'une journée. Or, les combustions qui émettent du CO2 émettent aussi du NO2. On pourra regarder avec le NO2 les zones qui sont à moins d'une journée de vol des zones d'émissions et savoir où se trouve potentiellement le CO2 fraîchement émis."
Concrètement, "le but est d'aider les pays à savoir si ce qu'ils rapportent correspond bien aux lois de la physique, avec ce qu'on observe dans l'atmosphère. En Europe, il n'y aura probablement pas de découvertes extraordinaires, mais dans d'autres pays il peut y avoir des choses importantes. Cela ne va pas remplacer le travail d'estimation des émissions. Ces inventaires élaborés par les pays, nous les utilisons dans les modèles. C'est notre base de départ, notre ébauche. On les met dans le modèle, on calcule quelles devraient être les concentrations dans l'atmosphère, on compare avec les concentrations satellitaires et on regarde de combien il faudrait modifier ces émissions pour coller avec les observations. Nous dirions : 'notre système montre une incohérence et, pour être cohérent, il faudrait remonter les émissions sur la Belgique de 12 % (par exemple) et spatialement, cela se situe comme ceci''."
Forcer à la transparence
Vincent-Henri Peuch tient à insister : l'idée n'est pas de "fliquer" les pays. Faire l'inventaire des émissions n'est pas simple, d'où les sous et surestimations. "Sans forcément qu'il y ait mauvaise intention des pays engagés dans le processus de Paris. Il y a des choses qu'on sait, par exemple, pour un pays comme la Belgique, il y a les achats de pétrole, de gaz, de charbon… Des choses incertaines, comme certaines activités qui émettent du CO2, et on est obligés d'extrapoler à partir de campagnes de mesures à certains pays…."
Cependant, en pratique, un tel monitoring forcera les États à la transparence, convient-il. "On aura des données, nos collègues chinois et américains aussi (il y a des projets aux États-Unis et en Asie, mais pas avec les mêmes niveaux de précision), et c'est là que cela deviendra difficile pour un pays. S'il y a une volonté délibérée de minimiser les émissions de CO2, la tâche sera un peu plus compliquée."
Ces données scientifiques constitueront aussi un élément de base de la discussion internationale, sans la remplacer. "Mais on peut avoir une base de discussion vraiment homogène - c'est un service global - sur l'ensemble de la planète. Et cela permettra de déplacer le débat, en laissant de côté le débat méthodologique - 'ma méthode est mieux que la tienne, etc.'"
En outre, ce système CO2 MVS fournira un autre service qui devrait fortement intéresser les pays, pense-t-il : déterminer si les mesures prises montrent réellement des effets. Chose extrêmement difficile à établir par un simple rapportage.