Quand les pays trichent sur leur bilan climatique : des milliards de tonnes de pollution "oubliées"
Il y a des abus dans les inventaires.
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Publié le 22-12-2021 à 14h44
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Jusqu'à 13 milliards de tonnes de gaz à effet de serre annuelles passées "au bleu" dans les rapportages officiels nationaux de 196 pays. C'est le résultat auquel sont arrivés le climatologue Philippe Ciais et d'autres scientifiques, en collaboration avec le Washington Post. "On a comparé les inventaires réalisés par les pays avec ceux réalisés par la communauté scientifique et des organisations internationales. On a trouvé que la somme des émissions des déclarations des pays est plus faible que les inventaires scientifiques, nous explique le chercheur du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives en France. Ces inventaires par pays ont une approche par activité, par secteur et les pays multiplient cela par un facteur d'émission. On obtient ainsi une émission globale. Les pays en développement n'ont pas de bonnes données, donc il leur est facile de se tromper. D'autre part, les pays choisissent un peu leur méthode, la valeur de leur facteur d'émission. Et, très clairement, ce n'est peut-être pas un hasard, ce sont plutôt les inventaires des pays qui extraient du gaz et du pétrole, d'Asie centrale, du golfe Persique qui apparaissent inférieurs aux inventaires scientifiques indépendants. Je pense que, volontairement, ils prennent un facteur d'émission, comme ils ont le droit de le faire, qui est très petit."
Les forêts de Malaisie poussent cinq fois plus vite
Ce n'est toutefois pas dans ces sources de CO2 fossiles que se logent les plus grandes erreurs. "Les émissions de CO2 technologiques, industrielles, sont assez bien connues, à 5-10 % près, indique Philippe Ciais. Les endroits où il y a beaucoup de sous-estimations sont le méthane, le protoxyde d'azote ainsi que le CO2 lié à ce qu'on appelle l'usage des terres : les forêts, les prairies, la déforestation… Parce qu'il est plus incertain de s'assurer de ce qui est perdu, ce qui est gagné… Les plantations créent des gains de carbone, la déforestation crée des pertes. Certains pays font les deux en même temps : la Malaisie, le Brésil… Et, en fonction de la façon dont ils font leurs calculs et fixent leurs taux de gain et de perte par unité de surface, ils peuvent avoir envie, comme visiblement la Malaisie, de sous-estimer les pertes et de surestimer les gains, pour avoir un bon bilan carbone. Il y a des vérifications internes, mais ces auditeurs sont plutôt des notaires qui regardent si les fiches sont remplies. Un auditeur ne peut pas dire : 'Malaisie, c'est bizarre que votre gain de carbone en forêts soit cinq à six fois plus élevé que les pays voisins, il n'y a pas de raison que les forêts en Malaisie poussent cinq fois plus vite que les autres à côté…'"
Or, dans le cadre de l'accord de Paris, ce sont les déclarations des pays qui font foi et sur lesquelles se basent les engagements de diminution des gaz à effet de serre. "Et 30 % de 300 tonnes cela fait un meilleur résultat que 30 % de 270 tonnes, par exemple… Si les émissions actuelles sont fausses ou un peu biaisées, tout ce qu'on discute après, lorsqu'on fait des calculs savants - on réduit le méthane de 25 %, le CO2, de 30 % et après 50… -,si vous faites un pourcentage en partant d'une valeur courante différente, cela va aboutir à un effet climatique très différent. Il y a un problème !Les réductions ne sont déjà pas assez fortes dans les déclarations, si en plus avec les chiffres officiels cela fait des réductions encore plus faibles, ce n'est pas très optimiste !"
Les satellites font partie des choses qui vont améliorer la situation, estime le chercheur. "Pour le méthane, aujourd'hui, les satellites donnent déjà de l'information. On ne peut pas faire un bilan complet d'un pays, car ils ne voient pas les petites fuites, mais les très grandes sont vues systématiquement et quantifiées." Quant au CO2, le système de Copernicus ne balayera pas non plus la planète comme un "pinceau" à l'instar du satellite américain, mais "comme un balai-brosse"et pourra donc avoir une image globale d'un pays et bien identifier les sources. "Il est intéressant et cela apportera beaucoup d'informations, mais cela ne sera pas avant 2026-2027", prévient-il. Et d'ajouter : "Quand il y a des nuages, le satellite ne voit rien. S'il y a trois semaines de nuages, - cela arrive en Europe et aussi dans le Sud avec la mousson - on n'aura aucune mesure et on ne pourra pas connaître les émissions. Donc, les satellites seront un peu comme un film avec des trous dedans. Il faudra reconstituer le film. Mais c'est évidemment mieux que de ne rien avoir !"