Survivre et se reproduire, la loi de la nature
François Verheggen enseigne la zoologie et l’éthologie à Gembloux Agro-Bio Tech. Il publie un ouvrage didactique sur les comportements les plus surprenants des animaux. Qui n’ont pas fini de nous étonner…
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Publié le 07-01-2022 à 10h50 - Mis à jour le 07-01-2022 à 10h51
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Professeur de zoologie à Gembloux Agro-Bio Tech, François Verheggen publie un premier ouvrage de vulgarisation dans lequel il partage sa passion pour l'éthologie. Un Tanguy chez les hyènes se présente ainsi comme une succession de petits récits où l'auteur décrit une trentaine de comportements observés dans le monde animal et les mécanismes qui les sous-tendent.
Un livre rédigé dans un langage aisément compréhensible pour le lecteur adolescent et adulte, mais qui ne sacrifie rien à la rigueur scientifique.
Vous avez choisi de diviser ce livre en onze chapitres qui présentent onze "familles" de comportements. Quel est celui qui est le plus fascinant à vos yeux ? Et quel animal obtient votre coup de cœur ?
C’est le même exemple pour les deux questions : il s’agit de l’altruisme, dont font notamment preuve les vampires d’Azara, une espèce de chauves-souris. C’est vraiment quelque chose d’étonnant car normalement l’évolution tend à sélectionner les animaux dont tous les comportements ont pour objectif d’améliorer leurs chances de survie et de reproduction. Or l’altruisme va exactement dans la direction inverse de ce principe de la sélection naturelle, puisque cela consiste à réduire ses chances de survie ou de reproduction pour qu’un autre individu en bénéficie. On connaît la coopération, où on s’entraide, mais l’altruisme va encore plus loin puisque c’est un comportement complètement désintéressé même si, sur le long terme, il peut permettre à l’animal qui en fait preuve d’en bénéficier un jour quand il sera à son tour dans l’embarras.
Chez le vampire d’Azara, un individu peut ainsi donner une partie de son repas - du sang - à un congénère fainéant ou qui n’a pas eu de chance.
Vous mettez aussi en évidence des comportements extrêmement égoïstes. La nature n’a pas d’état d’âme ?
Non, en effet. Tout comportement a la même fonction : survivre et par la même occasion se reproduire. Et pour survivre soi-même, dans certaines situations, on a parfois besoin des autres. C’est donc cette stratégie qui est sélectionnée. Cela montre qu’il n’y a pas qu’une manière de survivre. Survivre, ce n’est pas être le plus fort, celui qui écrase les autres et qui s’adjuge le plus de ressources, de femelles… Il y a plein d’exemples dans le livre qui montrent que parfois celui qui survit, c’est celui qui coopère de manière efficace avec d’autres.
À la lecture du livre, il ressort que les comportements les plus sociaux ne s’observent pas chez les mammifères, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer…
Effectivement. Les insectes sont les experts de l’eusocialité (un mode d’organisation sociale observé chez certains animaux où un groupe est divisé en castes entre les individus fertiles et non fertiles, NdlR) où l’on atteint le plus haut échelon de coopération et d’organisation.
Dans une colonie d’abeilles, par exemple, la reine ne voit jamais le soleil. Elle voue sa vie à donner naissance et à coordonner la colonie, déléguant du coup diverses tâches à l’ensemble de ses enfants. Et les abeilles s’occupent des autres avant de s’occuper d’elles-mêmes : quand une abeille pique, elle donne sa vie pour défendre ses sœurs. Idem quand elle s’épuise à aller chercher de la nourriture, c’est un sacrifice. En outre, la colonie mélange les diverses générations. Derrière cette apparente tyrannie exercée par la reine, on se trouve en fait avec une organisation qui fonctionne de manière optimale. Seules deux espèces de mammifères pratiquent l’eusocialité, dont le rat-taupe nu (lire ci-contre).
Vous expliquez que la transmission de certains comportements et changements de comportements peut s’observer d’une génération à l’autre. La capacité de transmission des comportements est plus rapide que ce que l’on pensait ?
C’est une vaste question très intéressante mais très difficile. Dans le livre, j’aborde cette question sous l’angle de la culture qui est pour moi la transmission de savoirs de génération en génération. Cette culture qui est propre à une communauté animale, elle s’apprend de son vivant et se transmet par apprentissage à la génération suivante. Il y a 50 ans, on pensait que seul l’homme était capable de faire cela, d’enseigner. Depuis les travaux de Jane Goodall sur les chimpanzés et d’autres qui ont suivi, on sait désormais que de très nombreuses espèces sont capables d’observer, d’apprendre, de répliquer et donc d’enseigner à leur tour à d’autres.
Chez les chimpanzés, les jeunes observent les parents utiliser des pierres comme outil pour casser des noix ou un bâton pour fabriquer une arme avec laquelle ils tuent des écureuils cachés dans les cavités des arbres. Ils font aussi l’apprentissage de techniques de chasse en groupe qui ciblent les colobes, un autre petit primate. C’est une transmission qui demande plusieurs années, avec des techniques qui se modifient au cours du temps.
Quand on referme le livre, on ne peut pas s’empêcher de se poser la question d’une forme d’intelligence chez les animaux. C’est le cas, selon vous ?
Tout cela est le fruit de millions d’années d’évolution qui ont évacué certains comportements qui ne sont pas bénéfiques pour l’animal et accentué les autres. Mais oui, je suis convaincu qu’il y a une forme d’intelligence qui est gigantesque chez les animaux.
L’homme a l’habitude de se mettre toujours tout en haut de la pyramide, mais quand on regarde certaines formes de coopération ou de gestion chez les espèces animales, on se rend compte que nous faisons, en fait, tout de travers. L’homme s’adapte très vite à son environnement, mais il s’y adapte terriblement mal. On mange mal, on fume, on boit, on traverse un passage pour piéton en regardant notre smartphone… On est la seule espèce animale à faire l’inverse de ce qui est bénéfique à notre survie et notre reproduction. Cela questionne aussi la définition que l’on donne à l’intelligence. Pour moi, on est le virus du monde.