Tu le connais celui qui fabrique ta fringue à cinq euros de chez Primark ?

Qui a fabriqué le vêtement que vous portez ? Êtes-vous sûr qu’il est bon pour vous, et pour la Planète ? “Fashion, Fake or Not”, essai cinglant sur le vêtement, rappelle notre ignorance de ce qu’on porte. Des chiffres, des constats, des coups de semonce. Du changement en perspective ?

Tu le connais celui qui fabrique ta fringue à cinq euros de chez Primark ?
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Catherine Dauriac est présidente de Fashion Revolution France. Cette association, qui regroupe 96 pays, cherche à faire bouger les lignes en matière de conso de la mode. L'une des industries les plus polluantes au monde.

Tout le monde s’habille chaque matin, peut-être le moment est-il venu de regarder l’étiquette du vêtement que l’on porte…

Tu le connais celui qui fabrique ta fringue à cinq euros de chez Primark ?
©IPM Graphics

On parle de mode responsable, mais qu’en est-il de la responsabilité du consommateur. Comment peut-on faire pour être au courant de ce qu’on porte ?

Plutôt que de mode responsable, on peut parler de "mode slow", recentrée sur les problématiques sociales et environnementales. Car on demande au consommateur de faire des efforts mais, dans le même temps, la chaîne de valeurs (au sein de la fabrication textile) n'est pas respectée. Et je ne vous parle même pas de la fabrication des matières premières… On dit qu'il faut décarboner l'industrie et le commerce international, mais on continue à créer tant de vêtements à base de pétrole.

Tu le connais celui qui fabrique ta fringue à cinq euros de chez Primark ?
©IPM Graphics/ Source Fashion Fake Or Not

On communique vers le consommateur sur les labels green, le coton bio Oeko-tex, etc. Mais qui fabrique la fringue à cinq euros de Primark ?

Pour moi, l'événement du Rana Plaza a été un électrochoc (le 24 avril 2013, à Dacca au Bangladesh, une usine textile connue pour être surpeuplée et délabrée s'est effondrée sur le personnel qui venait d'entamer sa journée, NdlR). 1138 morts, 2800 blessés, c'est la plus grande catastrophe de l'industrie textile à ce jour. "Personne ne devrait jamais mourir pour la mode". C'est une citation d'une ouvrière après la catastrophe. La mode c'est la beauté, la manière dont on se présente au monde. A-t-on envie de se présenter au monde avec des vêtements tachés de sang ?

Vous dites : “Nous avons produit assez de vêtements pour habiller la Planète jusqu’en 2100. Alors que nous ne portons qu’un tiers de notre vestiaire et que nous jetons l’équivalent d’une benne de déchets chaque seconde dans le monde”. Finalement, si nos placards débordent, c’est parce qu’on croit que ça ne coûte pas cher ?

C'est un problème générationnel. les populations des seniors ont participé à la gabegie des années 80, au déni environnemental… Les années 80 90, c'était la fête. Après, sont arrivées les problématiques de perturbateurs endocriniens. Aujourd'hui, on a deux forces en présence : les gens qui sont dans le déni, et les gens intéressés par les impacts sur la terre et notre santé. On connaît l'enthousiasme de la jeune génération entre 13 et 25 ans à défendre la Planète. Mais il y a cette dichotomie entre "J'aime ma planète" et "J'achète chez Primark des matières dégueulasses". Une partie pratique la 2e main mais il y a aussi ceux qui, sur, Tik Tok, balancent des cartons entiers de fringues. C'est de la boulimie.

Comment les amener à ce discernement ?

70 % des gens disent qu’ils sont prêts à payer plus cher pour un vêtement bien conçu. Mais ce sont des déclarations. La question du prix revient toujours. Un vêtement fait dans la bonne matière et dans la bonne chaîne de valeurs, c’est plus cher. Il ne faut pas penser au prix d’achat, il faut penser en fonction du “prix porté”. Un vêtement de Fast Fashion, on le porte quatre, cinq fois. Un vêtement bien conçu, on va le porter toute sa vie.

"Si l'industrie de la mode était un état nation, elle se placerait au 7e rang de l'économie mondiale". La Fast Fashion, ça rapporte

2,6 milliards de dollars sont dépensés pour acheter des vêtements, chaque jour. Au Bangladesh, l’industrie textile représente 80 % du PIB national. On comprend que si les lois n’avancent pas, c’est parce que les propriétaires d’usine sont les membres du gouvernement. Pour la Chine, on a aucun chiffre, c’est un pays opaque.

Malgré la crise inflationniste, la mode en ligne semble promise à un avenir radieux, la jeune génération consommant 20 % de son budget à des achats de mode en ligne. Acheter de la mode, c’est exister ?

Tout à fait. La donne va changer avec les problèmes écologiques qui se profilent. La crise des matières premières va impacter l'industrie textile, on observe une augmentation de 20 % pour certaines matières. Le prix des vêtements va réaugmenter alors qu'il avait beaucoup baissé ces dernières années.
Il faudrait ajouter qu'on est enseveli par la publicité, regardez Instagram, qui nous entraîne dans le "C'est maintenant, il nous le faut". Et, si acheter c'est exister, on comprend que tout le monde ait envie de passer par cet acte.

Vous dites aussi que le coton tue. Comment ?

C'est très radical, mais il tue depuis longtemps. Avec la traite des Africains pour sa culture, le coton a tué littéralement les hommes qui le cultivaient, et ceux qui le cultivent encore. On pense à l'épandage des pesticides, car c'est une plante très fragile. Le coton tue les écosystèmes quand on rejette les teintures dans les cours d'eau, ce qui entraîne une perte de la biodiversité, des famines et des toxicités pour les familles qui vivent autour de ces cours d'eau.
Le coton épuise les travailleuses qui commencent à travailler dans les filatures à 12 ans, et qui sont exténuées physiquement à 25 ans. En bout de ligne, le coton tue les consommateurs qui portent des vêtements toxiques, comportant du cyanure, du cadmium.

Peut-on savoir ce qui va nous arriver si on porte ceci ou cela ? Y a-t-il une loi qui oblige à faire ce genre d’affichage des produits contenus dans le textile ?

On parle ici des perturbateurs endocriniens, ces produits chimiques contenus dans la teinture ou liés au blanchiment de certaines matières et qui provoquent des dérèglements physiologiques. L’an dernier, une loi est passée en Californie qui propose de noter la composition et la toxicité du vêtement. En France, nous n’avons pas cette loi, en Belgique non plus. La seule chose qui soit affichée, de manière obligatoire, c’est le pays de fabrication, la composition du tissu. La réglementation internationale actuelle ne liste pas les produits toxiques contenus dans les vêtements. On a besoin de régulation. C’est notre travail au sein de Fashion Revolution : pousser les politiques à prendre leurs responsabilités, car, pour le coup, ils sont responsables.

Vous citez “342 millions de barils de pétrole” pour fabriquer les vêtements en synthétique chaque année, alors que le grand public a du mal à se figurer qu’une partie du textile synthétique est fait à base de pétrole.

Le polyester, c’est du pétrole 100 %, et il y a aussi les matières comme les viscoses plus ou moins ‘responsables’. Plus de 70 % des vêtements qu’on produit sont à base de produits chimiques. On espère que les fibres naturelles vont reprendre de la valeur, on pense à la filière laine qui représentait 10 % des textiles il y a quelques années, aujourd’hui ce n’est plus que 1 %. Quant au lin, il représente 0,4 % des fibres mondiales. Si on achète une chemise en lin, plutôt qu’une chemise en coton, on économise des litres d’eau. Cette chemise est inusable, et produite dans de bonnes conditions. Pourquoi pas cette chemise plutôt que quatre T-Shirt ?

On compte 75 millions de travailleurs du textile, dont 65 millions se trouvent dans la région Asie-Pacifique. 85 % sont des femmes en 2019. Un rapport d’Oxfam indique que de 9 travailleurs ou travailleuses sur 10 n’ont pas un salaire suffisant pour vivre décemment…

Cette info n'apparaît nulle part. Et c'est la différence entre le salaire minimum (dans chaque pays du monde il y a un salaire minimal. Rappelons cependant qu'en France, par exemple, le salaire minimum n'est pas un salaire vital). La différence entre le salaire minimum et le salaire vital au Bangladesh est énorme : le salaire minimum payé à un travailleur du textile est de 85 euros par mois.Source Statista, NdlR), et il faut 200 à 300 euros pour le minimum vital.

Tu le connais celui qui fabrique ta fringue à cinq euros de chez Primark ?
©IPM Graphics/ Source Fashion Fake Or Not
Tu le connais celui qui fabrique ta fringue à cinq euros de chez Primark ?
©IPM Graphics/ Source Fashion Fake Or Not

Comment ne pas acheter une fringue ensanglantée ? La solution est dans la main du client  ou du fabricant ?

Je n’aime pas tout mettre sur le dos sur le client, mais il est possible de se renseigner. On peut aller voir au-delà de l’étiquette, le site des marques… Et une ligne ou deux ne suffisent pas ! Des marques, il y en a énormément, répertoriées par Slow we are, un label de certification. Ou We Dress Fare. Et, avant d’acheter, il faut regarder ce que vous avez déjà. Enfin, quand on a besoin de s’acheter une pièce, en choisir une qu’on entretiendra avec amour. Certes ce n’est pas l’achat coup de cœur pour avoir son shoot de dopamine, mais on peut se demander ce dont on a besoin, et quel genre de fierté on veut mettre dans son acte d’achat.

“Fashion, Fake or Not”, aux éditions Tana, 14€


Le monde de l’édition prouve que le sujet interroge le grand public. Au même moment que Fashion, Fake or Not, un essai, Textiles éthiques, fait son apparition, cherchant à traverser la thématique de l’habillement avec intelligence. Avec l’objectif de renseigner le consommateur de façon pratique. La viscose ? C’est quoi ? C’est propre ? Pas tant que cela. Si elle est fabriquée à base de fibres de bois, son traitement nécessite un maximum d’intrants toxiques, comme le disulfure de carbone. Le coton – pas bio – en prend pour son grade… On lui doit la disparition de la Mer d’Aral, à l’époque où l’URSS a voulu transformer l’Ouzbékistan en gigantesque de champ de coton. Les rivières détournées ont asséché la mer, et il ne reste que le sel sur le sol, devenu infertile. L’auteure de Textiles éthiques rappelle aussi que des grandes marques de mode participent à l’exploitation du peuple ouïghour en Chine. Sont pointés du doigt Zara, H&M, mais aussi Calvin Klein et Ralph Lauren. “Une situation qui gangrène l’industrie textile et organise l’esclavage moderne au profit de la mode”. Le constat du bouquin oblige à un nouveau positionnement en tant que consommateur. Textiles éthiques – s’habiller, un acte engagé”, Émilie Pouillot-Ferrand, chez Champs d’action, 10 euros.

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