Mygales, requins...: va-t-on croiser de plus en plus d'espèces animales que nous n'avions pas l'habitude de voir auparavant ?
Un requin bleu près des plages d'Hyères dans le Var, un autre aperçu en bord de mer à Barcelone, une mygale andalouse en France... Des touristes et locaux ont fait des rencontres inattendues au cours de cet été 2022. Mais faut-il s'attendre à ce que ces visites impromptues soient de plus en plus fréquentes ? Avec le réchauffement climatique, les experts parlent en effet de véritable "chamboulement au niveau des écosystèmes". Dans le cadre de son dossier "C'est pour demain", LaLibre.be s'intéresse à ces évolutions futures, qui pourraient avoir "un impact important" sur la vie humaine.
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- Publié le 07-08-2022 à 12h00
- Mis à jour le 08-08-2022 à 15h45
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"Je suis rentrée !", vous époumonez-vous, en ouvrant la porte de votre domicile niché dans la campagne hennuyère. Il est 19 heures et vous pouvez enfin souffler. Vous avez passé une dure journée au travail et, pour couronner le tout, vous avez raté le train qui devait vous ramener à la maison. Votre fils, enfermé dans sa chambre, ne vient pas vous saluer. Mais vous avez l'habitude. Depuis qu'il est rentré au collège, il ne quitte presque plus son antre. Trop occupé à faire ses devoirs ? Vous en doutez. Pas grave, ça fait longtemps que vous avez tiré un trait sur un accueil chaleureux au sein de votre foyer. Pour vous réconforter, vous enfilez une tenue plus confortable. Télécommande en main, vous vous affalez dans votre canapé. "Pas beaucoup de temps avant de faire le souper", vous dites-vous, en parcourant le catalogue Netflix. Cinq minutes plus tard, une série vous fait enfin de l'oeil. Revigoré, vous vous apprêtez à lancer le premier épisode. Mais, là, votre sang se glace. Une mygale se balade tranquillement sur le meuble où trône votre télévision. La panique vous envahit. Ce n'est pas le genre de situation que vous étiez prêt à affronter. Les petites bêtes vous faisaient déjà suffisamment peur...
La scène est purement imaginaire. Mais elle pourrait un jour devenir réalité. Et plus courante, qu'on ne le croit. En effet, les scientifiques s'attendent à de grands chamboulements dans les écosystèmes en Europe. "On observe très clairement un glissement des aires de distribution des espèces terrestres ou aquatiques vers le Nord", confirme Patrick Mardulyn, actif au sein du département de biologie des organismes de l'ULB. "Des animaux qui étaient plus présents dans le Sud du continent vont progressivement se retrouver vers le centre et vers le Nord de l'Europe."
Des espèces qui vont devoir se déplacer pour survivre
À l'heure actuelle, c'est dans le Sud de l'Europe que vous trouverez la plus grande diversité d'espèces. Les vacanciers qui s'y rendent quelques semaines en été ont pris l'habitude d'y croiser des animaux qu'ils ne côtoient pas chez eux. "Cela s'explique par les périodes glaciaires, qui ont eu lieu il y a plusieurs dizaines de milliers d'années. La dernière, qui date d'il y 10.000 ans, a vu naître un véritable glacier recouvrant le nord de l'Europe, ainsi que les Alpes et les Pyrénées. De nombreuses espèces ne pouvaient plus survivre dans ces régions et ont disparu", détaille l'expert qui s'intéresse à l'évolution biologique liée à l'écologie. "Le climat s'est ensuite réchauffé, permettant à certaines espèces de reconquérir le nord du continent. Mais il n'en reste pas moins que le Sud, qui a beaucoup moins été impacté par les glaciations, abrite une plus grande diversité d'espèces." La situation sera toutefois amenée à s'inverser dans le futur. En cause: le réchauffement climatique. Les zones méditerranéennes, qui enregistrent déjà un climat chaud à l'heure actuelle, seront les plus touchées. "Il va y avoir une aridification", prédit le scientifique. "On voit déjà d'importants feux de forêt, mais ce phénomène va probablement s'intensifier. Certaines espèces ne pourront plus survivre dans ces régions méridionales." À l'inverse, dans le centre et au Nord de l'Europe, le réchauffement climatique rendra les températures plus clémentes pour toute une série d'espèces, habituées actuellement au climat chaud du Sud. "Ces animaux, s'ils sont capables de se déplacer suffisamment rapidement, vont progressivement coloniser l'Europe du Nord et Centrale."
Les espèces qui ne bénéficient pas de cette habilité migratoire seraient alors amenées à disparaître. Mais ce ne sont pas les seules. En effet, les animaux habitués à des conditions très froides au Nord ne trouveraient plus leur compte face à la hausse des températures. "Les projections suggèrent qu'entre un cinquième et un tiers des espèces européennes pourraient se trouver à un risque accru d'extinction si les températures augmentent de plus de 2 à 3 degrés au-dessus du niveau préindustriel", confient Thomas E. Lovejoy et Lee Hannah, dans "Biodiversity and Climate Change".

Le réchauffement climatique, pas l'unique responsable
Pour M. Mardulyn, il est toutefois compliqué de prédire précisément quelles espèces seront amenées à disparaître et lesquelles migreront. Certaines études pointent notamment la faible capacité de déplacement de nombreux amphibiens et reptiles, accroissant les risques pour ces espèces. Mais, selon le spécialiste, beaucoup de cas de figures vont se présenter. D'autant plus que le réchauffement climatique n'est pas le seul facteur à entrer en jeu. "Beaucoup d'autres pressions s'exercent sur la biodiversité. On peut citer la fragmentation de l'habitat, l'exploitation des ressources naturelles, la pollution...", énumère le spécialiste. "Toutes ces activités humaines ont déjà un impact sur l'environnement et sur les espèces animales."
Identifier la cause de changements qui s'opèrent parfois sur plusieurs dizaines d'années n'est pas chose aisée. D'autant plus que le commerce vient également jouer un rôle dans ces bouleversements. En effet, il n'est pas rare que des animaux exotiques soient retrouvés dans une cargaison en direction de contrées lointaines par rapport à leur pays d'origine. "Beaucoup d'échanges et de transports, qui n'étaient pas possibles avant, deviennent de plus en plus fréquents", constate le biologiste. "En conséquence, de nouvelles espèces colonisent de nouveaux territoires."
Des conséquences "importantes" pour l'homme
Au cours du XXIème siècle, ces changements vont s'amplifier avec le glissement des aires de distribution des espèces vers le Nord. Et les conséquences pour l'homme ne se limiteront pas à la nécessité de surmonter d'éventuelles phobies. "Le chamboulement des écosystèmes causé par le changement climatique et d’autres activités humaines va avoir des impacts importants pour l’homme", affirme M. Mardulyn. Le chercheur en épingle notamment trois. Tout d'abord, il note une possible explosion d'insectes pestes, que provoqueraient les fortes chaleurs. " On les considère comme des pestes car ils s’attaquent aux cultures, qu'elles soient forestières ou maraîchères, dont l'homme a besoin", détaille-t-il. "En sylviculture, les arbres vont souffrir de plus en plus de la chaleur car ils ne sont pas habitués à de telles conditions. Ils seront fragilisés et les insectes pourront donc plus facilement les attaquer." Ensuite, le bouleversement des écosystèmes pourrait arriver à des niveaux plus qu'inquiétants. "Ils ne vont pas simplement être transposés un peu plus haut", met en garde le spécialiste. "Certaines espèces vont disparaître, donc les écosystèmes ne seront plus nécessairement complets. On va observer des déséquilibres et des perturbations qui font qu'à certains endroits, on va avoir des écosystèmes complètement nouveaux." Enfin, ces modifications futures pourraient être à l'origine de problèmes de santé publique. "Certains insectes qui vont commencer à pulluler dans nos régions - qui étaient peu ou pas présents avant - vont être vecteurs de virus. Ils pourront donc nous faire contracter des maladies virales, auxquelles les Européens n'étaient pas exposés avant."
Si ces chamboulements semblent inévitables, on peut toutefois encore espérer en réduire l'ampleur. Pour cela, Patrick Mardulyn invite à combattre le réchauffement climatique. "On peut encore le freiner, même si on sait qu'il viendra tôt ou tard. Pour s'en prémunir au mieux, il faut préserver les espaces naturels qu'il nous reste en Europe, car c'est eux qui seront les plus résilients au changement climatique", conclut le chercheur, qui regrette toutefois que les activités humaines aient déjà tant endommagé ces zones essentielles.