Faire pousser ses légumes sans une seule goutte d’eau ? "C’est du bullshit"
Face aux épisodes de sécheresse de plus en plus fréquents, les agriculteurs s'interrogent : comment développer une agriculture moins gourmande en eau ? Plusieurs solutions existent.
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Publié le 24-08-2022 à 06h36 - Mis à jour le 24-08-2022 à 11h42
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"Ce maraîcher parvient à faire pousser ses légumes sans une seule goutte d'eau", assure le titre de cet article du Parisien. Le reportage présente Marc Mascetti, un maraîcher de l'Essonne qui, selon les journalistes, "a trouvé la solution" pour faire face aux sécheresses. La vidéo qui accompagne l'article débute par une séquence du maraîcher qui explique fièrement que ses patates douces pèsent plus d'un kilo, "sans eau, sans aucune humidité". Publiée sur les réseaux sociaux, la vidéo a accumulé plus d'un million de vues.
La réalité semble pourtant un peu plus compliquée...
"Ce n'est pas possible, c'est du bullshit", s'amuse Marnik Vanclooster, hydrologue à l'UCLouvain et directeur du Earth and Life Institute. "Toutes les plantes ont besoin d'eau pour transpirer, il n'y a pas de possibilité pour qu'elles vivent sans eau".
Et dans le cas de l'exploitation de Marc Mascetti, pas de magie. Le reportage du Parisien est trompeur, explique l'épouse du maraîcher à nos confrères d'Arrêt sur images. "On n'a jamais dit qu'on cultivait sans eau, mais bien sans irrigation, ce n'est pas du tout la même chose !".
Depuis 33 ans, les époux Mascetti pratiquent en effet une agriculture non conventionnelle inspirée du “dry farming”, une technique permettant de cultiver sans irrigation mais qui dépend de conditions précises (taux d'humidité, pluviométrie, température, etc.). Ce mode de production n’a pas que des avantages, l’exploitation étant très sensible aux aléas climatiques et les résultats n’étant parfois pas au rendez-vous. Mais d’autres solutions existent pour réduire les besoins en eau des exploitations agricoles, tout en garantissant un rendement optimal.
De l’importance des variétés
"On peut bien entendu développer des stratégies de gestion agricole qui sont moins consommatrices en eau. Il y a différentes techniques qui permettent de faire ça", développe Marnik Vanclooster. Et cela commence par le choix des variétés cultivées. Il existe une très grande différence de consommation d'eau entre certaines cultures : le blé requiert par exemple moins d'eau que certaines cultures maraîchères de fruits. Certaines variétés sont aussi plus résilientes et résistent mieux aux fortes chaleurs.
"Même au sein de certaines cultures, il y a pas mal de choses qui sont faites au niveau de la physiologie des plantes qui permettent d'améliorer la valorisation des eaux en tant que telles, poursuit l'hydrologue. Ce sont de nouvelles variétés où le système racinaire est un peu modifié de façon à ce que les racines colonisent mieux le sol et aient la capacité de mieux extraire de l'eau."
Alain Peeters, agroécologiste et fondateur de l'ASBL Terres Vivantes, souligne lui aussi la nécessité de privilégier des variétés aux systèmes racinaires développés. "La bonne nouvelle, c'est qu'elles existent !", s'enthousiasme-t-il, citant l'exemple de variétés de blé cultivées dans des conditions biologiques en Suisse, en Autriche et en Allemagne. "Ce sont des blés plus hauts, d'excellentes qualités panifiables et au système racinaire beaucoup plus profond que les blés modernes de la révolution verte."
L'agroécologiste plaide également pour que la Belgique se mette à cultiver du triticale, un hybride de blé et de seigle. "En Belgique, on cultive plus de 95% des blés fourragers. Or, le triticale est plus haut et possède un système racinaire plus important que les blés modernes. Il produit autant, avec une qualité comparable. Donc plutôt que de faire des blés fourragers, faisons du triticale."
Prendre le problème à la racine
Outre la sélection des variétés, les deux experts insistent sur l'importance du sol. "Si l'on arrive à augmenter la capacité de rétention des sols, alors automatiquement, les plantes vont avoir plus facile à récupérer l'eau", souligne Marnik Vanclooster. L'une des techniques permettant d'augmenter cette capacité de rétention consiste à couvrir les sols. "Si on les couvre correctement avec du mulch ou une couche qui permet d'empêcher l'évaporation, il y a plus d'eau qui reste disponible pour les plantes", note l'hydrologue.
Il est aussi possible de travailler sur les sols en tant que tel en ajoutant des amendements comme de la matière organique. Une approche que soutient Alain Peeters, qui va plus loin. Il estime que s'intéresser à la vie du sol permet de s'attaquer au problème à la racine. "Depuis 60 ans, on s'y est très peu intéressé. Maintenant, on y revient", note-t-il. Selon lui, le respect du sol passe par l'arrêt des travaux intensifs de labour, qui "oxydent la matière organique et détruisent la vie du sol". "Ce qu'on doit avoir pour mieux stocker l'eau, c'est plus de matières organiques", assure-t-il. "Elle permet une meilleure infiltration de l'eau dans le sol en hiver quand il pleut et retient l'eau en été."
L'agroécologiste insiste par ailleurs sur l'importance des champignons et des vers de terre. "Les champignons mycorhiziens sont une extension du système racinaire des plantes : ils rentrent dans les racines mais comme ils sont très fins, ils vont chercher de l'eau dans des interstices du sol normalement inaccessibles", explique Alain Peeters. Les galeries verticales creusées par les vers de terre anéciques s'étendent jusqu'à deux mètres de profondeur dans le sol, permettant aux racines des plantes de s'y engouffrer et d'aller puiser de l'eau bien plus profondément. "Ça change tout!", insiste-t-il. Ces galeries permettent en effet aux racines de dépasser la semelle de labour, la couche de sol très dense à environ 30cm de profondeur causée par les passages fréquents de la charrue.
Améliorer les techniques d’irrigation
Des actions peuvent aussi être entreprises pour améliorer l'irrigation en tant que telle. "Il faut essayer que toute l'eau qu'on apporte aux plantes soit utile, appuie Alain Peeters. L'agriculture israélienne est la championne de l'économie d'eau."
C'est d'ailleurs là-bas qu'est né, dans les années 60, le système d'irrigation au goutte-à-goutte, désormais largement utilisé. "Il existe trois grands types de système d'irrigation : gravitaire, par aspersion et en goutte-à-goutte localisé", détaille à son tour Marnik Vanclooster. Dans le cas du goutte-à-goutte, des tuyaux d'irrigation sont disposés sur ou dans le sol. Ils sont équipés de dispositifs permettant d'injecter de l'eau au pied de chaque plante, ce qui permet de grandes économies d'eau. "Typiquement, l'efficience de l'irrigation goutte-à-goutte s'estime aux alentours de 74%, tandis que pour le gravitaire c'est aux alentours de 30%", commente le chercheur de l'UCLouvain.
En parallèle à ces différentes solutions, certains préfèrent réinventer l’agriculture en se basant sur les progrès technologiques et en se passant parfois totalement du sol, en témoigne l’essor de l’aéroponie ou de
pour l’agriculture urbaine ou péri-urbaine. “
Dans ce cas-là, on va pouvoir travailler dans des conditions totalement contrôlées. Cela permet d’avoir une consommation minimale de l'eau et une production maximale de production végétale. Mais on ne va pas produire la totalité du régime alimentaire comme cela”
, conclut Marnik Vanclooster.