"On doit aborder l'enjeu de la sécheresse de manière plus collective…"
Face aux épisodes de sécheresse de plus en plus fréquents, les agriculteurs s'interrogent : comment cultiver avec moins d'eau? Alors que la sécheresse devient un problème endémique, une gestion plus globale de la ressource s'impose.
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Publié le 24-08-2022 à 11h42 - Mis à jour le 24-08-2022 à 11h44
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Kevin Thibaut est bioingénieur. Doctorant FNRS à l’ULiège, il travaille sur la thématique des extrêmes climatiques hydrologiques.
La Wallonie vit une sécheresse qualifiée "d’exceptionnelle", est-ce le cas ou faut-il au contraire considérer ce phénomène comme quelque chose d’endémique ?
Les deux qualificatifs sont corrects. Le phénomène que l’on vit actuellement peut-être qualifié d’exceptionnel car si l’on analyse divers paramètres, on se rapproche de la sécheresse de référence de 1976, qui était une année hors-norme au regard des données de l’IRM. On a donc vraiment une sécheresse exceptionnelle.
Mais quand on regarde plus précisément les relevés pluviométriques, on constate qu’il y a une répétition des déficits ces dernières années, on assiste donc à une forme de "normalisation" qui tend à montrer que ce phénomène devient endémique. Et nous n’y sommes pas suffisamment préparés, cette évolution se produit plus rapidement que les mesures que nous mettons en place pour nous y adapter.
La difficulté avec la sécheresse, par rapport à d’autres risques naturels, c’est que c’est une dynamique lente, qui a des impacts cumulatifs importants mais globalement assez peu visibles alors qu’ils vont continuer à se faire ressentir dans le temps long.
Au vu des projections climatiques, cette tendance est appelée à se répéter et à s’aggraver ?
C’est en tout cas ce que le Giec met en évidence. On aura une augmentation de la fréquence et de l’intensité de ces épisodes de sécheresse. C’est déjà la tendance que l’on constate ces dix dernières années. Ce qui ne veut pas dire que l’on n’aaura pas des années plus humides, comme l’année dernière, mais on peut dire de manière assez certaine que le type d’épisode de sécheresse que nous connaissons actuellement deviendra une forme de norme.
On se focalise beaucoup sur les impacts visibles immédiats de la sécheresse, celle-ci aura-t-elle des conséquences à plus long terme, dans les mois qui viennent voire au-delà?
Les impacts agricoles sont les plus directs et les plus visibles, c’est assez flagrant. Mais à mes yeux, il faut aussi porter notre attention sur les réserves en eau souterraines. Actuellement, elles sont en bon état, on a eu un hiver qui a permis une recharge des nappes assez correcte. Mais si ces épisodes de sécheresse se répètent à plus long terme, on va avoir une accumulation d’un déficit qui deviendra problématique. Cela l’est déjà dans certaines régions, notamment la partie luxembourgeoise du pays, où on doit ravitailler les réserves de plusieurs communes par camions-citernes pour pouvoir assurer la distribution en eau potable. C’est quelque chose qui est devenu récurrent ces dernières années. Il faut donc en tenir compte dès maintenant pour ne pas se retrouver en situation de réelle crise dans les années à venir si on a une succession de plusieurs sécheresses.
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Il y a aussi divers impacts sur la biodiversité, les espaces forestiers… Les conséquences de la sécheresse entraînent des dégradations à long terme. Il y a des mortalités plus importantes pour certaines essences forestières ou des attaques de parasites comme les scolytes sur les résineux. La multiplication des sécheresses fragilise les arbres à long terme. Un arbre qui va résister cette année va quand même être marqué par cet événement. Certaines essences ne vont plus résister au stress hydrique répété et vont être progressivement remplacées, soit naturellement soit avec l’aide des interventions humaines...
Au niveau des cours d’eau, une partie de la faune qui peuple les rivières souffre et les effets s’en feront ressentir dans les années à venir.
Les autorités publiques ont-elles pris la juste mesure de ce qui est en train de se passer avec la sécheresse ?
C’est un risque naturel qui est désormais pris en compte. Il y a une prise de conscience que la Wallonie est un territoire qui subit ce type d’événement. Cependant, il faudrait aller plus loin plus vite et, surtout, de manière plus coordonnée
Comme dans tout risque, pour pouvoir le gérer de manière optimum, il faut arriver à un consensus sur la manière dont on y répond et avec le soutien d’un maximum d’acteurs : la population, le secteur industriel, les agriculteurs, les différents niveaux de pouvoir…
C’est là que le bât blesse pour l’instant. La cellule sécheresse mise en place par la Région wallonne depuis 2017 fait du bon travail, mais il manque une coordination un peu plus globale. Cette cellule rassemble des acteurs concernés et impactés par la sécheresse, mais il faudrait pouvoir rassembler plus largement car tous les secteurs sont touchés en réalité. Son champ d’action est limité, son rôle est avant tout celui d’opérer une veille et de réaliser un état des lieux régulier. C’est une bonne base de travail, mais ils n’ont pas de pouvoir de coercition. Ils ne peuvent, par exemple, pas obliger une commune à prendre des mesures de restriction de l’usage de l’eau.
Les mesures actuelles se prennent au niveau local quand un problème se pose. Faudrait-il des décisions plus générales, selon vous ? Il n’est pas simple de demander aux habitants d’une commune qui ne rencontre pas de difficultés d’alimentation en eau de prendre des mesures de restriction…
Je ne suis pas d’accord avec cette vision. L’eau n’a pas de frontière, c’est un bien commun. On est un petit territoire et l’eau doit être partagée entre tout le monde.
On vit une sécheresse importante sur tout le territoire, même si les problèmes aigus ne se font ressentir que dans certaines zones. Cela n’a pas beaucoup de sens d’interdire d’arroser les jardins dans une commune si les citoyens de la commune située à quelques kilomètres peuvent continuer à le faire. En termes de message à la population, si l’on réfléchit à une gestion de la ressource globale, décider d’un niveau de restriction d’usage à l’échelle de la région, ou à la limite par province, me semble plus cohérent que des limitations éparpillées. Avec l’approche actuelle, on peut comprendre que la population dans son ensemble ne prenne pas conscience de la problématique, que l’on n’arrive pas à responsabiliser tout le monde.
En France, ils ont créé des seuils de restriction organisés avec des codes couleur par département. Des mesures spécifiques sont liées à chacun des niveaux et concernent tout le monde, les entreprises comme les particuliers. Ce système n’est pas parfait, mais il a des effets bénéfiques et on pourrait s’en inspirer. Chez nous, la communication vers la population n’est pas toujours cohérente et passe avant tout par les médias. Ce n’est pas idéal pour la perception de la réalité du problème par le grand public et l’adhésion aux efforts à accomplir. On doit aborder cet enjeu de manière plus collective, c’est l’avenir. C’est un risque qui se matérialise lentement, on a donc des marges d’anticipation que l’on peut utiliser.