Pollution aux PFAS : l’émission #Investigation de la RTBF met les pieds dans les usines Solvay
Après 3M en Belgique, c’est au tour de Solvay d’être rattrapé par la pollution que génèrent ses activités. Une enquête de la RTBF met en lumière la contamination aux "polluants éternels" de populations riveraines d’usines du groupe aux États-Unis et en Italie.
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- Publié le 07-09-2022 à 07h12
- Mis à jour le 07-09-2022 à 09h54
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On n'a pas fini d'entendre parler des PFAS, cette vaste famille de substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées utilisées dans diverses applications industrielles et présentes dans de nombreux produits de la vie quotidienne. Des composés qui se voient désormais affublés du peu enviable sobriquet de "polluants éternels" en raison de leur persistance dans l'environnement et de leurs conséquences avérées ou suspectées sur la santé humaine. Un "risque chimique émergent" qui pousse un nombre grandissant d'autorités nationales et internationales, belges et européennes entre autres, à envisager des législations afin d'éliminer les utilisations non essentielles de ces substances, voire d'interdire certaines d'entre elles.
Après le scandale qui a secoué la Flandre l'an dernier après la découverte d'une importante pollution aux PFAS dans une vaste zone avoisinant une usine de la firme américaine 3M à Zwijndrecht (en province d'Anvers), c'est au tour du géant belge Solvay d'être mis en cause dans une enquête réalisée par l'équipe de l'émission #Investigation, diffusée ce mercredi soir sur la RTBF.
Pendant huit mois, le journaliste Emmanuel Morimont et le réalisateur Santos Hevia (qui ont bénéficié du soutien du Fonds pour le journalisme) se sont penchés sur les activités de la multinationale et, surtout, sur les produits problématiques que celle-ci rejette dans l'environnement. Un travail de longue haleine dont l'image de l'entreprise qui aime se présenter en locomotive d'une chimie "durable qui mène au progrès de l'humanité" ressort passablement ternie.
Un voyage qui débute à Jemeppe-sur-Sambre, dans une ancienne usine du groupe où, en 2006, un nombre anormalement élevé de décès à la suite de cancers avait été mis en évidence au sein d'une équipe d'employés affectés aux salles d'électrolyse à mercure, opère un détour par les États-Unis où Solvay est notamment poursuivi en justice par l'État du New Jersey pour une pollution à grande échelle du fleuve Delaware et de l'eau de distribution par les produits perfluorés issus de son usine de West Deptford mais, surtout, se focalise sur le cas interpellant des riverains de l'usine de Spinetta Marengo en Italie.
Un taux élevé de maladies inexpliquées
En consultant le Registre européen des polluants, l'équipe d'#Investigation s'est en effet rendu compte que ce site racheté par Solvay il y a une vingtaine d'années a battu entre 2007 et 2015 tous les records en termes de rejets de PFAS dans l'environnement. Adossé à l'usine qui occupe mille travailleurs, le village compte 6 000 habitants qui semblent frappés par un mal invisible : un taux anormalement élevé de maladies inexpliquées.
Fin 2019, une étude épidémiologique s’est penchée sur les personnes vivant dans un rayon de trois kilomètres autour de l’usine, relevant toutes les pathologies signalées dans les registres hospitaliers sur une période allant de 2001 à 2017. Le verdict est implacable : par rapport à la population de la cité voisine située un peu plus à l’écart, les habitants de Spinetta font face à une augmentation notable du risque de développer une tumeur au foie (+30 %), un cancer du rein, de l’hypertension, des maladies cardiovasculaires mais aussi des pathologies neurologiques chez les enfants (+86 %).
Pour autant, aucune étude n’a jamais été réalisée qui permet de démontrer un lien entre les produits chimiques rejetés par l’usine Solvay dans l’environnement et ces maladies.
Un vide qu’a tenté de combler l’équipe de la RTBF, qui révèle au passage qu’en 2019 toujours, Solvay a été condamné par la justice italienne, conjointement avec l’ancien propriétaire de l’usine, pour sa coresponsabilité dans une pollution historique de la nappe phréatique par un cocktail de substances toxiques. Un jugement accompagné d’attendus sévères que l’entreprise, s’appuyant sur une décision d’un tribunal d’arbitrage privé, conteste devant la Cour européenne de justice.
Analyses inquiétantes
Épaulée par la scientifique italienne Sarah Valsecchi, qui suit ce dossier depuis de nombreuses années, l'équipe de #Investigation a d'abord collecté des échantillons dans les eaux de rejet de l'usine dédiée à la fabrication des très rentables polymères. Des prélèvements qui font apparaître des taux importants de PFOA, une ancienne génération de PFAS que l'entreprise n'utilise pourtant plus depuis plusieurs années, mais aussi des substances de substitution (l'ADV et le cC604) non moins problématiques, affirme la chercheuse. Des polluants dont on trouve également trace dans l'air.
Avec l’appui d’une doctoresse locale, des prises de sang ont par ailleurs été réalisées sur une cinquantaine de volontaires à qui l’on a également demandé de répondre à un questionnaire sur leurs habitudes de vie. Trente de ces personnes vivent à proximité de l’usine, tandis que vingt autres, ayant valeur de groupe témoin, résident à plus de trois kilomètres de celle-ci. Ce matériel a ensuite été confié à des scientifiques du CHU et de l’ULiège, qui l’ont analysé de façon approfondie pendant cinq mois.
Une longue attente qui a livré là encore des résultats peu rassurants. Comparé au groupe témoin, les habitants de Spinetta présentent une contamination aux PFOA "significativement plus importante", relève la Pre Corinne Charlier, directrice du service de toxicologie clinique du CHU. Des taux cinq à dix fois supérieurs, selon les cas, qui traduisent de façon évidente "une exposition trop importante" qu'il convient de réduire. "Cinquante-cinq pour cent de ces échantillons dépassent le seuil d'alerte fixé par l'Allemagne, le seul pays à ce jour à avoir fixé des normes en la matière", souligne Emmanuel Morimont. Directeur du laboratoire de spectrométrie de masse à l'ULiège, Gauthier Eppe a mis pour sa part en évidence la probabilité de la présence d'ADV dans 100 % des échantillons sanguins des habitants du village.
Marges d’incertitude
Des révélations qui ont semé un certain émoi parmi les principaux intéressés.
Une mise en cause que Solvay conteste vivement, dénonçant une analyse "qui n'est pas scientifique, qui repose uniquement sur un échantillonnage instantané et limité".
Aussi spectaculaires que soient ces résultats, cette enquête n’a pas valeur de preuve, reconnaît sans détour Emmanuel Morimont, qui déplore pour sa part l’attitude d’obstruction de l’entreprise qui lui a refusé l’accès au site, acceptant uniquement de répondre par écrit à ses questions. Et de dénoncer des tactiques similaires à celles de l’industrie du tabac, en jouant sur les marges d’incertitude qui entourent toujours l’ampleur des effets néfastes des PFAS sur la santé publique.
"Il est impossible de dire sur base de notre échantillon quels seront les effets sur la santé des riverains, mais ces analyses donnent en tout cas une première indication qui n'est pas bonne et qui mérite une vérification plus large", ajoute-t-il. Un message qui semble avoir été entendu puisque les autorités sanitaires italiennes ont annoncé récemment leur intention de lancer en févier 2023 une opération de biomonitoring à large échelle des citoyens de Spinetta Marengo, qui comprendra des examens sanguins.