Michel Vandenbosch, président de Gaia: "Nous avons été confrontés à une réaction extrêmement violente, menace de mort et d'attentat"
L’association belge de défense des animaux Gaia fête ses 30 ans. La façon d’envisager les animaux a changé radicalement durant cette période au sein de la société. Science et militance ont convergé.
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Publié le 22-10-2022 à 13h28
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Gaia, l’association belge de défense des animaux, fête ses 30 ans ce 23 octobre. Trente ans de campagne choc et de conflits avec les politiques ou les maquignons. L’occasion de dresser un petit bilan de son action avec son cofondateur, Michel Vandenbosch, philosophe de formation
Par quelle campagne a débuté Gaia et comment a-t-elle été accueillie ?
Tout a commence en fait en 1985 quand j’étais jeune étudiant (24 ans) et que j’ai pu découvrir un scandale. Je m’intéressais fort aux sorts des primates et je représentais la ligue internationale de la protection des primates. Dans ce cadre, j’ai découvert que le roi Baudouin, à l’époque, avait lors de sa visite au Zaïre de Mobutu et avait reçu comme cadeau trois jeunes chimpanzés. Un était resté là-bas, les deux autres avait été mis dans des sacs et transportés avec l’avion royal en Belgique. Ces chimpanzés étaient plus morts que vifs. Les chimpanzés étaient déjà à l’époque une espèce menacée et le commerce de chimpanzé était bel et bien interdit. J’ai rendu cela public. Mais le Roi – en tous cas son entourage – et le gouvernement belge estimaient que c’était des cadeaux et donc une exception. Beaucoup de gens ont été choqués. Cela a fait le tour du monde, le Wall Street Journal a même titré "le roi Baudouin, roi des trafiquants de chimpanzés". La Libre Belgique a aussi fait des articles. Leo Tindemans, ministre des Affaires étrangères CVP, défendait à la radio cette pratique en disant que c’était l’habitude et qu’il n’y avait pas de mal à cela. Le gouvernement a essayé de régulariser les choses en antidatant des documents, et en affirmant que les chimpanzés n’étaiient pas une espèce menacée. Ce que j’ai à nouveau découvert et rendu public. Au final, la diplomatie belge a mis en place un nouveau protocole, déclarant que dorénavant, des cadeaux de ce genre ne peuvent plus être acceptés par les chefs d’Etat. Les deux chimpanzés ont été transférés au zoo d’Anvers, dont le dernier est mort l’an dernier. Donc, avec cela, j’ai vu personnellement que non seulement je savais dénoncer des pratiques inacceptable mais que j’arrivais aussi à atteindre un résultat. J’ai décidé de consacrer ma vie à la a défense des animaux…
Le grand public associe Gaia à ses campagnes choc. Vous jouez avec les médias, et avez aussi compris leur puissance dans le cadre de vos combats…
Oui, bien sûr. Dès notre toute première campagne avec Gaia, nous avons réussi mais nous avons créé une crise gouvernementale ! C’était à propos des cruelles courses de chevaux en rue. Les gens acclamaient quand les chevaux tombaient, se blessaient, etc. En Belgique, personne ne savait ce qui se passait dans ce patelin de Flandre occidentale. Dès le début, nous avions compris qu’il fallait par le biais des médias essayer d’atteindre au maximum les gens, les citoyens, les bombarder de scandales, pour qu’ils se réveillent, se posent les bonnes questions : "Comment est-ce possible ?" Qu’ils se disent que "ce qui se passe avec ces animaux, ce n’est pas tenable"… Nous faisons appel à leur sens de l’empathie pour qu’ils se mettent à la place de l’animal, dans l’optique de faire bouger les choses. Au fil du temps, progressivement, cela nous a réussi. Dans ce cas-ci, le ministre de l’Agriculture, André Bourgeois, habitait à quelques kilomètres des courses, et ne voulait pas y mettre fin. Il a menacé de démissionner, ce qui aurait pu faire tomber le gouvernement. Le PS et le SP ont déposé une proposition de loi visant à interdire ces courses et le CVP a dû plier. Je me souviens que j’étais en tôle, après une manifestation au cabinet de M. Bourgeois, et Elio Di Rupo m’a téléphoné pour dire que pour le PS, il fallait interdire ces courses. Avec le SP, il a déposé une proposition de loi visant à interdire les courses, ce qui a été fait. Le CVP a dû plier et le ministre Bourgeois n’a pas démissionné. Et c’est la dernière fois que la compétence du Bien-être animal était intégré à l’Agriculture. C’était l’une de nos demandes.

À ses débuts, Gaia faisait en fait plutôt rire…
À une époque, au Parlement, si un député avait l’audace de poser une question concernant la souffrance ou les mauvais traitements des animaux, à chaque fois, on entendait certains de ses collègues grogner, miauler, aboyer. Ce qui prouve déjà qu’on ne prenait certainement pas cette cause au sérieux. Avec Gaia, nous voulions créer une association qui soit capable d’apporter des changements. Et c’est le sort de chaque mouvement social se basant sur des fondements éthiques : on se moque des gens qui sont à la base et moteurs de ce mouvement, c’est typique. Ann (De Greef, cofondatrice) et moi, nous étions convaincus de la justesse de notre cause. Nous sommes convaincus que cela fait avancer le processus de civilisation. Une société qui s’estime civilisée, surtout et avant tout, s’occupe et se soucie des intérêts de bien-être et de qualité de vie des plus vulnérables et de tous ceux qui ne savent pas se défendre eux-mêmes, qu’ils aient un visage humain ou le visage, disons, d’un animal. Et au fil des années, la situation a changé.

Y a-t-il eu un basculement dans ce changement de la vision des animaux dans la société belge ?
En 1998, il y a eu un basculement considérable. Les gens ont allumé leur télé et ils ont vu les images qui montraient comment, personnellement, je me faisais tabasser à coups de bâton par les maquignons au marché de chevaux d’Anderlecht (nous avions réussi à faire interdire en trois semaines le marché aux chevaux de Molenbeek- lorsqu’il avait signé le document mettant fin au marché dans son bureau, Philippe Moureaux m’avait d’ailleurs dit, ‘vous vous êtes le roi des emmerdeurs’). Les gens ont vu comment ces maquignons étaient capables de traiter ainsi un être humain comme, en fait, ils maltraitaient les animaux. Je me souviens vraiment de la haine dans les yeux de mes attaquants. Les gens, pour la première fois peut-être, ont compris que ce que Gaia dénonçait n’était pas une partie de plaisir. Cela a été suivi en 2000 par le scandale (de maltraitance) des marchés aux bestiaux d’Anderlecht et de Ciney (animaux exténués recevant des chocs électriques, taureaux criant de douleurs sous les coups…), qui a déclenché l’horreur générale dans tout le pays et à l’étranger – ces images ont été diffusées jusqu’en Chine.
Nous avons été confrontés à une réaction extrêmement violente : menaces de mort et d’attentat, planifiées par la mafia de la viande où des personnes voulaient se débarrasser de moi. La gendarmerie avait trouvé que trois personnes avaient planifié un attentat. J’ai dû changer d’adresse chaque jour pendant quelques semaines. Je sentais une escalade. On avait atteint le sommet, dans un sens péjoratif, il fallait qu’on change de stratégie. Pour atteindre nos buts, il fallait que Gaia puisse continuer ses campagnes de manière durable. Soit on restait dans les tranchées, soit on essayait d’arriver à du progrès par la concertation : trouver un terrain d’entente, même en partant d’intérêts différents. On a essayé et cela a marché. C’est ainsi que la Belgique est devenue le premier pays de l’UE à interdire l’élevage de lapins pour la production de viande, dans des cages individuelles. Les grandes surfaces s’y sont associées.
Le secret d’une concertation fructueuse est de bénéficier de la pression de la population ?
Tout à fait. Et là, on fait très attention à toujours disposer du soutien populaire. Nous choisissons nos batailles. Je ne m’engage dans une bataille que quand je suis sûr de gagner. C’est pour cela qu’on fait toujours des sondages, pour prendre la température, pour voir si les gens partagent nos objectifs ou non. Depuis quelques années déjà, dans la majorité écrasante des cas, les citoyens sont d’accord.
De manière générale, les découvertes scientifiques ont aussi joué un rôle dans le basculement vers une société plus sensible à la cause animale, sur cette prise de conscience ?
Je crois qu’en Belgique, autant nos détracteurs que nos supporters doivent reconnaître que nous avons été un facteur majeur. Mais bien sûr, il y a aussi eu des personnalités extraordinaires comme Jane Goodall et la recherche scientifique a dévoilé que les animaux (tous les vertébrés et de façon sûre quelques invertébrés) sont des êtres conscients, des êtres sensibles, "sentient", donc ils méritent le respect, et il ne faut pas les traiter comme des choses. Il n’y a pas une semaine où une nouvelle étude ne confirme cette capacité de sensibilité des animaux, de sens de soi-même… Donc, les animaux deviennent de plus en plus des personnes, des individus. C’est le grand défi qui nous attend, nous appelons cela la transition animale. Cela se fera progressivement : la transition vers un animal non plus considéré comme une marchandise, mais comme quelqu’un ayant sa propre individualité.
La conclusion logique est alors que l’on n’en mange plus ?
C’est un de nos objectifs pour l’avenir. Mais cela ne marche pas comme Staline ou Poutine ! On ne va obliger les gens, mais les citoyens doivent prendre conscience des bénéfices de ne plus manger des animaux, pour des raisons éthiques mais aussi parce que la production de viande contribue au changement climatique. Si les gens se soucient moins des animaux, qu’ils se soucient de leur avenir et de celui de leurs enfants. Cela dit, jamais 100 % des Occidentaux ne deviendront végétariens. Nous sommes donc de fervents défenseurs de la viande cultivée, vraie viande à base de cellules souches animales mais pour laquelle aucun animal n’est élevé dans les conditions effroyables de l’élevage industriel et intensif et sans que l’on abatte des êtres sensibles et vulnérables.