COP 15 biodiversité : un accord “historique” est trouvé pour protéger 30 % de la planète
La COP 15, sommet de l’Onu sur la biodiversité, a accouché d’un accord mondial pour stopper la destruction de la nature. La Chine, présidente de la COP, avait fait une proposition de texte d’accord dimanche après-midi, qui demande la protection de 30 % de la planète.
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Publié le 18-12-2022 à 19h12 - Mis à jour le 19-12-2022 à 19h39
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Quelque 196 nations ont adopté ce lundi matin vers 9 h 30 (heure belge) à Montréal (Canada) un plan pour sauver la biodiversité dans les prochaines décennies, consistant en quatre objectifs et 23 cibles à atteindre pour 2030. Cet accord, qualifié d’historique par acteurs et observateurs, intervient après deux semaines de négociations au Sommet mondial de l’Onu sur la biodiversité (COP 15) et après des avancées concernant les zones protégées et le déblocage de nouveaux moyens financiers.
Ce texte de compromis n’est pas fondamentalement différent de celui que la présidente de la COP, la Chine, avait proposé dimanche après-midi aux négociateurs. Il contenait notamment une cible emblématique sur laquelle tous les regards étaient tournés : le monde devra ainsi atteindre 30 % de protection terrestre et 30 % de protection marine d’ici à 2030.
Globalement, il s’agit d’un “accord historique”, a jugé la Convention sur la diversité biologique (CDB). “L’objectif de 30X30 (30 % d'aires protégées d'ici à 2030) est retenu, et fixe désormais le cadre de protection de notre biodiversité au niveau international. C’est un game-changer”, a déclaré la cheffe de la délégation belge à Montréal et ministre fédéral de l’Environnement Zakia Khattabi (Ecolo).
Conservation et gestion efficace de 30 % des terres et des océans
Les pays se sont en effet accordés sur la “conservation et gestion efficaces d’au moins 30 % des terres, des eaux intérieures, des zones côtières et des océans du monde”, en mettant l’accent sur “les zones particulièrement importantes pour la biodiversité et le fonctionnement et les services des écosystèmes”. Les territoires et les pratiques autochtones et traditionnels dans ces aires devront être “reconnus”.
Actuellement, 17 % et 10 % respectivement des zones terrestres et marines du monde sont sous protection. L’objectif est mondial et non pas national, impliquant que certains en fassent plus que les autres, ou en fasse plus sur terre que sur mer. À titre d’exemple, l’Autriche a adopté l’accord de protéger 30 % des océans alors qu’elle n’en a elle-même évidemment pas.
Chacun des pays, avec ses caractéristiques propres, devra donc se montrer ambitieux, car seuls huit ans sont prévus pour y arriver. Et il faut aussi faire attention aux 70 autres pourcents restants.
Selon le nouveau cadre, l’humanité devrait aussi faire en sorte d’obtenir pour 2030 la restauration de 30 % des écosystèmes dégradés, ainsi que stopper l'extinction des espèces menacées par l'homme et la perte de zones de haute importante pour la biodiversité. L’introduction des espèces envahissantes doit aussi être diminuée de moitié.
Pas d’empreinte écologique
Un autre objectif est de “réduire de moitié le gaspillage alimentaire mondial”. Même chiffre pour “l’excès de nutriments et “le risque global posé par les pesticides et les produits chimiques hautement dangereux”.
En termes d’agriculture, dans le premier compromis comme dans le texte final, il n’est donc plus question de diminuer de 50 % (voir deux tiers) les pesticides eux-mêmes comme il était envisagé au départ de la COP mais seulement leurs “risques”. La question est de voir comment cela se peut se traduire scientifiquement. “On savait que cette cible “agriculture” ne serait pas celle qui aurait le plus de “dents”, on s’y attendait, c’est celle qui est âprement négociée depuis le départ, remarque par ailleurs Julien Rochette, spécialiste de la gouvernance en matière de biodiversité à l’Iddri (Institut français des relations internationales et du développement durable). Mais c’est important qu’il y ait un objectif chiffré, les pays du Nord y tenaient, et ce n’était pas gagné. “L’UE, isolée, a tenu bon. Un progrès tout de même car rien n’existait en effet sur ce thème dans le cadre précédent.
Le texte passe par ailleurs à la trappe dans un des quatre grands buts (goals) la mention d’empreinte écologique. Aucun chiffe n’est non plus associé à la réduction de l’empreinte de la consommation à la cible 16. Le sujet était cher notamment à la Belgique, qui arrivait à la COP avec la volonté de réduire cette empreinte écologique de 50 % d'ici à 2030 au niveau mondial.
“Je ne suis pas surprise de cette absence, avoue Juliette Landry, chercheuse à l’Iddri. “C’est quelque chose qui était avancé par l’Union européenne et des ONG comme le WWF mais la Convention pour la biodiversité n’est pas encore le forum prêt à discuter de ces questions-là.”
Le point crucial des ressources financières résolu
De manière générale, ” cet accord franchit un grand pas par rapport à ce qui préexistait à l’échelle des Nations Unies sur la protection de la biodiversité. Il y a un progrès notable dans trois dimensions importantes : les objectifs et engagements sur la nature eux-mêmes, la mobilisation des moyens financiers et les mécanismes de responsabilisation des États et des acteurs (entreprises…)”, résume Sébastien Treyer, directeur de l’Iddri.
”C’est historique. Le résultat de la COP15 établit des objectifs et des calendriers mondiaux qui peuvent voir la nature échapper au gouffre d'ici à 2030, juge de son côté l’activiste Liz Gallagher, directeur de Portfolio. earth, qui s’attache à surveiller l’impact de la finance sur la crise de la biodiversité. La COP 15 donne une destination claire, de l’argent et une feuille de route pour arrêter et inverser le déclin de la nature. La volonté d’atteindre des économies positives pour la nature est désormais reconnue par le droit international – il n’y a aucune excuse pour l’inaction. Nous pouvons nous attendre à ce que les gouvernements planifient et légifèrent en conséquence.”
Un point très important des négociations concernait en particulier les ressources financières pour mettre en œuvre ce plan et surtout les transferts financiers du Nord vers les pays les moins développés pour aider ceux-ci dans l’application des mesures.
Le nouveau cadre exige de “porter les flux financiers internationaux des pays développés vers les pays en développement”, à au moins 20 milliards de dollars par an d'ici à 2025, et à au moins 30 milliards de dollars annuels d'ici à 2030.
De nombreux pays du Sud réclamaient la somme de cent milliards de dollars annuels. Mais les premiers projets eux avançaient le montant de dix milliards, on peut donc considérer qu’il s’agit aussi d’une forte avancée du côté des pays du Nord. Chaque partie a dû faire un compromis important.
Un fonds dédié peut-être après 2030
Pour “compter” cet argent et y accéder plus facilement, les pays du Sud demandaient aussi la création d’un fonds spécial dédié à la biodiversité (sur le modèle de celui pour le climat), mais les pays du Nord étaient réticents. Un compromis avait été proposé par la Chine (inspirée d’une suggestion colombienne, qui proposait la création d’une branche spéciale dans le Fonds mondial pour l’environnement déjà existant) dimanche, qui a encore été amendé depuis dans ce nouveau texte.
”Sur la mobilisation des ressources, on voit que la question du Fonds a été cruciale, commentent les experts de l’Iddri. Il est décidé qu’un fonds sera créé sous le mécanisme existant (le FEM), le compromis proposé par la Colombie en début de semaine. Il aura néanmoins une date de fin prévue en 2030, et des options seront explorées pour créer un fonds indépendant dédié à la biodiversité. Cependant, le langage précise que le fonds devrait “en particulier” soutenir les pays les moins développés et vulnérables, a disparu.”
Autre point d’attention : le monitoring des progrès des pays dans leur implémentation nationale du cadre global. Concrètement, au cours de la prochaine année, les 196 gouvernements sont censés rentrer chez eux et mettre en œuvre ce qui a été convenu sur leur propre territoire, et se rendre compte mutuellement de leurs avancées. Cet aspect de la vérification des efforts était très surveillé, car le plan décennal signé au Japon en 2010, auquel ce nouveau cadre négocié à Montréal doit succéder, n’a atteint quasiment aucun de ses objectifs, car le monitoring des avancées faisait défaut.
Avec ce nouveau cadre, les gouvernements doivent élaborer des plans d'ici à 2024 pour atteindre ces objectifs tout le monde se réunissant ensuite tous les deux ans pour vérifier les progrès. La première évaluation des avancées se fera donc en 2026. Par rapport au compromis de dimanche, où ces jalons temporels avaient déjà été prévus, les termes choisis sont plus stricts car ils précisent que les pays doivent utiliser des indicateurs communs dans leur rapport. Certaines ONG comme le WWF regrettent cependant l’absence de mécanisme de “cliquet” obligatoire qui tiendrait les gouvernements redevables et les pousserait à intensifier l’action si les objectifs ne sont pas atteints.
”Certains éléments du nouveau cadre sur la biodiversité seront à préciser dans un second temps, par exemple sur l’éventuelle création d’un instrument de financement indépendant, ou encore les modalités de la “revue globale” qui nous permettra de faire le bilan à deux reprises avant 2030. La Cop16 en Turquie fin 2024 représentera par ailleurs un moment important pour adopter des modalités supplémentaires, qui ne sont pas moins importantes”, remarque encore l’Iddri.
Éliminer les subventions nuisibles
Au niveau financier, les états devront aussi “éliminer progressivement ou réformer d'ici à 2030 les subventions qui nuisent à la biodiversité d’au moins 500 milliards de dollars par an, tout en augmentant les incitations positives pour la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité.” Des études montrent que 1800 milliards de subsides annuels sont nocifs à la nature.
Les participants devront aussi “mobiliser d'ici à 2030 au moins 200 milliards de dollars par an en financement national et international lié à la biodiversité de toutes les sources – publiques et privées.
Les entreprises sont aussi concernées par le nouveau plan.
Les membres de la Convention devront enfin exiger des grandes entreprises transnationales et des institutions financières “qu’elles surveillent, évaluent et divulguent” de manière transparente leurs risques, leurs dépendances et leurs impacts sur la biodiversité à travers leurs opérations, leurs chaînes d’approvisionnement et de valeur et leurs portefeuilles. “C’est un point crucial : les grandes entreprises et les investisseurs doivent également rendre compte de leurs actions qui ont également un impact sur la nature et la protègent, se réjouit Liz Gallagher.” Le nouvel accord mondial pour la nature est entièrement différent de son prédécesseur (Aichi) qui a été largement ignoré. La Cop15 place en son cœur des plans gouvernementaux solides et la responsabilité des entreprises ; tous les pans de notre économie sont concernés ; personne n’en est exempté. Mais cela nécessitera que la société civile reste attentive et les pousse à réellement agir.”
De 2023 à 2030, la société civile va en effet pouvoir surveiller les engagements des pays sur les ajustements de leur trajectoire.
”L’accord représente une étape majeure pour la conservation de notre monde naturel, et la biodiversité n’a jamais été à une aussi haute place sur l’agenda politique et des entreprises, mais il peut être compromis par une mise en œuvre lente et l’incapacité à mobiliser les ressources promises”, abonde le WWF.
De son côté, la Convention sur la diversité biologique prévient elle aussi déjà : “Si les actions listées dans le plan ne sont pas prises, il y aura une nouvelle accélération du taux mondial d’extinction des espèces, qui est déjà au moins des dizaines à des centaines de fois plus élevé que la moyenne des 10 derniers millions d’années.”
Le temps presse : 75 % des écosystèmes mondiaux sont altérés par l’activité humaine, plus d’un million d’espèces sont menacées de disparition et la prospérité du monde est en jeu : plus de la moitié du PIB mondial dépend de la nature et de ses services.