Plus de trois cents dauphins échoués sur les côtes françaises : “Ces animaux sont morts de stress. Ce n'était pas une mort sans douleur"
“Cet hiver, un nouvel épisode intense de mortalité de cétacés a été observé sur la façade Atlantique en France”, ont annoncé les scientifiques de l’Observatoire Pelagis. “La majorité présentait des traces de capture dans un engin de pêche”.
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Publié le 30-01-2023 à 15h38 - Mis à jour le 30-01-2023 à 16h21
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Plus de trois cents dauphins ont été retrouvés morts ces dernières semaines sur les plages de l’Atlantique français, choquant les politiques, les scientifiques et les associations environnementales de l’Hexagone. “Cet hiver, un nouvel épisode intense de mortalité de cétacés a été observé sur la façade Atlantique en France”, viennent d'annoncer les scientifiques de l’Observatoire Pelagis. Cet événement a touché plus particulièrement les côtes de Vendée et de Charente-Maritime, où 60 % des échouages ont eu lieu; la plupart ont été observés entre le 5 et le 20 janvier.
Plus de 350 petits cétacés ont été enregistrés, dont 90 % de dauphins communs. “La plupart de ces animaux ont pu être examinés par des correspondants locaux du Réseau national échouage et l’Observatoire des mammifères et oiseaux marins Pelagis. La majorité présentait des traces de capture dans un engin de pêche et quelques-uns portaient des bagues (bracelets autour de la caudale avec un identifiant). Ces bagues sont posées volontairement par les pêcheurs sur les carcasses avant d’être déclarées et rejetées en mer. L’objectif de ce programme vise à mieux comprendre le processus de dérive des carcasses et d’identifier les zones de mortalité”, expliquent les scientifiques de Pelagis.

Depuis plusieurs années, de tels phénomènes de surmortalité liés aux captures dans des équipements de pêche sont régulièrement enregistrés en hiver, principalement en février et mars. Le phénomène actuel, en plus d’être intense, est donc en outre précoce.
Morts de peur
De quoi sont morts exactement ces dauphins ? En résumé : de peur.
”Les pêcheurs ne cherchent pas à attraper les dauphins. Les dauphins font partie des espèces protégées, on ne peut pas les pêcher. Ce n'est donc pas volontaire, nous rappelle Hélène Peltier, chargée de recherche à La Rochelle Université – Observatoire Pelagis. Mais par contre, les dauphins sont pris accidentellement dans les engins de pêche et finissent par faire un arrêt cardiaque. Ils sont capturés dans des filets maillants et des filets qu’on appelle trémail, "tré" pour trois couches de filets. En fonction de l’espèce de poisson pêchée, ils auront des caractéristiques différentes. On sait qu’il y a des captures dans ces deux types de filets existants. Il y a aussi un peu de captures dans les chaluts pélagiques. Ce sont des grandes poches tirées derrière les bateaux (les chalutiers, NdlR). A l'inverse, les autres filets en nylon sont déployés dans l'eau par les pêcheurs et laissés sur place. Les bateaux repartent et laissent les filets, qui sont fixés au fond de l’eau, pêcher tout seuls. Ensuite, les pêcheurs reviennent pour les récupérer, c’est alors qu'ils trouvent des dauphins dedans.”
Dans l’écrasante majorité des cas, l’animal est déjà mort quand les pêcheurs arrivent. Ils doivent néanmoins le libérer, ce qui laisse, tout comme les filets, des traces sur les corps des animaux à l’autopsie. “Ils ne peuvent pas garder un animal mort dans les filets et ils doivent parfois lui couper les nageoires pour le libérer. Une autre possibilité est d’utiliser une gaffe, un manche avec un crochet au bout pour pouvoir approcher l’animal du bateau et, du coup, pouvoir démêler en le maintenant avec la gaffe.”
La crise cardiaque des dauphins, poursuit la chercheuse, est causée “par le stress. Ils sont bloqués dans les filets, ils ne peuvent pas remonter… On pense même qu’ils font un arrêt cardiaque avant même de s’asphyxier. Ce n’est pas une mort sans douleur…”
"Il faut fermer les pêcheries"
Quelles sont les solutions ? “Pour l’instant, le consensus européen, c’est la fermeture de pêche, répond Hélène Peltier. Parce qu’aujourd’hui, c’est la seule solution que l’on sait vraiment efficace et que l’on peut avancer. En ce qui concerne les solutions d’améliorations technologiques, comme des balises acoustiques dissuasives et des techniques de ce genre, c’est efficace sur les chaluts mais pour les filets, qui constituent aujourd’hui la majorité des captures, on n’a pas vraiment de choses qui fonctionnent. Si vous me demandez, en mesure d’urgence, ce qu'on peut faire contre les captures tout de suite, pour les scientifiques au niveau européen, le consensus est qu'il faut fermer certaines pêcheries à certains moments.”

Le Conseil International d’Exploration de la Mer (Ciem) qui réunit des experts de haut vol a d’ailleurs préparé des scénarios concrets dans ce cadre. L’avis du Ciem indique clairement que la baisse rapide du nombre de captures "passe impérativement par une fermeture des pêcheries incriminées d’au moins deux mois en hiver, dans tout le golfe de Gascogne". "De plus, poursuit l'avis, le contrôle des captures de dauphins, basé sur un principe purement déclaratif de la part des pêcheurs, ne correspond pas à la nécessité car à l’évidence, il ne recoupe pas le nombre réel de prises estimées d’après les dauphins échoués, et de très très loin. Une forte intensification des observations indépendantes en mer est indispensable, avec si besoin un contrôle des captures par caméra embarquée (technologie pratiquée dans plusieurs pays)."
Dimanche, suite à ces différents échouages, quinze députés de tous bords politiques ont demandé au gouvernement français d’agir en interdisant pour un mois les techniques de pêche non sélectives. “Une suspension hivernale des techniques de pêche non sélectives dans les zones les plus sensibles reste la seule option pour protéger efficacement les dauphins”, écrivent-ils ainsi dans une tribune publiée par Journal du Dimanche. Mercredi, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) avait déjà appelé à une interruption d’au moins un mois de certaines pratiques de pêche soupçonnées d’avoir causé la mort des animaux.