Qu'est-ce que ce traité sur la haute mer qui était en négociation depuis 15 ans et pourquoi est-il crucial ?
Les pays de l'Onu se sont accordés cette nuit sur un traité pour la haute mer. L’océan situé hors des eaux dépendant des États ne bénéficiait jusqu’ici de quasi aucune réglementation. La création de vastes aires marines protégées est désormais possible.
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Publié le 05-03-2023 à 13h47 - Mis à jour le 06-03-2023 à 13h32
Les représentants de l’Onu n’ont pas quitté la salle de négociation pendant 48 heures et sont en retard d’un jour sur l’horaire fixé, mais ils ont obtenu un accordé déjà jugé “historique” pour protéger ce qui constitue la moitié de la planète et plus de 60 % des océans. Les États membres des Nations Unies se sont enfin mis d’accord dans la nuit de samedi à dimanche à New York sur le premier traité international de protection de la haute mer, crucial pour contrecarrer les menaces qui pèsent sur des écosystèmes vitaux pour l’humanité.
La haute mer est surnommée le dernier Far West ou le dernier “no man’s land” de la planète car elle se réfère à l’ensemble de l’océan se trouvant à plus de 370 km des côtés d'un État. Il s’agit donc d’immenses territoires qui n’appartiennent à personne et pour lesquels il n’existe quasiment pas de lois, en particulier entre le fond et la surface des océans. Un traité qui prévoit des règles pour ce “Far West” était donc en négociation depuis des années entre les pays de l’Onu. Au cœur de ces discussions se trouvait la création de zones marines protégées.
”Le navire a atteint le rivage”
Samedi à 3 heures 30 heure belge, la présidente de la conférence Rena Lee a enfin annoncé que “le navire a atteint le rivage”, sous les applaudissements nourris et prolongés des délégués au siège de l’Onu à New York. Après plus de 15 ans de discussions, dont quatre années de négociations formelles, la troisième “dernière” session à New York a finalement été la bonne, ou presque. C'est après deux semaines d’intenses discussions en forme de montagnes russes, dont une session marathon dans la nuit de vendredi à samedi, que les délégués ont finalisé le texte. Le contenu est désormais gelé sur le fond, mais il sera formellement adopté à une date ultérieure après avoir été passé au crible par les services juridiques et traduit pour être disponible dans les six langues officielles de l’Onu.
Le contenu exact du texte n’a pas été publié dans l’immédiat. On sait en tous cas qu’il entérine la volonté de créer des aires marines protégées. Il s’agit en particulier d’atteindre l’objectif 30x30, à savoir protéger 30 % des océans du monde d’ici à 2030, but fixé par l’ensemble des gouvernements de la planète dans le cadre de la Cop biodiversité à Montréal en décembre 2022. Sans traité haute mer, cet objectif échouerait certainement, car jusqu’à présent aucun mécanisme juridique n’existait pour créer des aires marines protégées en haute mer. L’accord ouvre donc la voie à la création d’aires marines entièrement ou hautement protégées dans tous les océans du monde. Les réserves naturelles de haute mer sont des zones où les activités humaines sont strictement réglementées : navigation durable, recherche scientifique dans le respect de la nature, tourisme nautique durable, pas de pêche débridée.
Concrètement, l'objectif 30x30 revient à placer sous protection 11 millions de kilomètres carrés d'océan chaque année d'ici 2030.
Le traité fournira le cadre juridique pour l’établissement de vastes aires marines protégées (AMP) mais également pour le partage des ressources génétiques de la haute mer.
Le traité sur “la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale” introduit également l’obligation de réaliser des études d’impact sur l’environnement des activités envisagées en haute mer. “Le nouveau traité fera entrer la gouvernance des océans dans le XXIe siècle, notamment en établissant des exigences modernes pour évaluer et gérer les activités humaines planifiées qui affecteraient la vie marine en haute mer, tout en garantissant une plus grande transparence, a commenté à ce sujet le groupement d'ONG High Seas Alliance. Cela renforcera considérablement la gestion efficace par zone de la pêche, de la navigation et d’autres activités qui ont contribué au déclin général de la santé des océans.”
Enfin, le traité établira une conférence des parties (Cop) qui se réunira périodiquement et permettra aux États membres de rendre des comptes sur des questions telles que la gouvernance et la biodiversité. Pour le gouvernement belge, l'accord est "historique". "Le traité est, pour l'océan, ce que l'accord de Paris de 2015 est au climat. C'est une étape cruciale pour tous ceux qui se préoccupent des océans", a noté le ministre de la mer du Nord Vincent Van Quickenborne (Open VLD), qui a indiqué que la Belgique est prête à héberger le secrétariat de ce futur traité et que notre pays pèsera autant que possible en faveur de la création rapide de la première zone protégée en haute mer.
De leur côté, les militants environnementaux ont en général salué l’accord comme étant un tournant décisif pour la protection de la biodiversité. “Un traité historique sur les océans a finalement été adopté par les Nations unies après presque 20 ans de négociations et d’intenses mobilisations de la société civile”, a réagi l’organisation environnementale Greenpeace. Le texte comporte cependant des lacunes, souligne Greenpeace, et les gouvernements doivent veiller à ce que le traité soit mis en pratique de manière efficace et équitable. "Pour atteindre 30x30, les gouvernements doivent maintenant adopter, ratifier et mettre en œuvre sans tarder le nouveau traité", a ajouté Matthew Collis, de l'IFAW, le Fonds international pour la protection des animaux.
”Victoire pour le multilatéralisme”
Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a félicité les délégués, saluant une “victoire pour le multilatéralisme et pour les efforts mondiaux visant à contrer les tendances destructrices qui menacent la santé des océans, aujourd’hui et pour les générations à venir”.
L’Union européenne s’est également réjouie de cette “étape cruciale pour préserver la vie marine et la biodiversité qui sont essentielles pour nous et les générations à venir”, par la voix du commissaire européen à l’Environnement, Virginijus Sinkevicius, qui s’est dit “très fier” de ce résultat.
Aires marines protégées
Concrètement, la haute mer commence où s’arrêtent les zones économiques exclusives (ZEE) des États, à maximum 200 milles nautiques (370 km) des côtes et n’est donc sous la juridiction d’aucun État.
Même si elle représente la majorité des océans et près de la moitié de la planète, elle a longtemps été ignorée dans le combat environnemental, au profit des zones côtières et de quelques espèces emblématiques.
Avec les progrès de la science, la preuve a été faite de l’importance de protéger tout entier ces océans foisonnant d’une biodiversité souvent microscopique, qui fournit aussi la moitié de l’oxygène que nous respirons et limite le réchauffement climatique en absorbant une partie importante du CO2 émis par les activités humaines.
Mais les océans s’affaiblissent, victimes de ces émissions (réchauffement, acidification de l’eau…), des pollutions en tout genre et de la surpêche.
Alors le nouveau traité, quand il entrera en vigueur après avoir été formellement adopté, signé puis ratifié par suffisamment de pays, permettra de créer des aires marines protégées dans ces eaux internationales. Environ 1 % seulement de la haute mer fait l’objet de mesures de conservation.
”Les zones de haute mer protégées peuvent jouer un rôle essentiel pour renforcer la résilience face aux effets du changement climatique”, a déclaré Liz Karan, de l’ONG Pew Charitable Trusts qui a qualifié cet accord de “réalisation capitale”.
Partage des bénéfices
Enfin, chapitre hautement sensible qui a cristallisé les tensions jusqu’à la dernière minute, le traité adopte aussi le principe du partage des bénéfices des ressources marines génétiques collectées en haute mer. On parle ici du matériel génétique qui peut être tiré des éponges marines, krill, coraux, algues ou bactéries.
Les pays en développement qui n’ont pas les moyens de financer de très coûteuses expéditions et recherches se sont battus pour ne pas être exclus de l’accès aux ressources marines génétiques et du partage des bénéfices anticipés de la commercialisation de ces ressources – qui n’appartiennent à personne – dont entreprises pharmaceutiques ou cosmétiques espèrent tirer des molécules miracles.
Comme dans d’autres forums internationaux, notamment les négociations climat, le débat a fini par se résumer à une question d’équité Nord-Sud, ont commenté des observateurs.
Avec une annonce vue comme un geste pour renforcer la confiance Nord-Sud, l’Union européenne a promis, à New York, 40 millions d’euros pour faciliter la ratification du traité et sa mise en œuvre initiale.
Au-delà, elle s’est engagée à consacrer plus de 800 millions d’euros à la protection des océans en général pour 2023 lors de la conférence “Notre Océan” qui s’est achevée vendredi à Panama.
Au total, la ministre panaméenne des Affaires étrangères Janaina Tewaney a annoncé que “341 nouveaux engagements”, d’un montant de près de 20 milliards de dollars – dont près de 6 milliards des Etats-Unis-, avaient été pris lors de cette conférence pour protéger les mers.