Les travailleurs bientôt mieux protégés contre l’amiante ? “La réglementation n’est plus à jour”
L’Union européenne prévoit de modifier la réglementation sur la protection des travailleurs en contact avec l’amiante. Les nouvelles limites pourraient cependant s’avérer encore insuffisantes.
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Publié le 07-03-2023 à 14h05 - Mis à jour le 07-03-2023 à 14h20
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Avant d’entrer dans la “salle blanche”, la pièce dans laquelle est nettoyé le matériel qui revient du chantier, l’opérateur s’équipe dans la zone d’approche. Pas question de faire les choses à moitié : puisqu’il sera exposé à des fibres d’amiante, l’homme s’apprête comme lorsqu’il travaille sur un chantier. Il enfile une combinaison jetable, des gants et surtout, un masque à ventilation assistée adapté à sa morphologie. “On réalise un 'fit test' au moment où on lui donne le masque. S’il n’est pas bon, on change la taille du masque jusqu’à arriver au fit test le plus conforme”, précise Patrice Lhoir, conseiller en prévention chez REDECO, une entreprise de désamiantage agréée de la région montoise. Grâce à un filtre à particules P3, ce masque permet à l’opérateur d’être protégé contre ces fibres extrêmement toxiques.
En plus de cet équipement, l’opérateur utilise du scotch pour assurer l’étanchéité correcte entre son masque et la combinaison, ainsi qu’au niveau des gants. “Il prend une attention particulière sur ce qu’on appelle la cravate en dessous de son masque. Quand il sera sur zone, ça empêchera les fibres de rentrer à l’intérieur de sa combinaison”, souligne Patrice Lhoir. Les chaussures de sécurité sont enfilées une fois l’opérateur entré dans la zone de travail et sont elles aussi scotchées à la combinaison jetable.
Les travailleurs bientôt mieux protégés contre l'amiante ?
Un encadrement strict
Dans le secteur du désamiantage, ces précautions n’ont rien d’exceptionnel. Chaque chantier est d’ailleurs rigoureusement préparé en amont : un plan de travail, qui reprend tous les éléments du chantier (méthodologie de travail, mesures environnementales, protection collective et individuelle), est envoyé en amont à l’inspection du travail ; un permis d’environnement est demandé aux autorités compétentes et un plan de sécurité évalue les risques liés au chantier. “L’amiante est un secteur très administratif où le chef de chantier a un classeur très épais avec des formulaires et documents à compléter chaque jour et auxquels il doit faire attention”, note notre interlocuteur. “On se doit de mettre tout en œuvre pour respecter la réglementation qui a été écrite en 2006 et retranscrite en 2017 dans le code du bien-être belge”, résume-t-il.
Un règlement européen encadre en effet les travaux de désamiantage. Le texte prévoit une valeur limite de 0,01 fibre par cm3, toute fibre confondue. “Cette réglementation, pour moi, elle n’est plus à jour. On a toujours des mesures optiques qui comptent toutes fibres confondues”, explique Patrice Lhoir. Cela signifie que lorsque le laboratoire vient prendre les mesures sur le chantier, la valeur limite peut être dépassée lors de la détection de fibres de bois ou de textile, pas forcément d’amiante. “Cette mesure n’est pas très adaptée au secteur”, regrette notre interlocuteur.
L’expert aimerait également voir certains changements s’opérer au niveau des lieux des prises de mesures. “En Belgique, on contrôle l’environnement. On contrôle en extérieur de zone, mais l’opérateur lui-même, on ne le contrôle pas, poursuit-il. Pour moi, c’est un très gros problème : on s’occupe plus de l’environnement que de la santé de nos travailleurs”. Selon lui, des mesures dans la zone de travail permettraient de limiter les risques d’exposition des opérateurs. “Ce serait bien de pouvoir faire des mesures en zone pour pouvoir jouer sur la méthodologie de dépose et trouver celles qui émettent le moins de fibres possibles”, argumente-t-il. Un arrêté royal belge, qui entre en application dès le 9 mars, demande que l’exposition des enleveurs d’amiante dans la zone soit déterminée pendant les travaux.
L’impact des révisions et des ambitions européennes en cours
La situation pourrait cependant être amenée à changer. En septembre 2022, la Commission européenne a lancé une proposition législative visant à réviser la directive sur l’amiante au travail. “Ce que l’Union européenne voudrait faire, c’est passer à des mesures électroniques et compter uniquement les fibres d’amiante. C’est quelque chose de bien, c’est déjà ce qui est fait en France”, note Patrice Lhoir. Il était également question d’abaisser la valeur limite d’exposition professionnelle (VLEP) à 0,01 fibre par cm3, soit 100 fibres par litre. “Ce serait une bonne chose”, estime encore notre interlocuteur.
En février 2023, la Confédération européenne des syndicats (CES) a émis elle aussi des craintes pour la santé des travailleurs, réagissant notamment à la publication d’un rapport de l’eurodéputée Véronique Trillet-Lenoir (membre du groupe Renew Europe) sur la question. “En octobre 2021, le Parlement européen votait en faveur d’une nouvelle limite de 0,001 fibre/cm3 basée sur une étude de la Commission internationale de la santé au travail selon laquelle toute limite supérieure ne protégerait pas suffisamment contre le cancer lié à l’amiante, relève la CES dans un communiqué. Malgré cela, le rapport publié aujourd’hui (le rapport de l’eurodéputée Trillet-Lenoir sur le projet de directive “amiante”, NdlR) recommande une limite d’exposition dix fois plus élevée !”. Pour les représentants du monde syndical, cette nouvelle limite serait “insuffisante” et “arrivera trop tard pour protéger les travailleurs du cancer”.
Dangereuse vague de rénovation
Les syndicats pointent également le manque de mécanismes d’exécution pour faire en sorte que cette révision devienne réalité pour les travailleurs de première ligne. “C’est particulièrement dangereux dès lors que la propre stratégie “vague de rénovations” de l’UE augmentera le nombre d’ouvriers du secteur de la construction exposés à l’amiante lors de la démolition ou de la rénovation de bâtiments anciens plus susceptibles de contenir cette substance”, jugent-ils.

En Belgique, le rythme des rénovations devrait lui aussi s’accélérer. “On va commencer à le voir car les tours d’immeubles et les bâtiments vont devoir être rénovés parce qu’ils ne sont plus aux normes”, assure Patrice Lhoir. “Il y a toute une série de matériaux qu’on n’avait pas tellement l’habitude d’enlever en Belgique qu’on va commencer à voir de plus en plus dans les rénovations et dans les démolitions”, poursuit-il.
La Confédération européenne des syndicats (CES) rappelle quant à elle que les ouvriers ne sont pas les seuls concernés par l’exposition à l’amiante. “Pompiers, enseignants et employés de bureau sont parmi les travailleurs qui continueront à être exposés à une substance responsable de plus de la moitié des décès dus à des cancers contractés au travail dans l’UE et dans le monde. Le rapport doit protéger tous les travailleurs exposés à l’amiante, qu’il s’agisse d’une exposition directe ou de fond”, déclare la CES.