Voici “le manuel de survie de l'humanité” : Le Giec sort son rapport très attendu
Le dernier consensus scientifique sur les changements climatiques a été publié ce lundi après-midi par les experts des Nations unies. Que dit ce nouveau rapport du Giec ? Le point en quatre chiffres.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/f744db9d-4059-49f1-b3ae-ab829b0df5cc.png)
Publié le 20-03-2023 à 14h00 - Mis à jour le 21-03-2023 à 17h15
”Nous nous approchons du point de non-retour, du dépassement du seuil de réchauffement maximum de 1,5 degré”, avait prévenu le secrétaire général de l’Onu, à l’ouverture lundi dernier de la dernière réunion du Giec, les experts climat des Nations unies. Ceux-ci ont mis une semaine pour adopter la synthèse de leur sixième rapport d’évaluation, résumé de plus de 10 000 pages publiées ces dernières années sur le réchauffement climatique et sur la réponse nécessaire que l’Humanité doit y apporter. Ce nouveau rapport enfonce le clou.
”En 2018, le Giec a souligné l’ampleur sans précédent du défi à relever pour maintenir le réchauffement à 1,5°C. Cinq ans plus tard, ce défi est devenu encore plus grand en raison d’une augmentation continue des émissions de gaz à effet de serre. Le rythme et l’ampleur de ce qui a été fait jusqu’à présent, et les plans actuels, sont insuffisants pour lutter contre le changement climatique”, alertent les scientifiques dans leur communiqué de presse.
En vue de la Cop 28
Le Giec, créé en 1988, ne réalise pas d’études mais des centaines d’experts et chercheurs synthétisent la littérature scientifique existante afin d’exposer les options possibles aux décideurs politiques. La synthèse finale de ce sixième rapport est composée de deux textes. Le premier est un condensé, en une cinquantaine de pages, des trois volets principaux publiés en 2021 et 2022 – sur les preuves physiques du réchauffement, sur ses impacts et enfin sur les mesures d’atténuation – et de trois rapports spéciaux (sur les conséquences d’un réchauffement de +1,5°C, sur les océans et la cryosphère, et sur les terres émergées). Le second, d’une dizaine de pages est le “résumé pour les décideurs”, un texte hautement politique qui doit être approuvé ligne par ligne par les délégués des 195 pays membres.
À quoi ces textes servent-ils ? Ils seront la base scientifique des efforts de l’Humanité et des responsables politiques pour tenir les objectifs de l’accord de Paris : contenir le réchauffement bien en dessous de 2°C et, si possible, à 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle. Ces textes seront aussi un point d’appui majeur pour la société civile, qui a en ligne de mire le rendez-vous de la Cop 28, en décembre à Dubaï, où un premier bilan mondial des engagements des pays pour tenir les objectifs de Paris est attendu.
Quels en sont les points marquants ? La réponse en quatre chiffres.
1. Zéro doute
Le doute est nul : la responsabilité des activités humaines sur les dérèglements climatiques – et plus précisément les émissions de gaz à effet de serre relâchées dans l’atmosphère depuis les débuts de la révolution industrielle en 1750 – est “sans équivoque” aux yeux des experts du Giec. La hausse de la température moyenne mondiale de la décade 2011-2020 atteint 1,1°C quand on la compare à la période 1850-1900. “Le rythme d’augmentation de la température au cours des cinquante dernières années est le plus élevé depuis 2 000 ans. Les concentrations de dioxyde de carbone sont à leur plus haut depuis au moins deux millions d’années”, relève par exemple le secrétaire général de l’Onu.
Comment savons-nous que les humains sont à l’origine du changement climatique ? Entre autres parce que le réchauffement observé n’est reproduit que dans les simulations incluant l’influence humaine. Ces émissions de gaz à effet de serre résultent, affirme le rapport, de l’utilisation non durable de l’énergie, de l’utilisation des terres, des modes de vie et des modèles de consommation et production. Or, “les communautés vulnérables qui ont historiquement le moins contribué au changement climatique actuel sont touchées de manière disproportionnée”, insiste aussi aujourd’hui le Giec.
”Des changements rapides et généralisés se sont produits dans l’atmosphère, les océans, la cryosphère et la biosphère”, précise aussi le Giec, avançant les modifications de la circulation atmosphérique, la fonte des glaciers et des calottes glaciaires, l’acidification des océans, l’augmentation des précipitations ou encore les modifications de l’aire de répartition des espèces animales marines et terrestres… Les dérèglements du système climatique se traduisent également par des phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes dans toutes les régions habitées du monde : vagues de chaleur, pluies torrentielles, sécheresses, cyclones tropicaux… Des événements plus fréquents mais aussi plus intenses.
2. Plus de 3,3 milliards d’êtres humains très vulnérables
Un “atlas de la souffrance humaine”. C’est ainsi qu’Antonio Guterres avait qualifié début 2022 le rapport spécifique du Giec sur les impacts concrets du réchauffement sur les populations humaines. Dans son rapport ce lundi, le Giec souligne une nouvelle fois “qu’entre 3,3 et 3,6 milliards de personnes sont très vulnérables aux effets du changement climatique”, notamment aux canicules, à la sécheresse, aux pénuries d’eau ainsi qu’aux moustiques, vecteurs de maladies. Les événements météorologiques extrêmes et leur cortège de répercussions se ressentent déjà dans la vie de millions de personnes en Afrique, en Asie, en Amérique centrale et du Sud, dans les petites îles et même dans l’Arctique. Ce sont les conditions dont dépendent le bien-être et la qualité de vie des sociétés humaines dans leur ensemble qui sont menacées. Ils mettent en danger la sécurité alimentaire et hydrique, la santé, et nuisent à l’économie. Combinés à d’autres facteurs comme la pollution, l’urbanisation galopante et la fragmentation des habitats naturels, entre autres, les effets en cascade du réchauffement sapent tous les efforts de développement actuels et futurs.
Les pénuries d’eau et leurs conséquences pour différents secteurs économiques, notamment les pertes de rendements agricoles, se font ressentir, y compris en Europe. Dans toutes les régions, les épisodes de chaleur extrême se traduisent également par une hausse de la mortalité et de la morbidité humaine. La hausse des pluies et des inondations a augmenté l’apparition de maladies comme le choléra et d’autres infections gastro-intestinales. La santé mentale des populations victimes de tels événements n’est pas épargnée.

3. Le seuil de 1,5°C sera probablement rapidement atteint et dépassé
L’accord de Paris de 2015 prévoit de limiter le réchauffement climatique bien en dessous de 2°C par rapport à la fin du XIXe siècle. Mais le Giec insiste : seul l’objectif plus ambitieux de +1,5°C peut préserver le monde d’une grave crise climatique. D’ici à 2030, les émissions de gaz à effet de serre doivent diminuer de 43 % par rapport aux niveaux de 2019. Et même de 84 % d’ici à 2050. Or, elles ont continué à augmenter. Le dépassement des 1,5°C est désormais très probable, même temporairement. “Le réchauffement climatique continuera d’augmenter à court terme (2021-2040) principalement en raison de l’augmentation des émissions dans la quasi-totalité des scénarios envisagés et des trajectoires modélisées, expose ainsi clairement ce 20 mars le Giec. À court terme, il est plus probable qu’improbable que le réchauffement atteigne 1,5°C, même dans le scénario de très faibles émissions de GES et il est probable ou très probable que l’on dépasse 1,5°C dans des scénarios d’émissions plus élevées. Les meilleures estimations pour le moment où la hausse de la température moyenne mondiale atteint 1,5°C le prédisent pour le court terme. Ce sont les réductions durant cette décennie qui déterminent en grande partie si le réchauffement peut être limité à 1,5°C ou 2°C. Le réchauffement climatique redescend en dessous de 1,5°C d’ici la fin du XXIe siècle dans certains scénarios modélisés.”
Or, chaque dixième de degré compte, martèle le résumé du Giec. À +2°C, 99 % des récifs coralliens des eaux chaudes – qui abritent un quart de la vie marine – périront (contre 70 % à 1,5°C), et les récoltes des cultures vivrières de base déclineront. Un événement de chaleur extrême qui se produit une fois par décennie dans un climat sans influence humaine, se produirait 4,1 fois par décennie à 1,5°C et 5,6 fois à 2°C. Trois à 14 % des espèces terrestres pourraient disparaître, même à 1,5°C. Le scénario le plus funeste présage jusqu’à 48 % d’extinction, si le niveau de réchauffement atteint les 5°C à la fin du siècle. Si l’on se base sur les promesses des pays faites avant la Cop 26 jusqu’en 2030, le réchauffement global atteindrait 2,8°C d’ici à 2100.
Les rapports du Giec soulignent aussi, le danger des “points de basculement”, ces seuils de température qui, une fois franchis, pourraient entraîner un cercle vicieux irréversible. Aux marges de l’Amazonie, par exemple, la forêt tropicale se transforme déjà en savane. Au-delà, un réchauffement compris entre 1,5 et 2°C pourrait faire dégeler le pergélisol, libérant du méthane, ainsi que les calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique de l’Ouest. Ces dernières contiennent suffisamment d’eau pour hausser le niveau des océans d’une douzaine de mètres, certes sur des siècles mais de manière irréversible si un point de non-retour est atteint dès notre époque.

4. La neutralité carbone en 2050
Le rapport livre aussi ce qu’Antonio Guterres appelle un “manuel de survie de l'humanité” : “Limiter le réchauffement à 1,5°C et 2°C implique des réductions profondes, rapides et dans la plupart des cas immédiates des émissions de gaz à effet de serre durant cette décennie”, indique ainsi le Giec. Et ce dans tous les secteurs, y compris l’industrie, les transports, l’agriculture, l’énergie et les villes, conclut aussi le Giec.
En ce qui concerne les différents combustibles fossiles, afin de limiter le réchauffement à 1,5 degré, le charbon doit décliner de 75 % d’ici 2030 et à 95 % d’ici à 2050. La production de pétrole et le gaz doivent, elles, chacune baisser de 10 % d’ici à 2030 et, à l’horizon 2050, de 60 % pour le pétrole et de 40-45 % pour le gaz.
”Les options d’adaptation qui sont réalisables et efficaces aujourd’hui deviendront limitées et moins efficaces avec l’augmentation du réchauffement climatique”, prévient dans la foulée le Giec. Tout retard supplémentaire dans la réduction des émissions et dans l’adaptation aux effets du réchauffement déjà en germe “nous fera rater l’étroite fenêtre de tir pour assurer un avenir vivable et durable pour tous, et qui se referme très vite”.
D’ici à 2050, le monde devra être neutre en carbone, ce qui impliquera d’absorber les émissions résiduelles dans l’atmosphère. En effet, le recours à des solutions considérées il y a une quinzaine d’années encore comme ne devant être envisagées qu’en dernière extrémité est désormais incontournable. Il faudra “pomper” une fraction du CO2 rejeté dans l’atmosphère pour le stocker durablement dans des “réservoirs” terrestres.
Point positif : les solutions et les opportunités pour accroître l’action climatique sont “multiples” : le Giec encourage ainsi à une “large électrification”, une conservation “d’environ 30 à 50 %” des terres, des eaux douces et des océans de la Terre (les écosystèmes absorbent environ 50 % des GES, mais peuvent aussi réduire les inondations par exemple), mais aussi dans un tout autre domaine, à intensifier la “finance climatique”. “Il existe suffisamment de capitaux mondiaux pour réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre si les barrières existantes sont réduites, affirme le groupe d’experts dans son communiqué de presse inspiré du rapport. Il est important d’augmenter le financement des investissements climatiques pour atteindre les objectifs climatiques mondiaux. Les gouvernements, par le biais de financements publics et de signaux clairs aux investisseurs, sont essentiels pour réduire ces barrières. Les investisseurs, les banques centrales et les régulateurs financiers peuvent également jouer leur rôle.”
Autre bonne nouvelle, souligne le Giec, c’est que les alternatives aux hydrocarbures sont devenues nettement moins chères. Entre 2010 et 2019, les coûts unitaires de l’énergie solaire ont chuté de 85 % et ceux de l’énergie éolienne de 55 %. Les réductions “profondes, rapides et durables” des émissions de gaz à effet de serre conduiraient à un ralentissement perceptible du réchauffement en deux décennies environ, ainsi qu’à des changements perceptibles de la composition atmosphérique en quelques années, selon le Giec.
