"Clairement, nous allons vers des catastrophes climatiques en Belgique, comme des feux de forêt, même en forêt de Soignes"
Pour le climatologue liégeois Xavier Fettweis, ce n’est malheureusement pas ce nouveau rapport du Giec “qui fera bouger les choses mais le changement climatique lui-même et ses catastrophes…”
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Publié le 20-03-2023 à 14h00 - Mis à jour le 21-03-2023 à 17h14
Xavier Fettweis est climatologue et spécialiste de la modélisation climatique à l’Université de Liège. Il nous donne sa lecture du nouveau rapport du Giec, publié cet après-midi.
Est-il encore possible de maintenir la hausse de la température moyenne mondiale sous les +1,5°C ?
Le rapport dit qu’il est plus que probable que les +1,5°C soient atteints cette décennie-ci ou la décennie prochaine. Il suggère que la limite de +2 degrés en 2100 risque même d’être difficile à atteindre. Nous ne nous trouvons donc pas du tout dans cette optique de réduction de la hausse des températures à +1,5°C ou +2°C par rapport à la période préindustrielle. Un graphique du rapport montre clairement qu’avec les promesses politiques actuelles et tous les projets en termes de réduction de gaz à effet de serre, il est sûr que le monde n’est pas du tout dans l’objectif de +1.5 degré, tandis que rester à +2 degrés sera très difficile également. Pour le moment, le plus probable, si tout ce qui a été promis par les politiques est réellement mis en place d’ici à 2030, c’est d’atteindre +3 degrés en 2100. Quoi qu’on fasse, quelles que soient les mesures prises, on va atteindre le palier de +1,5°C dans les deux décennies prochaines. Mais je pense qu’on pourrait même déjà l’atteindre dans les prochaines années notamment à cause du phénomène El Nino, cette oscillation naturelle dans la circulation atmosphériques et les courants océaniques du Pacifique Sud, qui tend à élever les températures mondiales.

Les scénarios du Giec sont globalement trop prudents par rapport à l’état de la science. Souvent, il choisira la fourchette basse pour rester prudent. Et s’il y a une certaine incertitude dans des scénarios catastrophiques suggérés par la science, ils ne vont pas nécessairement en parler. Ici, ce sont à nouveau les projections dans la fourchette basse qui sont mentionnées. En outre, leurs modèles sous-estiment un petit peu le réchauffement climatique observé. Une série de modèles sont beaucoup plus “réchauffistes”. Or, certaines observations, notamment dans le passé, suggéreraient que les modèles avec un réchauffement plus fort se trouvent dans le “range” le plus probable. Donc, il faut aussi tenir compte de cela. Je pense que réellement, nous atteindrons +1,5°C d’ici à 2030. Par ailleurs, je sens beaucoup plus de dépit dans ce nouveau rapport que dans le précédent, en 2014, où la cible était bien de limiter le réchauffement à +1,5°C. Ici, ils se rendent bien compte qu’il n’est plus possible d’atteindre ce seuil et ils parlent donc beaucoup d’adaptation, parce que nous nous dirigeons vers des changements climatiques significatifs.
Pourquoi est-ce important de maintenir la hausse des températures moyennes à 1,5°C ?
Parce qu’à partir de deux degrés ou trois degrés, on pourrait commencer à dépasser des points de non-retour climatiques (quand un retour à l’état antérieur n’est plus possible, même si les émissions baissent, NdlR), comme la fonte des calottes polaires. En restant à +1,5°C, on ne dépasse aucun point de non-retour climatique et l’impact sur l’agriculture, sur la santé humaine et sur les espèces reste relativement limité. Les changements climatiques restent acceptables pour l’homme alors qu’au-dessus de +2 degrés, certaines régions du monde pourraient ne plus être habitables par exemple et cela commence à devenir très dangereux pour l’homme. Mais attention : les gens ont l’impression que c’est la fin du monde si l’on atteint ce fameux +1,5 ou +2 degrés. Mais le problème lié à cette fameuse limite se pose sur une longue durée. Si pendant une décennie voire deux, on dépasse les deux degrés ou même les trois degrés et qu’ensuite, l’on diminue les concentrations de CO2 et que l’on commence à pomper le CO2 dans l’atmosphère pour en revenir vers des valeurs de températures plus normales, ce n’est pas trop grave. Le danger est donc surtout sur la durée ; une décennie est encore acceptable. Le rapport dit qu’on pourrait repasser sous la barre des 1,5 °C vers 2080, dans les scénarios d’émissions les plus basses. Pour rappel, le problème des gaz à effet de serre est leur grand temps de résidence de l’atmosphère, typiquement de cent ans. Donc la seule possibilité de diminuer les concentrations des gaz à effet de serre, c’est non seulement de stopper nos émissions mais en plus de “repomper” du CO2 émis dans l’atmosphère jusque maintenant.
Le rapport dit aussi en gros “dépêchez-vous de passer à l’action, car les mesures actuellement réalisables et efficaces le seront moins quand le réchauffement se sera accentué”. Or, on voit qu’il y a déjà aujourd’hui beaucoup de résistance dans la population et les gouvernements face aux mesures actuelles (plan azote, voitures thermiques, etc.). Cela vous inquiète pour le futur, dans le cas où l’on serait amené à prendre des mesures plus fortes ?
Le rapport dit clairement qu’il faut agir, qu’il faut s’adapter. Car les changements climatiques vont se manifester de plus en plus. Or, le rapport pointe qu’on n’est pas encore prêt à s’adapter à ces changements climatiques, qui arriveront quoi qu’il se passe. En termes de réduction de gaz à effet de serre, il faut qu’on opère un changement à 90° dans notre façon de nous développer. Je suis assez positif sur le long terme, car je crois que la population fera ce qu’il faut. Mais j’ai peur qu’il faille encore attendre certains événements catastrophiques, comme les inondations de juillet 2021, pour que, réellement, la population et les politiques commencent à bouger en profondeur. À ce moment-là, les gens comprendront que les changements climatiques sont néfastes pour eux – parce que dans l’esprit de beaucoup de personnes, ce n’est pas encore nécessairement le cas – et qu’il faut des actions vraiment drastiques. Et que la Belgique a un rôle très important de montrer l’exemple à d’autres pays. Ce n’est malheureusement pas le rapport du Giec qui fait bouger les choses, mais les changements climatiques eux-mêmes et leurs catastrophes… Que les gens peuvent observer de plus en plus. Le rapport du Giec est pris en compte par une partie de la population bien éduquée, mais la majorité de la population n’est même pas au courant de la parution de ce rapport. Par contre, la majorité de la population est sensible à ce qu’elle voit tous les jours. C’est cela qui a un impact direct et qui va faire changer les mentalités. Clairement, nous allons vers des catastrophes climatiques en Belgique, comme par exemple des feux de forêt qui vont devenir de plus en plus probables ces prochains étés. Même dans des massifs comme la Forêt de Soignes à Bruxelles où le climat deviendra trop chaud et trop sec en été pour le hêtre, qui va progressivement dépérir…