”Un manque de transparence abyssal” : comment l’import d’agrocarburants en Belgique participe à la violation des droits humains
Un rapport d’Oxfam alerte sur les conséquences environnementales et la violation des droits humains qui découlent de la production d’agrocarburants à base de canne à sucre au Pérou et au Brésil. Pour l’ONG, la Belgique se rend indirectement complice de ces dérives.
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Publié le 29-03-2023 à 18h57 - Mis à jour le 29-03-2023 à 00h02
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Saviez-vous qu’en faisant le plein de votre voiture en Belgique, vous participiez indirectement à la violation des droits humains au Pérou et au Brésil ? Cela paraît invraisemblable, mais c’est pourtant la conclusion d’un rapport publié par Oxfam ce jeudi. Le document, suite d’une étude publiée en 2021, met en lumière le manque de transparence dans la chaîne d’approvisionnement et démontre comment le bioéthanol contenu dans l’essence belge contribue à la hausse des prix des denrées alimentaires.
Depuis 2021, une loi belge prévoit que toute l’essence vendue dans les stations-service belges contient du bioéthanol : en ajoutant des biocarburants aux carburants fossiles, la Belgique entend en effet respecter une directive européenne visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre liées aux transports. Dans son Plan National sur le Climat et l’Énergie 2021-2030, notre pays prévoit ainsi d’augmenter la part des agrocarburants dans les transports d’une moyenne de 5,5 % en 2022 à 13,9 % en 2030, dont environ 7 % d’agrocarburants dits “de 1ʳᵉ génération”, soit issus de cultures destinées à l’alimentation humaine et animale.
C’est précisément là que ça coince : cette 1ʳᵉ génération d’agrocarburants a déjà été épinglée pour ses impacts négatifs sur le climat, la biodiversité, la souveraineté alimentaire mondiale, ainsi que sur les droits humains dans les pays producteurs. Un rapport publié en mars dernier par une coalition d’ONG Belges estimait que la politique belge d’incorporation d’agrocarburant était “une politique subsidiée qui accroît les émissions de gaz à effet de serre – le “bilan CO2” positif de ces agrocarburants est contesté, NdlR – et menace les droits humains”.
Fin juillet 2022 et après ces alertes, le gouvernement Vivaldi s’accordait sur la réduction globale de la part des agrocarburants de 1ʳᵉ génération. Une nouvelle saluée à l’époque par le secteur associatif. Mais huit mois plus tard, la loi est toujours en cours de révision et n’est pas encore entrée en vigueur. Pour Oxfam, la situation est plus qu’urgente. Contacté par La Libre, le cabinet de la ministre de l’Énergie Tinne Van Der Straeten assure que le processus suit son cours et que le projet de révision de loi devrait prochainement passer en deuxième lecture au conseil des ministres. "On vise une publication avant les congés parlementaires de cet été", nous assure-t-on.
Demande croissante
Le bioéthanol belge provient principalement de matières premières provenant de l’UE, dont le blé et le maïs. Mais depuis 2017 et l’introduction de l’E10 (l’incorporation de 10 % de bioéthanol par litre d’essence classique), le rôle de l’éthanol issu de la canne à sucre d’Amérique latine a considérablement augmenté. “Les importations de canne à sucre ont été multipliées, passant de 2 004 557 litres en 2014 à 42 503 323 litres en 2020”, soulignent les auteurs du rapport. Et si la Belgique a importé des agrocarburants de 75 pays différents entre 2018 et 2022, les importations belges d’éthanol de sucre de canne proviennent essentiellement du Brésil, qui représentait à lui seul 73 % de la consommation du marché belge en 2021.

Le pays compte en effet 8,6 millions d’hectares de plantations de canne à sucre, soit plus de deux fois la superficie de la Belgique. Plus de la moitié de cette production (54 %) serait utilisée pour la production de bioéthanol, ce qui n’est pas sans conséquence sur la souveraineté alimentaire sur place, mais aussi sur les marchés internationaux. “L’augmentation de la demande d’éthanol de canne à sucre entraîne une hausse des prix, réduisant la disponibilité du sucre sur le marché, ce qui affecte le prix des produits alimentaires connexes.”
Violations des droits humains
Malgré le “manque de transparence abyssal” observé tout au long de la chaîne de valeur par Oxfam, l’étude a pu identifier plus de 330 installations de production de canne à sucre et a analysé 62 acteurs privés, allant des producteurs aux partenaires logistiques et aux banques. Ce travail met en évidence des violations graves des droits de l’homme, “comprennent l’atteinte aux droits des femmes, des enfants et des communautés indigènes, aux droits des travailleurs, aux droits civils et politiques, aux droits à la santé, aux droits à l’éducation, à l’alimentation, à un logement adéquat, à l’intégrité physique et au droit de vivre.” Le rapport met également en évidence l’aspect genré de ces violations des droits humains et environnementaux.
La tribu des Guarani, qui vit dans le sud du Brésil, serait par exemple gravement touchée par le développement des plantations de canne à sucre sur leurs terres. “Selon les Guarani, la production de canne à sucre sur leurs terres a eu des effets néfastes sur leur communauté indigène, notamment des problèmes de santé liés à l’utilisation de produits chimiques dans la plantation, la déforestation, la perte d’accès à la médecine naturelle, la dégradation de l’environnement et la mort de poissons et de plantes en raison de la pollution de l’eau”, alertent les auteurs.
Le précédent rapport Oxfam mettait aussi en lumière des expropriations “légales” dans le nord du Pérou suite à l’achat de terres communautaires sans consultation des habitants et à des prix représentant à peine 4 % de la valeur du marché, ainsi que l’accaparement de l’eau et une augmentation de la pollution de l’air.
Des demandes claires
Face à ces “preuves irréfutables”, Oxfam demande à la Belgique de ne pas miser sur l’utilisation d’agrocarburants issus de cultures alimentaires ou énergétiques et de sous-produits alimentaires pour atteindre les objectifs de réduction des gaz à effet de serre prévus par la loi européenne sur le climat. “Les agrocarburants avancés utilisés dans les transports ne devraient être éligibles aux objectifs en matière d’énergie renouvelable qu’après la réalisation d’une étude d’impact sur les droits humains solide, indépendante et approfondie”, plaide l’organisation, qui se positionne également pour le renforcement de la protection des droits humains et de la transparence du secteur.
Oxfam demande par ailleurs à la Belgique de s’abstenir d’adopter des accords de libre-échange qui augmentent les échanges transcontinentaux de produits agricoles et les modèles de production non durables dans les zones rurales, et qui soutiennent davantage l’exode rural vers des emplois urbains précaires.