Non, un oléoduc de pétrole brut ne passera pas bientôt à Ixelles et à Uccle

Une action géante a été organisée pour dénoncer le projet EACOP de Total Energies. Elle imaginait l’implantation d’un oléoduc passant à Bruxelles ainsi que dans plusieurs villes françaises.

Projet WECOP : un canular par des activistes climat pour dénoncer le projet EACOP de TotalEnergies en Ouganda et en Tanzanie
Projet WECOP : un canular par des activistes climat pour dénoncer le projet EACOP de TotalEnergies en Ouganda et en Tanzanie ©D.R. / R. Batista

Ce week-end, certains habitants d’Ixelles et d’Uccle ont découvert dans leur boîte aux lettres un flyer leur annonçant le début imminent de “travaux de grande ampleur” pour la construction d’un oléoduc de pétrole brut. Un numéro dirigeant vers un standard téléphonique était noté en cas de question. Dans le quartier, des affiches indiquant le début des travaux et des marquages au sol ont également fait leur apparition. Selon ces communications, il s’agirait du projet WECOP, pour “West European Crude Oil Pipeline” en anglais. Ce lundi, à quelques centaines de kilomètres de là, des habitants de Grenoble ont eu la même expérience.

Selon le site dédié au projet WECOP, il serait question de relier le port de Rotterdam à celui de Marseille grâce à 1443 kilomètres d’oléoduc. Bien que le tracé du projet traverse trois parcs régionaux français et plusieurs zones humides ou ZNIEFF (Zones Naturelles d’Intérêt Écologique, Faunistique et Floristique), la section du site qui détaille la soutenabilité du projet indique vouloir “produire un impact positif net sur la biodiversité”. Le site prévient par ailleurs que près de 8000 foyers devront être déplacés afin d’acquérir les terres nécessaires pour la réalisation du projet en Belgique et en France, mais qu’une compensation financière est prévue pour les personnes concernées.

Sur les réseaux sociaux, plusieurs comptes actifs dans la protection de l’environnement se sont mobilisés contre le projet pétrolier WECOP (ici, ici ou ici), tandis qu’une pétition a même été lancée ce lundi 24 mars.

Un canular géant

Si vous n’en aviez jamais entendu parler jusqu’ici et que tout cela vous paraît bien étrange, c’est normal. Il s’agit d’un canular à grande échelle imaginé par le collectif français Le Bruit Qui Court et réalisé à Bruxelles par le collectif TotalementDown. La supercherie a été révélée ce mardi 25 avril. Outre les nombreuses publications sur les réseaux sociaux (ici, ici ou ici par exemple), un bandeau jaune a fait son apparition sur le site : “Le projet WECOP n’aura pas lieu. Toutes les lettres d’expropriation reçues sont nulles et non avenues. L’oléoduc EACOP en revanche, en tout point similaire à WECOP, est toujours prévu par TotalEnergies en Ouganda et Tanzanie”.

Alors, de quoi s’agit-il ? Ce canular a été imaginé par Le Bruit Qui Court, un collectif d’artiste qui a imaginé toute l’action. Celle-ci a été réalisée dans un second temps par les activistes de TotalementDown en Belgique et de StopEACOP en France. La réalisation se concentrait sur la distribution de flyers, la réalisation de marquages au sol et le placement de panneaux de signalisation. “Le but, c’était vraiment de simuler un chantier”, explique Laurie Pazienza pour le collectif TotalementDown. “On l’a fait à Uccle et à Ixelles, avenue Brugmann”, précise-t-elle.

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Plusieurs citoyens inquiets ont appelé la ligne téléphonique mise en place pour l’occasion. “On expliquait aux gens qu’il s’agissait d’un projet de pipeline pour approvisionner la France et la Belgique en pétrole face à la crise climatique”, détaille Laurie Pazienza, qui ajoute que tout un greenwashing était fait autour du projet. “On disait que c’est un projet positif pour la biodiversité et pour le climat, qu’on ferait de la compensation carbone… On a réutilisé toute la rhétorique de TotalEnergies, mais sans les mentionner”.

Remettre le débat au centre

En utilisant cette forme innovante d’action, les activistes espèrent sensibiliser l’opinion publique et remettre en contexte le problème qu’ils dénoncent. Outre les milliers de personnes expropriées via l’accaparement des terres des communautés tanzaniennes et ougandaises, le projet EACOP est critiqué pour la menace qu’il pèse sur le bassin du lac Victoria (le plus grand bassin d’eau douce d’Afrique) et pour les quantités de CO2 rejetées chaque année (34 millions de tonnes de CO2 par an, soit six fois les émissions de l’Ouganda).

“Cela fait plus d’un an et demi maintenant qu’on est en campagne contre le projet EACOP de TotalEnergies. Les gens sont vraiment intéressés par le sujet, mais on voit que la pression médiatique redescend”, poursuit Laurie Pazienza. “On s’est dit que cette fois-ci, on allait des choses un peu plus créatives. L’idée, c’était de remettre le débat au centre de la table, dans les médias, sur les plateaux télé…”

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Pour se protéger d’éventuelles poursuites de la part de TotalEnergies, les initiateurs du projet ont fait appel à des juristes et des avocats. S’ils emploient le même vocabulaire et un logo très inspiré par celui du géant pétrolier, ils n’en font pas explicitement mention. Contactée par La Source, l’entreprise n'a pas souhaité faire de commentaire sur le sujet.

Du côté des activistes, c’est une action réussie. “Il y a beaucoup de gens qui y ont cru. Il y a surement des gens qui ont été frustrés, mais ce qui ressort de manière générale, c’est que ça a amusé les gens et que ça les a fait en parler”, conclut Laura Pazienza.

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La Source ©R. Batista

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