La Hongrie, atelier européen pour usines de batteries asiatiques : “On détruit nos principales richesses”
Les usines de batteries pour l’automobile électrique poussent comme des champignons en Hongrie.
Publié le 05-05-2023 à 12h41
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Nombreux étaient ceux qui ne donnaient pas cher de l’industrie hongroise, ultra-dépendante de l’industrie automobile, quand le moteur thermique aurait été balayé par l’électrique. “À quoi ressemblerait la ville de Győr sans Audi, Kecskemét sans Mercedes, ou Szentgotthárd sans Opel ? ”, avait questionné le premier ministre Viktor Orbán qui plaidait à la Chambre de commerce et d’industrie, le 9 mars, pour attirer autant d’usines de production de batteries électriques que possible. “Les technologies de production nécessaires et les nouvelles lignes de production de pièces automobiles doivent être créées en Hongrie. Tout, depuis les batteries jusqu’aux transmissions. ” Pour son gouvernement, Samsung, LG Chem, SK, CATL, etc., sont une planche de salut pour les constructeurs allemands Mercedes, Audi, Opel et bientôt BMW, qui assurent à eux seuls le tiers des exportations hongroises et font vivre 300 000 familles.
La recette hongroise pour attirer les géants asiatiques est connue : une main-d’œuvre qualifiée et environ trois fois moins coûteuse qu’en Europe de l’Ouest, l’impôt sur les sociétés le plus faible de l’UE (10 %), de très généreuses subventions publiques et d’intenses relations diplomatiques déployées vers l’Asie depuis une dizaine d’années. “Elles poussent comme des champignons après la pluie”, résume un représentant du parti écologiste-agrarien LMP. À tel point que la Hongrie devrait être le second pays producteur en Europe, derrière l’Allemagne, à la fin de la décennie.

Le vaisseau amiral se nommera CATL, l’entreprise chinoise numéro un mondial du secteur, qui investit un peu plus de 7 milliards d’euros pour la construction d’une giga-usine sur 220 hectares qui emploiera 12 000 personnes. L’annonce de son implantation à Debrecen, dans l’est du pays, l’été dernier, a mis un coup de projecteur sur une vingtaine de projets d’usine – pour la plupart sud-coréennes et chinoises dans une moindre mesure – aux quatre coins de la Hongrie, à Fót, Komárom, Iváncsa… Les médias qui ont dû mal à suivre le mouvement, additionnent, à la louche, vingt milliards d’euros d’investissements et une trentaine de milliers d’emplois.
Fronde locale
Dans la zone industrielle sud de Debrecen, les engins de chantier de CATL sont déjà à l’œuvre, au grand damne des riverains qui n’ont jamais été consultés et redoutent les nuisances et des rejets dans l’environnement de produits toxiques. Loin d’être infondées, leurs craintes sont alimentées par un précédent : une giga-usine Samsung SDI qui produit des batteries électriques depuis 2018 à Göd, vingt kilomètres au nord de Budapest. Un collectif de citoyens l’accuse de polluer les eaux souterraines et des ONG y ont détecté la présence d’un produit dangereux pour la santé humaine, le NMP (N-méthyl-2-pyrrolidone) mais sans pouvoir tirer de conclusions catégoriques. Leur contestation essaime depuis dans plusieurs localités où doivent s’implanter de telles usines, portée par des riverains et des opposants de tous poils au Fidesz : des partisans de l’extrême-droite qui s’opposent à l’accaparement de terres agricoles et redoutent l’afflux inévitable de travailleurs étrangers (car la Hongrie connaît une pénurie de bras), des libéraux et des écologistes.

Des besoins gargantuesques en eau
À la faveur de l’arrivée du mastodonte CATL, on reparle enfin d’écologie et d’environnement en Hongrie, où le premier grand combat écologiste remonte à la fin des années 80 contre un projet tchécoslovaco-hongrois de barrage hydroélectrique sur le Danube, suivis de mouvements contre le projet minier à Roșia Montană en Transylvanie roumaine, contre l’installation d’un radar de l’Otan et la réouverture d’une mine d’uranium à Pécs dans le sud du pays, contre la bétonisation des rives du Danube et des lacs Balaton et Fertő (de Neusiedl) à cheval avec l’Autriche.
Le parti écologiste et agrarien LMP fait mouche jusque dans l’électorat de droite en pointant les besoins gargantuesques en eau des usines de batteries. L’usine de CATL consommera autant chaque jour que les 200 000 habitants de Debrecen, avance-t-il. Or, la sécheresse que connaît l’Europe a profondément marqué les habitants de la région de Debrecen où des lacs et des cours d’eau ont été asséchés l’été dernier, alors que la Hongrie se voit traditionnellement comme le château d’eau de l’Europe centrale.
Mátyás Murguly, biologiste spécialiste des zones humides et représentant local du parti écologiste, est particulièrement inquiet quant aux conséquences à venir du changement climatique pour cette région qui abrite la dernière steppe d’Europe, la Puszta, très fragile. “Le gouvernement néolibéral est content; il peut présenter des beaux chiffres du PIB mais qui n’amélioreront pas la vie des gens. Tout cela déplait y compris aux partisans du Fidesz qui comprennent que l’on détruit nos principales richesses, à savoir nos terres arables et notre eau”, dit-il. Mais son parti a échoué à obtenir de la Commission électorale le droit d’organiser un référendum national contre cette industrialisation à marche forcée.