”Ce n’est pas l’agriculture du bien ou du mal, mais une agriculture qui est en progrès”
Les objectifs de l’Union européenne visent une réduction de 50 % des pesticides d’ici à l’horizon 2030. Challenge à relever ou cible inatteignable ? Rencontre avec des agriculteurs qui vont de l’avant.
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- Publié le 01-06-2023 à 13h20
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”Tout est possible, bien sûr”, répond Nicolas Braibant, agriculteur à Corroy-le-Grand, lorsqu’on lui demande si les objectifs de réduction de pesticides de l’Union européenne lui semblent atteignables. Dans sa ferme, environ trois quarts des terres sont cultivées en bio. Mais pas question de mettre une pratique au-dessus de l’autre : pour lui, le bio et le conventionnel sont des pratiques complémentaires. “Je suis partisan de ne pas opposer l’agriculture. Je pense qu’on a intérêt à apprendre l’un de l’autre et à ne pas polariser les choses, affirme-t-il. L’aspect manichéen ne doit pas exister parce que ce n’est pas l’agriculture du bien ou du mal, mais une agriculture qui est en progrès vers plus d’agroécologie. La culture bio s’inspire aussi d’un tas de techniques qu’on n’avait pas il y a 50 ans.”
Ce jour-là, une dizaine d’agriculteurs et d’agronomes ont fait le déplacement jusqu’à sa ferme. Tous ont été invités par Regenacterre qui organise, en partenariat avec la coopérative agronome CultivAé, un tour de plaine dans le cadre du développement de filières. Fondée en 2016, cette ASBL wallonne a pour mission d’apporter du conseil aux agriculteurs pour leur permettre d’être plus indépendants et plus performants en termes de rentabilité, grâce à des pratiques qui régénèrent les sols. Pendant trois heures, le groupe va visiter plusieurs parcelles et observer les cultures de Nicolas Braibant, tout en échangeant sur leurs expériences. De l’avoine au seigle, sans oublier les herbes aromatiques. Pour l’oreille non initiée, les discussions tiennent presque de la langue étrangère. Quels engrais utiliser pour quels résultats ? Comment booster l’immunité de la plante ? Quelles mauvaises herbes ou maladies sont apparues ? Comment se sont développées les racines ?….

Accompagner pour mieux changer
Présents dans le groupe, Marc Van Sinay et Guillaume Flamand sont tous les deux agriculteurs. Pour eux, il est totalement possible de réduire les pesticides aux niveaux imposés par l’UE. “Je pense que c’est faisable, il y en a qui arrivent. Maintenant, ça demande de l’accompagnement. Ce qu’il faut vraiment avoir, ce sont des conseillers et le savoir des gens qui savent cultiver sans produits phytos”, assure Guillaume Flamand, qui salue l’existence de Regenacterre qui n’a “rien à vendre, à part du conseil”. Le besoin d’accompagnement, un point essentiel que relève également Marc Van Sinay, dont les terres sont réparties entre la Flandre et la Wallonie. “On est bien soutenus”, estime-t-il. Un tiers de son exploitation est désormais exploité en bio, une façon pour l’agriculteur de prendre de l’avance sur les réglementations européennes.
Parmi les craintes récurrentes des agriculteurs, la peur du changement est bien présente. “Tout changement fait peur et doit être accompagné. S’il ne l’est pas, il fait encore plus peur. C’est aussi une prise de risques qui n’est possible que quand on a les épaules suffisamment solides pour encaisser si ça ne fonctionne pas”, détaille Frédéric Muratori, directeur de Regenacterre, qui rappelle que ce n’est pas le cas de nombreux agriculteurs belges.
D’autres freins sont, eux aussi, bien présents : la rentabilité, la pression sociale… Et les conflits d’intérêts. “Une personne qui va potentiellement freiner la réduction des phytos, c’est celui qui va les vendre. En ce moment, dans le monde agricole, celui qui les vend, c’est aussi celui qui les conseille”, explique Frédéric Muratori. Un conflit d’intérêts qui pousse parfois à utiliser de trop grosses quantités de produits, phénomène contre lequel lutte Regenacterre. Sans pour autant supprimer les produits phytosanitaires, l’ASBL propose d’en optimiser l’utilisation. “En échangeant, en diagnostiquant correctement, en choisissant les bons produits au bon moment… On diminue les pertes et on diminue les phytos”.

Le sol et les hommes
Le cheval de bataille de Regenacterre, c’est l’agriculture régénérative. “Une agriculture durable, recentrée sur les fondements de son origine : le sol et les hommes”, peut-on lire sur le site de l’ASBL, qui compte désormais plus d’une centaine de membres à travers la Belgique, avec des exploitations de 25 à 300 hectares. En mettant l’accent sur la santé du sol et les pratiques qui permettent de l’améliorer, ce type d’agriculture crée un cercle vertueux. “Cela va avoir des effets secondaires bénéfiques sur plein d’autres aspects : l’érosion, la santé de la plante, l’enracinement, la fertilisation, la nutrition, l’utilisation de produits phytosanitaire, …”, détaille Frédéric Muratori.
Et si l’objectif, c’est bien la rentabilité – seule façon de faire adhérer au projet -, des échecs restent possibles. “On essaie de limiter ça, mais ça s’apprend”, souligne Nicolas Braibant, qui précise que tout est plus compliqué en bio. Dans l’un de ses champs, l’agriculteur fait pousser de l’épeautre. Mais des chardons y sont apparus. “Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Une pulvérisation, il y en a pour une heure et le travail est fait”, explique-t-il. La solution choisie sera bien différente, et surtout, plus longue à mettre en place : les chardons seront enlevés à la main. Cette mésaventure lui permet aussi de remettre en question certains choix. “On n’a pas su anticiper ça. On aurait peut-être dû choisir une autre culture, et c’est ça le savoir-faire.”

”S’il y a une phrase que vous devez retenir, c’est il faut faire avec la nature plutôt que contre. Comme ça, vous avez tout compris”, conclut l’agriculteur. “Moi, je redécouvre mon métier. Je redécouvre un tas de trucs et c’est passionnant.”