Le Canada en proie aux flammes : “Il y a des endroits où la forêt ne repoussera plus”
Des feux de forêt d’une ampleur inédite dévastent le Canada. Plus de 400 incendies sont actuellement actifs à travers le pays, dont 250 considérés comme hors de contrôle par les autorités.
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- Publié le 09-06-2023 à 06h40
“Avec les effectifs que nous avons actuellement, on peut couvrir à peu près 40 feux en même temps”, a déclaré ce mercredi François Legault, Premier ministre de la province de Québec, précisant s’attarder sur les endroits où la situation est la plus urgente. Avec la Colombie-Britannique et l’Alberta, en proie aux flammes depuis le mois de mai, le Québec est l’une des trois provinces les plus touchées par les incendies qui ébranlent le Canada. À eux seuls, les territoires du Québec comptent près du tiers des 457 incendies actifs à travers le pays. Selon les données du Centre Interservices des Feux de Forêts du Canada (CIFFC), 250 foyers seraient encore hors de contrôle.
Depuis le début de l’année, 4,2 millions d’hectares sont partis en fumée au Canada. Une superficie égale à celle de la Suisse ou des Pays-Bas, alors que l’été n’a pas encore commencé et que la saison des feux ne fait que débuter. Dans la région qui abrite la plus grande forêt boréale du monde, 1,3 million d’hectares ont déjà brûlé, soit plus que toutes les forêts qui ont brûlé en Europe l’année dernière. ” On voit qu’on est dans une année pire que ce qu’on a déjà eu et nos ressources sont étirées”, a reconnu Justin Trudeau, le Premier ministre canadien, le 7 juin. “La situation est vraiment exceptionnelle. On va certainement battre des records. Non seulement en nombre de feux, mais aussi en étendue de surface brûlée”, s’inquiète de son côté Philippe Gachon, professeur en hydroclimatologie à l’Université du Québec à Montréal.
Des conditions propices
La combinaison de plusieurs paramètres explique ce début de saison particulièrement intense et l’ampleur de ces incendies. Tout d’abord, des précipitations en dessous des moyennes de saison ont été observées sur la quasi-totalité du pays, atteignant par endroits plus de 50 % de déficit de précipitations. “Ce manque de précipitations a évidemment été à l’origine d’une sécheresse particulière, surtout en ce début de printemps”, note le Pr. Gachon. De plus, des anomalies de températures ont aussi été enregistrées pendant tout le mois de mai à travers le Canada. “Dans certains coins, elles ont dépassé les 5 degrés par rapport à la normale, souligne notre interlocuteur. C’est énorme. Il n’y a pas beaucoup d’endroits dans le monde où l’on va battre ces records par rapport à la moyenne.”
Enfin, les Indices Forêt Météo (ou IFM) enregistrés étaient, eux aussi, dans le rouge. Calculés sur base de plusieurs composantes (l’humidité des sols, le vent, les précipitations, les températures et les conditions de combustibles en forêt), ils permettent d’évaluer la présence de conditions favorables aux feux de forêt. “On voit qu’à travers le pays, on a vraiment des conditions extrêmement favorables pour générer des risques de feu très très élevés, beaucoup plus que d’habitude”, estime le professeur en hydroclimatologie.
Une “nouvelle réalité”
“Ces feux sont plus fréquents à cause des changements climatiques”, a rappelé sur son compte Twitter Justin Trudeau, qui a admis en conférence de presse la nécessité, pour les années à venir, de réfléchir pour “s’équiper face à cette nouvelle réalité”. “On va faire face à de plus en plus d’événements météorologiques extrêmes qui vont coûter de plus en plus cher aux familles, aux communautés et aussi pour notre pays”, a-t-il assuré.
De son côté, le Pr. Gachon rappelle qu’il est “toujours difficile de prendre un événement isolé et de le mettre dans une tendance”, mais estime qu’il n’est pas possible d’expliquer les indices de ce type, les anomalies de température, voire les précipitations particulièrement déficitaires du mois de mai, sans faire intervenir le changement climatique. “L’augmentation des risques de feu est en train de se produire au Canada. C’est une réalité qu’on vit et que vous avez vécue en Europe, rappelle l’expert. Ces phénomènes-là augmentent non seulement en termes de célérité, mais sont plus fréquents.”
Ces feux ont également un impact non négligeable sur le climat. “La forêt qui brûle, ça devient non pas un puits de carbone, mais une source de CO2. Des feux de cette ampleur peuvent complètement annuler nos efforts de réductions d’émissions”, souligne le professeur. De plus, plusieurs années sont nécessaires pour que les forêts brûlées puissent recommencer à stocker du carbone… ce qui n’est pas garanti. “Il y a des endroits où la forêt ne repoussera plus, surtout si les cycles de feu deviennent de plus en plus courts : à ce moment-là, la matière organique ou la capacité de régénération de la forêt disparaît”.
L’augmentation des risques d’incendies menace aussi les Canadiens (plus de 20 000 personnes ont déjà été évacuées) et soulève des questions quant à de futurs déplacements de population et de nouveaux aménagements territoriaux. “Là, on le voit ponctuellement, note le Pr. Gachon. Mais peut-être qu’au cours des prochaines années, on va avoir effectivement à travers le Canada, là où les risques de feu sont trop élevés, un réaménagement du territoire ou des déplacements.” La ville de Montréal a quant à elle lancé un appel à la prudence, rappelant que les incendies qui ravagent le Québec pouvaient aussi se produire en ville.
Le pire encore à venir ?
Si une partie de l’est du Canada est actuellement touchée par de fortes précipitations – 50 mm de pluies sont tombés en deux jours en Gaspésie – , les prévisions météorologiques du mois de juin laissent craindre des jours sombres. La majorité du pays devrait connaître un temps majoritairement sec, favorable aux incendies. Le pic de la saison des incendies est quant à lui encore loin d’être atteint, laissant imaginer le pire, tandis que la saison ne touchera pas à sa fin avant plusieurs mois. “On a vu des feux se produire au mois de septembre et d’octobre, voire dans certains coins, début novembre, jusqu’à l’arrivée de la neige”, précise l’hydroclimatologue.
Malgré tout, le chercheur veut se montrer optimiste. Selon lui, il est capital de passer à l’action. “Des décisions difficiles vont devoir être prises. Mais, le Giec nous l’a dit, les solutions existent. Il faut juste commencer à les appliquer.”
De son côté, l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA), a déclaré jeudi que le phénomène météorologique El Nino, généralement associé à une augmentation des températures mondiales, a officiellement commencé et devrait “se renforcer graduellement” dans les mois qui viennent.