En Inde, le touk-touk aussi passe à l'électrique
Les autorités subventionnent les véhicules propres pour améliorer la qualité de l’air. Problème : la production de courant et le recyclage des batteries restent très polluants.
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- Publié le 08-09-2023 à 14h33
- Mis à jour le 08-09-2023 à 18h27
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Sur le trottoir qui longe la station de métro Vishwavidyalaya à New Delhi, les touk-touks électriques s’étirent en file indienne. Il est 10 heures passées en ce matin pluvieux et le client se fait rare. L’heure de pointe est terminée. Les étudiants de la Delhi University, qui n’est qu’à dix minutes de trajet, sont rentrés en cours. Les chauffeurs de touk-touks trompent l’ennui en tapotant sur leur smartphone, affalés derrière le guidon de ces tricycles motorisés faisant office de taxis. Mukesh, la quarantaine, profite de l’accalmie pour avaler un verre de lait. New Delhi grouille de touk-touks qui roulent au gaz. Lui s’est converti à l’électrique comme tous ses collègues autour de lui. “J’ai acheté mon tricycle il y a trois mois pour 250 000 roupies (2800 euros). Le gouvernement de la capitale m’a versé 30 000 roupies de subvention et j’ai pris un emprunt sur deux ans que je rembourse par mensualité de 9000 roupies. Comme je gagne dans les 30 000 roupies chaque mois, je m’en sors”, détaille-t-il.
125 000 touk-touks électriques
La capitale compte 125 000 touk-touks électriques. C’est moitié moins que ceux à propulsion thermique. Mais l’agglomération se convertit rapidement. Ses 236 000 véhicules électriques en circulation représentent 1,6 % du parc, deux fois plus que la moyenne nationale. Les autorités locales ont pris le virage de la mobilité propre il y a dix ans dans l’espoir d’améliorer la qualité de l’air. New Delhi est la huitième ville la plus polluée du monde d’après IQAir. Selon l’entreprise suisse spécialisée dans la qualité de l’air, l’Inde abritait 14 des 20 agglomérations les plus sales de la planète l’an dernier.
Le gouvernement fédéral indien voit dans l’électrique un moyen de décarboner les transports routiers. Il a lancé un plan en 2019 pour subventionner l’achat des véhicules électriques et la construction de stations de recharge en débloquant 100 milliards de roupies sur cinq ans (1,1 milliard d’euros). Les résultats se font sentir. Les ventes de modèles électriques ont été multipliées par onze depuis trois ans et demi, passant de 0,6 à 6,4 % de parts de marché. Les touk-touks électriques commencent à pulluler.
Les taxis aussi se convertissent comme en témoigne l’essor de la start-up BluSmart, la première application 100 % électrique avec 5500 voitures. “Nous sommes présents à Delhi et sa banlieue qui représentent près d’un quart du marché des applications de taxis avec 50 millions d’habitants. Notre service est aussi disponible à Bangalore”, détaille le fondateur Punit Goyal qui compte atteindre 15 000 taxis électriques d’ici avril 2024. Comme Mukesh, Punit Goyal s’est tourné vers l’électrique, persuadé que le modèle économique est viable. Mais à certaines conditions.
Les gestes qui usent la batterie sous surveillance
La grande majorité de ses taxis sont des Tata Tigor, des citadines dont le poids de seulement 1,2 tonne limite les émissions de gaz à effet de serre liées à la fabrication de la batterie. Celle-ci, au lithium-ion, n’autorise que 180 km d’autonomie. Qu’importe. Les embouteillages ne permettent guère de conduire plus chaque jour. BluSmart privilégie les recharges lentes, hors des périodes de pointe, pour préserver les batteries. Et elle contrôle ses employés d’une main de fer. “Chaque voiture a une alarme qui retentit et nous alerte si elle va trop vite. On suit nos chauffeurs en temps réel : est-ce qu’ils freinent brusquement ? Est-ce qu’ils accélèrent brutalement ?”, détaille Punit Goyal. Autant de gestes qui usent la batterie.
Punit Goyal, entrepreneur de 39 ans qui a créé la société en 2019, affirme qu’elle sera rentable à partir de l’an prochain. L’essor de BluSmart a poussé Uber et son concurrent indien Ola à électrifier une partie de leur flotte pour ne pas rater le train de la mobilité électrique.
BluSmart et les touk-touks électriques n’émettent pas de CO2 en roulant. Sauf que les centrales à charbon produisent environ 70 % de l’électricité en Inde, et chaque recharge dépend d’un mix très polluant. “Nous travaillons à n’acheter que du courant issu des renouvelables, ajoute Punit Goyal. Soit nous passons un partenariat avec des sociétés qui produisent à partir d’un mix solaire et éolien pour avoir du courant en permanence. Soit nous trouvons un moyen de stocker l’électricité des centrales solaires pour l’utiliser la nuit.”
Et si la mobilité électrique a le mérite de freiner la pollution de l’air dans les grandes villes, elle doit se généraliser pour avoir un impact. Les véhicules électriques ne représentent que 0,8 % des 349 millions des voitures, poids lourds, deux-roues et autres trois-roues enregistrés par le ministère des transports. D’après le quotidien économique indien Mint, le pouvoir central envisage de tripler l’enveloppe allouée aux subventions entre 2019 et 2024 tout en redirigeant les fonds vers les bus électriques afin d’encourager les transports publics.
Un écosystème à mettre en place
L’autre problème concerne le recyclage des batteries. Aux abords de la station de métro Vishwavidyalaya, la plupart des conducteurs utilisent des batteries au plomb plutôt qu’au lithium alors qu’elles sont interdites dans la capitale depuis novembre 2022. Pire, les chauffeurs déplorent leur faible durée de vie : “J’ai un pack de quatre batteries au plomb que je dois changer tous les huit mois. Celles au lithium durent trois ans, mais coûtent trois fois plus cher”, explique Ajay qui cède ses batteries usées à des artisans. Problème : la plupart d’entre eux déversent le plomb et l’acide sulfurique dans l’environnement.
Pour Priti Mahesh, coordinatrice de l’ONG Toxics Link qui a publié un rapport sur le sujet en 2019, des solutions existent : “Le recyclage exige un savoir-faire technologique et de gros investissements. Les pouvoirs publics doivent encourager le secteur privé à intervenir. Des groupes comme Mahindra et Tata ont exprimé leur intérêt. Hélas, tant que les autorités ne leur assurent pas une quantité minimum de batteries dont ils pourront récupérer des métaux rares, il ne se passera pas grand-chose. C’est tout un écosystème qu’il faut mettre en place.”