Un insecte au rôle "excessivement important" en Belgique va voir son territoire se réduire fortement dans les cinquante prochaines années
Des chercheurs belges ont analysé le futur du bourdon, un insecte crucial pour la pollinisation en Belgique. “Nous avons quantifié que 75 % des espèces de bourdons qu’on a étudiées et qui n’étaient pas classées comme déjà menacées allaient voir au minimum une réduction de 30 % du territoire européen propice à leur présence d’ici une cinquantaine d’années”.
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- Publié le 13-09-2023 à 17h00
- Mis à jour le 13-09-2023 à 17h42
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Reconnaissable à son vol au son grave – le bourdonnement – , sa silhouette trapue et ses poils abondants, le bourdon n’est pas le mâle de l’abeille mellifère domestique comme on le pense parfois. Il existe d’ailleurs des bourdons mâles et femelles… Mais le bourdon fait bien partie de la grande famille des abeilles (il est en quelque sorte le cousin de l’abeille domestique) et appartient lui aussi aux espèces précieuses des pollinisateurs. En Europe, on savait déjà qu’environ la moitié des espèces de bourdons affichent actuellement des populations en décroissance. Mais l’étude publiée ce mercredi dans Nature et réalisée par un groupe de scientifiques belges vient enfoncer un nouveau clou en s’intéressant aussi aux tendances futures de ces insectes cruciaux dans nos écosystèmes.
Dans cette étude, l’équipe de recherche (ULB, VUB, UCLouvain, KU Leuven et UMons) démontre un déclin des populations de bourdons depuis 1900 dans la majeure partie de l’Europe. Elle estime par ailleurs que les aires de distribution de ces espèces vont subir d’importantes contractions dans les décennies à venir, et ce dans tous les scénarios de changement climatique et d’utilisation du sol envisagés. Concrètement, pour obtenir leurs résultats, l’équipe de chercheurs belges a appliqué une approche de machine learning. “Ce sont des approches liées à l’intelligence artificielle pour essayer d’estimer la probabilité de présence d’un organisme vivant donné étant donné les conditions environnementales locales, détaille le bioingénieur Simon Dellicour, chercheur à l’Université Libre de Bruxelles et coauteur de l’étude. L’adéquation écologique revient à se demander, pour une localité en particulier, si on a la probabilité d’observer une espèce de bourdon précise étant donné les conditions environnementales mesurées à cet endroit. Par conditions environnementales, on entend ici des variables climatiques telles que la température, la précipitation ou encore des variables d’utilisation du sol.”
Réduction du territoire
Un résultat marquant ? “Nous avons quantifié que 75 % des espèces de bourdons qu’on a étudiées et qui n’étaient pas classées comme déjà menacées allaient probablement voir une réduction de 30 % au minimum du territoire européen propice à leur présence d’ici une cinquantaine d’années.”
Ces chiffres peuvent être appliqués à la Belgique. “Nos analyses confirment qu’au cours du siècle passé – donc des dernières décennies – il y a eu une réduction de l’adéquation écologique du territoire belge aux populations de bourdons, poursuit le chercheur de l’ULB. On voit une rétraction des aires de distribution de ces populations sur l’ensemble du continent européen. La deuxième chose, c’est que dans les décennies à venir, on voit que l’adéquation écologique du territoire va continuer à diminuer à l’échelle du continent.”
Mais ces chiffres de 30 % de réduction de territoire pour 75 % des espèces similaire au reste de l’Europe entraînent “probablement des conséquences plus importantes en Belgique parce qu’il y a davantage de bourdons qu’en Espagne par exemple”, estime Denis Michez, biologiste de la conservation, spécialiste des abeilles (UMons) et coauteur de l’étude. “Les abeilles, et en particulier les bourdons, sont responsables du service écosystémique de la pollinisation. Dans les écosystèmes européens, les plantes à fleurs sont dominantes et sont faites pour attirer les pollinisateurs. Ces plantes à fleurs sont à la base des écosystèmes et les animaux pollinisateurs sont vecteurs de leur reproduction, en venant chercher du pollen et en le transportant sur une autre fleur. Tous les animaux qui dépendent de ces plantes – y compris les humains pour se nourrir ! – sont indirectement dépendants de ces pollinisateurs. Dans ce cadre, l’importance des bourdons va dépendre de l’endroit où on se trouve en Europe. Il faut savoir que les bourdons sont des abeilles un peu spéciales qui sont plutôt adaptées à un climat tempéré et froid. Leur importance par rapport à la pollinisation va donc être variable en fonction du climat. Ils sont excessivement importants et largement dominants dans les climats tempérés comme ici en Belgique et au nord de l’Europe, ils sont moins importants dans le Sud : en Espagne ou dans le sud de l’Italie, par exemple.”
Les pires pays d’Europe en termes de déclin des bourdons
Ceci en sachant que “la Belgique et les Pays-Bas sont les pires pays d’Europe en termes de déclin des bourdons : pas loin de la moitié des espèces de bourdons en Belgique ont soit carrément disparu (20 %) ou sont en grand danger (20 autres pour cent). Alors qu’à l’échelle de l’Europe, il n’y a encore aucune espèce qui a disparu. Les causes ? La Belgique est un des pays les plus densément peuplés avec des pratiques agricoles très intensives (des champs qui sont cultivés avec beaucoup de pesticides beaucoup d’engrais…).”
La Belgique fait donc partie “des territoires les plus problématiques” en termes de déclin des bourdons dans les décennies futures. “Il s’agit de tous les pays qui se trouvent au-dessus de la zone méditerranéenne : l’ensemble de l’Europe sauf le Portugal, l’Espagne, le sud de la France, l’Italie, les Balkans et la Grèce. Il s’agit de territoires qui sont actuellement dans une distribution tempérée, dans lesquels on a beaucoup d’espèces de bourdons et où ces espèces vont disparaître (en raison du réchauffement climatique entre autres, NdlR). La grande question est : seront-elles remplacées par d’autres qui viennent du Sud. On l’ignore.”
Le refuge en Scandinavie ?
Les scénarios explorés soulignent que certaines parties de la Scandinavie pourraient à l’inverse devenir des refuges potentiels pour les bourdons européens. On ne sait toutefois pas prédire si cette zone restera exempte de facteurs de stress d’origines humaines supplémentaires non pris en compte dans l’étude. Il y a en effet une incertitude dans la capacité de ces espèces à coloniser et maintenir avec succès des populations viables sur ces territoires.
Les résultats de cette recherche soulignent enfin “le rôle crucial des politiques d’atténuation du changement climatique pour la protection de ces pollinisateurs contre la transformation anthropique de la biosphère.” “La dégradation des habitats et le changement climatique agissent à l’échelle mondiale comme des moteurs majeurs de l’effondrement de la faune, avec des preuves grandissantes que cette érosion de la biodiversité s’accélérera dans les décennies à venir”, concluent les chercheurs belges.