Au Domaine W, plus qu'un vignoble, "on voulait créer une oasis de biodiversité et de résilience économique, écologique et sociale"
Le domaine viticole brabançon se chauffe grâce au miscanthus que son vigneron fait pousser sur ses terres.
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- Publié le 19-09-2023 à 15h35
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Dans le village de Saintes, à Tubize, les 40 hectares du vignoble Domaine W s’étalent autour de la ferme traditionnelle récemment restaurée. La terrasse, plein Sud, surplombe les terres et offre une vue imprenable sur le domaine. Difficile d’imaginer ce à quoi il ressemblait, il y a à peine quatre ans. “Un champ de patates”, s’amuse Dimitri Vander Heyden qui, avec Sophie Wautier, son épouse, a œuvré à la métamorphose du lieu.
Une oasis de résilience
“On voulait créer une oasis de biodiversité et de résilience économique, écologique et sociale”, explique-t-il. Comme socle de leur activité, ils choisissent le vin effervescent, produit en biodynamie. “Le climat, semblable, bien que plus humide, à la Champagne, est propice à la production de bulles”, précise Dimitri Vander Heyden. Mais si le vin est produit dans la tradition champenoise, “on voulait faire de la viticulture autrement : en respectant l’environnement et l’humain”. Telle est la philosophie et l’âme du lieu.

Pour ce faire, la conversion des terres en bio a débuté en 2016. Trois ans plus tard, la certification acquise, les vignes étaient plantées. Du chardonnay, du Pinot noir et du Meunier. En 2022, les premiers vins sortaient des caves. “De terres, qui ont peu de valeur, on crée un produit haut de gamme”, commente Dimitri Vander Heyden. Un “Brut du Brabant” qu’il prévend entièrement aux “membres” du domaine – dont des restaurants étoilés (lire ci-dessous). La résilience financière est, dans ce modèle, assurée.
D’un point de vue environnemental, la production se fait en biodynamie : aucun intrant, aucun ajout, pas d’arrosage, de la fermentation naturelle. “Le cahier des charges est assez simple : on n’a droit à rien ! ”, s’amuse-t-il. Mais la méthode de production seule ne réduit pas suffisamment l’empreinte environnementale de ses activités, juge-t-il. L’oasis ne peut être résiliente qu’en étant plus autonome…
Du miscanthus comme combustible
Le domaine brûlait alors 12 000 litres de mazout par an pour chauffer les “quelques milliers de mètres cubes” des bâtiments de la ferme. Certes, ils ont été isolés au niveau thermique, “mais les volumes restent importants”, souligne Dimitri Vander Heyden. Dans un souci écologique, les fondateurs ont donc cherché une alternative. Ils l’ont trouvée dans une autre ferme namuroise : du miscanthus, sorte de long et fin bambou, y est planté à des fins de combustible de chauffage. Le couple y a vu la solution idéale pour diminuer son impact sur l’environnement. “Le miscanthus séquestre plus de carbone qu’il n’en rejette lors de la combustion, motive le vigneron. Il devrait nous permettre d’éviter le rejet de 30 tonnes de CO2 par an dans l’atmosphère. ”
Déjà au four et au moulin, il ne fallait pas que cette activité agricole soit trop énergivore. “Il suffit de planter le miscanthus une seule fois puisqu’il repousse quand on le coupe”, se réjouit-il. En outre, les feuilles sèchent et tombent sur le sol, constituant un paillage naturel contre les mauvaises herbes.
Le miscanthus s’étend désormais de tout son haut – approximativement 3 mètres – sur 1,7 hectare de terres. Une quantité suffisante pour remplacer totalement le mazout. “Évidemment, il faut disposer de la surface nécessaire”, admet Dimitri Vander Heyden. Des terres pour le cultiver et de l’espace pour le stocker. Par contre, “il a l’avantage de sécher sur pied”, autrement dit, il est prêt à l’emploi dès la récolte. Celle-ci ne nécessite par ailleurs pas d’outil particulier. “Une ensileuse à maïs permet de découper les plants en morceaux de petite taille, adaptés à la chaudière. On produit donc notre combustible pour les 30 prochaines années”, anticipe M. Vander Heyden. Après quoi, il mettra probablement la terre en jachère.
Ce choix écologique s’est avéré avoir aussi un intérêt économique. “Le miscanthus nécessite une chaudière particulière, pour laquelle nous avons pu faire un leasing auprès de Coopeos”, explique Dimitri Vander Heyden. Cette coopérative citoyenne, via une entreprise de travail adapté, lui fournit du bois de chauffage le temps que le miscanthus arrive à maturité. Ce bois de récupération ne suivant pas les prix du marché, ni la crise du Covid ni la guerre en Ukraine n’ont eu d’impact sur le pari fait par le vigneron.
Pour parfaire l’engagement environnemental du domaine, des panneaux photovoltaïques assurent – du moins lorsque l’ensoleillement le permet – l’alimentation en électricité. L’eau de pluie est récupérée, via les 2000 m2 de toiture, dans trois citernes de 20 000 litres chacune, reliées aux sanitaires. La ferme dispose enfin d’une mini-station de traitement des eaux usées.
Recréer de la biodiversité
Dimitri, Sophie et leurs quatre employés sont désormais entourés de 35 000 pieds de vigne qui s’alignent sur 35 kilomètres de rangées – dont certaines sont ponctuées de piquets à rapaces, prédateurs des mulots. Ils ont installé une dizaine de ruches et planté quelque 1200 arbres et arbustes mellifères, dans et autour des vignes, servant de “refuge pour les auxiliaires” – les coccinelles, par exemple, qui mangent les pucerons. Un maillage essentiel entre ces insectes qui préviennent les maladies de la vigne puisque, en accord avec les principes exigeants de la biodynamie, aucun traitement ne peut être appliqué.

Cette année, des étangs et une zone de d’immersion temporaire – gérée en collaboration avec la commune et Natagora – ont également vu le jour pour lutter contre les inondations. Des chevaux de trait ont été mis à contribution pour le buttage. Quelques moutons d’Ouessant paissent dans une vaste prairie. “Ils enrichissent les sols et, l’hiver, broutent l’herbe laissée entre les rangées de vignes”, pour favoriser, là aussi, la biodiversité. Une manière de palier l’impact néfaste d’une monoculture, souligne Dimitri Vander Heyden.
Ici, des prés fleuris et là, des terres vides. Peut-être y trouvera-t-on prochainement des vaches et un verger. “Ça fait partie de nos envies de résilience alimentaire”, glisse le vigneron. Des éléments qui participent au modèle qu’il crée sur mesure et qu’il peaufine au fil du temps.
Au Domaine W, le vin est vendu avant d’être produit
Le Domaine W a ceci de particulier qu’il fonctionne sous forme de “membership”. Pour accéder à ces vins haut de gamme et aux activités organisées par les fondateurs du domaine, il faut financer ce dernier. Ils sont 1200 à avoir participé à la première levée de fonds (1,5 million d’euros, tout de même). Des amateurs de vin, des passionnés de nature, mais aussi des chefs d’entreprise peu acquis à la cause environnementale “et qui deviennent de vrais ambassadeurs” et défenseur du climat, commente Dimitri Vander Heyden. “Ils ont vu la mue du domaine et ils constatent l’importance de la biodiversité sur la production”, poursuit-il. “C’est une manière de sensibiliser ceux qui, a priori, ne le sont pas. ”