Ungersheim, la transition par l'exemple

Rencontre : Gilles Toussaint

La journaliste Marie-Monique Robin était au cinéma Caméo de Namur ce lundi, à l'occasion de la sortie de son nouveau documentaire « Qu'est-ce qu'on attend ?» L'auteure du « Monde selon Monsanto » y donne longuement la parole aux habitants et au maire d'Ungersheim, une petite ville alsacienne activement engagée dans la transition écologique.  Un récit qui montre concrètement que le changement est non seulement nécessaire mais aussi tout à fait possible.

Comment est née l'idée de ce documentaire ? Vous souhaitiez montrer l'image d'un futur désirable?

En fait, c'est une démarche que j'ai entamée depuis plusieurs années. Au cours de mes reportages j'ai beaucoup voyagé et j'ai pris conscience de l'état de la planète: l'épuisement des ressources, de la biodiversité, etc... J'ai vu cela.

Et alors que j'avais toujours considéré que mon métier était celui de lanceur d'alerte, je me suis dit il fallait s'intéresser aux lanceurs d'avenir. J'ai donc fait une série de films dont « Sacrée croissance », qui s'interrogeait sur le modèle "produire plus, consommer plus" comme moteur de l'économie, alors que les ressources de la planète sont limitées et que sa capacité à encaisser les déchets que nous produisons atteint des points de saturation absolument évidents.

Lors de la projection de ce documentaire dans une petite ville d'Alsace, un monsieur est venu me voir en me disant « Tout ce que vous racontez dans votre film, nous le faisons déjà. »

C'était Jean-Claude Mench, le maire d'Ungersheim. Il m'a tendu un fascicule et, en effet, c'était exactement cela. On y parlait de recherche de l'autonomie alimentaire et énergétique, de résilience, du maintien des ressources, de l'économie circulaire... Je suis allée voir en février 2015 et je me suis dit qu'il fallait faire ce film. Un film sur le temps long et sur un territoire local où on voit la dynamique à l'œuvre, les doutes, les difficultés. J'y suis retournée quasiment tous les mois pendant un an pour suivre l'évolution des projets en cours.

Les gens qui y prennent la parole sont des Français « ordinaires ». Il y avait aussi la volonté de mettre cela en avant ?

Oui, je voulais que ce soit ces gens qui racontent leur histoire. On me demande souvent si j'ai écrit leur texte, mais pas du tout. Ils parlent tous très bien de ce qu'ils font parce qu'ils sont habités par un projet d'intérêt commun qui a du sens. Je pense que ça peut inspirer beaucoup de gens parce que c'est à la portée de n'importe quel citoyen.

Ces personnes semblent vraiment heureuses. C'est le cas où elles font un peu semblant?

Ah ben non, ils ne font pas semblant. On le verrait. Non, non, ils sont vraiment heureux. Et fiers. C'est très intéressant de voir comment ils revendiquent la fierté de faire les choses ensemble et de les faire pour l'intérêt général. C'est assez marquant. C'est ça la dynamique vertueuse: on voit comment quand on encourage le meilleur des gens, le meilleur sort.

Mais il s'agit tout de même d'un noyau restreint. Quelle est l'attitude du reste de la population ?

Il s'agit en effet d'un noyau d'environ 150 personnes, ce qui n'est pas si mal dans une ville de 2200 habitants. Beaucoup ne sont pas impliqués parce qu'ils sont tout simplement pris par leur vie. Lors de l'avant-première organisée au mois de novembre à Ungersheim, 600 personnes étaient présentes. Et à la sortie, on entendait : « T u as vu, ce qu'on fait sur la commune, c'est super !"

Depuis que le film est sorti, la commune a dû embaucher quelqu'un à plein temps pour faire face à toutes les demandes, notamment des élus de partout qui veulent voir comment cela fonctionne. Le maire m'a dit que le documentaire avait donné un coup d'accélérateur.

Ce qui est intéressant c'est que l'on est aussi à l'échelle d'un territoire ...

Oui. Ici on voit que les élus locaux éclairés et courageux ont le beau rôle. Nos élus locaux ont des leviers puissants pour agir. Et la bonne nouvelle, c'est que ça crée de l'emploi pérenne. Quand tu tends vers l'autonomie alimentaire ou énergétique, tu crées des emplois qu'on ne peut pas délocaliser. Et cela crée du lien social, ce qui est essentiel.

On voit pas mal de personnes âgées s'impliquer et il y a aussi une volonté dans le chef du maire d'être inclusif…

Oui, c'est très important dans le modèle économique développé par Ungersheim. La commune a créé une centaine d'emplois en dix ans, en réduisant considérablement les émissions de gaz à effet de serre et sans augmenter les impôts locaux. Ils font d'énormes économies financières, mais les 100 emplois créés ne sont possibles que parce qu'il y a des bénévoles, notamment parmi les personnes retraitées, qui viennent donner des coups de main.

On voit aussi comment les gamins d'un lycée technologique, avec lequel la municipalité s'est associée, sont impliqués pour réaliser le cadastre solaire de la commune et identifier les toitures favorables à l'installation de panneaux .

Mais n'y a-t-il pas un risque de voir cette commune se replier sur-elle-même ?

Non, il ne s'agit pas de se dire qu'on va se replier sur soi, mais d'arrêter de faire n'importe quoi, en fait. Réduire notre empreinte écologique en relocalisant l'alimentation, l'énergie et l'activité économique ne veut pas dire qu'on se replie sur soi, mais simplement qu'on arrête de gaspiller les ressources, notamment en baladant les aliments sur de très grandes distances.

La grande force et la grande faiblesse de ce projet, n'est-ce pas son maire justement ? C'est lui le moteur…

Quand j'ai fait « Sacré croissance », j'avais déjà observé qu'il y avait toujours ce que j'appelle « un héros local » , un moteur. On en a besoin. Après la question est de savoir ce qui se passe si ce moteur s'arrête. Jean-Claude Mench en est à son cinquième mandat et il a décidé d'arrêter après. Il est conscient de cela.

Donc ils sont en train de voir comment faire en sorte que tout ce qui a été impulsé par la mairie développe sa propre autonomie sous forme de coopérative. C'est une belle démonstration d'un politqiue qui inspire, qui donne les moyens de faire, puis qui dit à ses concitoyens : « A présent, faites ». Je trouve cela intéressant dans le contexte actuel, car on sent pour le moment une grande demande d'implication citoyenne. On en revient à la politique au sens noble.

Libérer un peu de terrain, se battre par arrêter de bétonner… Cela peut devenir épuisant. C'est pour cela qu'on a besoin des élus locaux, ils peuvent jouer un rôle important dans la facilitation des initiatives. Je pense qu'un des messages du film, c'est la force du collectif. Il faut essayer de se rassembler autour de convergences importantes et qui permettent de s'épauler. Tout le monde a à y gagner C'est cela qui peut faire que ces initiatives changent d'échelle.

Le documentaire montre que le politique a son rôle à jouer, mais aussi que chacun peut avoir une action politique.

L'exemple d'Ungersheim est reproductible à grande échelle ?

Je pense que c'est absolument reproductible partout à condition de bien identifier les enjeux collectivement, la vision. Et ensuite de voir comment en fonction de la réalité locale, on peut enclencher cette dynamique vertueuse. D'ailleurs, la maire de Paris, Anne Hidalgo, a mis en place des actions qui vont dans ce sens.

Des initiatives il y a en a partout, la question c'est de montrer comment on peut passer à la vitesse supérieure et rentrer dans un véritable programme de transition globale où on applique cette logique dans chaque territoire. Là, on a besoin de mesures au niveau national pour au moins aider ceux qui veulent de changer de cap.

« Qu'est-ce qu'on attend ?"  est diffusé en avant-première ce mercredi soir au cinéma Vendôme à Bruxelles.

Plus d'infos sur :  www.grignoux.be/questcequonattend

« La Libre Culture » publiera la critique de ce documentaire le mercredi 31 mai, jour de sa sortie officielle en salle.

Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...