Au Ricochet, l’inclusion passe par l’amitié

Le Ricochet, service d’accompagnement à la vie quotidienne, organise un “parrainage civique”. Objectif : favoriser l’inclusion des personnes porteuses d’un handicap mental. Le logement est aussi un levier d’autonomisation.

Brigitte et Marie-Françoise se sont donné rendez-vous en terrasse, en cet après-midi anormalement chaud de la mi-septembre. Elles ont prévu de boire un verre et de papoter, comme elles le font depuis trente ans. Quand elles se sont rencontrées, Brigitte avait 21 ans et Marie-Françoise 35. La première, porteuse d’une déficience mentale, avait perdu ses parents ; la seconde a accepté de devenir son administratrice de biens pour ensuite endosser le rôle de “marraine”. “Nous étions seules, sans soutien”, se souvient Marie-Françoise. Elles rejoignent alors l’Asbl Ricochet, qui vient de voir le jour et qui “pouvait accueillir notre parrainage, intervenir comme un tiers et ainsi éclairer notre relation”, explique Marie-Françoise.

Un ami qui vous veut du bien

Depuis lors, comme le demande l’association, le duo se rejoint une fois par mois autour d’une activité de loisir “qui fait plaisir aux deux parties” : cinéma, restaurant, promenade, sortie culturelle… “J’aime bien faire de la pâtisserie pour Marcel”, ajoute Brigitte. Marcel, c’est le mari de Marie-France. “Ils ont une relation taquine”, commente cette dernière. Brigitte n’est ainsi pas uniquement la filleule de Marie-France, elle est considérée comme un membre de la famille. “Ma marraine, mon parrain, ma famille, c’est très important pour moi”, glisse-t-elle.
Essentielle, cette relation “installée dans la durée”, l’est aussi pour sa marraine. “Brigitte a un sens relationnel hors pair. Elle apporte du sens, de la joie, du bonheur dans nos vies”, dit-elle. À ces mots, sa filleule et amie prend ses mains dans les siennes et plonge son regard empli d’émotion dans les yeux clairs de sa marraine avant de les lever vers le ciel et de joindre ses mains en prière. “Notre relation s’est fortifiée avec le temps et les événements plus ou moins heureux que l’on a partagés. Elle fait partie de ma vie et je ne m’imagine pas que le parrainage prenne fin…”, ajoute Marie-Françoise.

Au Ricochet, l’inclusion passe par l’amitié
©Mélanie Lecomte

“Rares sont les amis que l’on voit systématiquement une fois par mois”, commente Elise Florent, directrice de l’Asbl. Cette régularité forge des liens d’autant plus forts “sans brûler les ailes des parrains et marraines, qui pourraient s’essouffler, ni créer une trop grande attente du côté des filleuls.”

La création de lien est le fil conducteur des actions de Ricochet, née pour compléter l’offre du Silex, un centre de loisirs et de créativité pour personnes adultes ayant une déficience mentale ou non. “L’aspect de groupe est peu favorable pour ceux qui ont des difficultés à s’exprimer en collectivité, constate Elise Florent. D’autres se sentent seuls, n’ont pas de réseau autour d’eux et ont dès lors besoin de relations privilégiées et d’un accompagnement au quotidien.” C’est ce à quoi s’attelle le Ricochet.

Comme Brigitte et Marie-Françoise, une petite quarantaine de duos entretiennent une “relation d’amitié désintéressée”, explique Mélanie Lecomte, accompagnatrice sociale dont la responsabilité est d’accompagner les duos – “selon la formule qui leur convient le mieux” – et d’aider les personnes porteuses de handicap à développer leur autonomie sur base d’un projet individuel d’accompagnement.

Une dimension citoyenne

Le Ricochet est la seule association en Belgique francophone à mettre en place le parrainage civique, un concept venu du Canada. “La dimension citoyenne n’est pas anecdotique, précise Elise Florent. Le parrainage est un acte citoyen. Il favorise l’inclusion des personnes porteuses de déficience. Pour celles-ci, le fait de participer à des activités est une manière de prendre une place de citoyen acteur à part entière dans la société, de prendre conscience de leurs droits et de leurs devoirs.”

De la même manière, le parrainage peut agir comme “moteur” d’autonomisation dans la vie quotidienne du filleul. Prendre les transports en commun pour se rendre à l’activité prévue, téléphoner à son parrain ou sa marraine pour fixer un rendez-vous, utiliser les outils de la technologie mobile pour communiquer... sont autant d’apprentissages durables insufflés par le parrainage. “Ce sont des déclics pour beaucoup d’entre eux et cela se fait par un biais ludique”, commente Elise Florent.

La liste d’attente s’allonge

Le souhait de l’association est de voir naître, sans négliger les déficiences existantes, des relations les plus égalitaires possible entre les membres du binôme. “L’enrichissement est mutuel. Chacun apporte à l’autre sa manière de voir la vie et son regard sur les choses”, observe Elise Florent.

Malheureusement, le concept est victime de son succès et les parrains et marraines désireux de s’engager dans une telle aventure humaine manquent à l’appel, si bien que la liste d’attente des filleuls s’allonge. “C’est pourtant une formule souple : ce sont les binômes qui décident du moment, de l’activité et du temps qu’ils y consacrent”, motive Elise Florent. Par ailleurs, après une période “test” de 6 mois, le duo s’engage pour un an, renouvelable chaque année. “Dans tous les cas, le Ricochet est présent pour les accompagner de manière adaptée, apporter son soutien voire trouver des solutions lorsqu’il le faut”, assure Mélanie Lecomte. “Dans les (rares) cas où le parrainage prend fin, nous accompagnons le duo pour que cela se passe en douceur”, ponctue la directrice de l’Asbl.

Vivre seul, mais accompagné

Depuis 2011, à côté du parrainage civique, les logements accompagnés sont reconnus comme “action spécifique” du Ricochet. L’Asbl dispose ainsi de sept appartements individuels, répartis dans deux maisons de Woluwe-Saint-Lambert, à quelques pas du Silex, où se rendent régulièrement les bénéficiaires des logements dans le cadre d’activités collectives.

Les logements participent de la même logique d’autonomisation des personnes porteuse d’un handicap. “Cela permet aux parents de laisser leur enfant quitter le nid familial en rejoignant un cadre sécurisé”, motive Elise Florent. C’est notamment le cas de Laurent. Cela fait “21 ans, 2 mois et 18 jours” qu’il occupe l’appartement du rez-de-chaussée. Vivre seul mais proche de ses amis, ça lui plaît et le rassure. “Le jardin est partagé et la terrasse est à moi. Mais j’aime bien quand les autres y viennent”, confie ce grand amateur de course à pied et d’amphibiens. Richard Lins Rumano, accompagnateur social, lui rend régulièrement visite pour s’assurer que tout va bien et l’assister dans certaines démarches. Mais aussi pour assurer une présence, essentielle pour ceux qui ressentent, parfois, un sentiment de solitude.

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