Et si le “business as usual” faisait peau neuve ?

Coopcity, incubateur bruxellois d’entreprises sociales, accompagne leur émergence et leur développement. Avec pour mission de reconnecter l’économie à la société. Où la première sert la seconde. Après cinq ans d’existence, l’heure est au bilan : encourageant !

Briser la solitude des aînés en favorisant la création de liens, voilà la mission que s’est fixée Bras dessus bras dessous . De son côté, Le Kinograph invite ses coopérateurs à participer à la vie de ce premier cinéma indépendant à Bruxelles , tandis que le supermarché local et bio BeesCoop est géré par ses coopérateurs. Communa organise l’occupation temporaire de site inoccupés; As Bean sensibilise les étudiants aux enjeux de l’alimentation durable et la rend accessible à ce public ; FruitCollect lutte contre le gaspillage alimentaire alors que The Smiling Company favorise la réinsertion par le travail dans sa tarterie-biscuiterie solidaire... Si ces entreprises sont actives dans des secteurs variés, toutes ont en commun d’être passées par Coopcity et d’avoir embrassé le modèle économique défendu par cet incubateur d’entreprises d’un nouveau genre.

Car pour ses fondateurs, le “business as usual” a fait son temps. L’entrepreneuriat “classique” est en perte de vitesse, péchant par manque de sens. Coopcity propose une autre voie, une vision différente de “faire économie” qui va de pair avec “une manière de faire société”. “On porte une autre vision d’entreprendre, dans laquelle l’économie est au service de la collectivité et répond à des besoins sociaux ou environnementaux”, résume Sabrina Nisen, coordinatrice de ce centre dédié à l’entrepreneuriat social à Bruxelles.

Au moment où “le local, le durable et le bio sont mis à toutes les sauces, il est temps de réaffirmer ce que l’on met derrière ces valeurs”, insiste Candice Francescato, responsable de projets. Qu’est-ce qu’une entreprise sociale et quels sont les mécanismes qui la fondent ? “Une entreprise sociale combine trois composantes essentielles”, entame-t-elle. Elle propose un projet qui s’ancre dans un territoire et répond à un besoin social ou environnemental ; elle est viable économiquement et ses bénéfices sont réinjectés pour accomplir sa finalité ; son fonctionnement interne est régi par des dynamiques participatives.

Innovation sociale et transition

Au travers de ses programmes Seeds et Bloom, Coopcity s’adresse autant à ces entrepreneurs qui démarrent avec une idée et des perspectives économiques en tête, en leur proposant un suivi individualisé, qu’à des entreprises existantes dont elle aide à consolider le modèle. Partenaire d’innovation, Coopcity favorise par ailleurs l’émergence de partenariats multi-acteurs issus d’une même filière ou travaillant autour d’une même thématique. “Ces collaborations sont essentielles pour changer l’économie”, motive Sabrina Nisen. Une économie qu’elle souhaite “plus sociale, plus solidaire, plus coopérative”.

Logement, santé, alimentation durable, service à la personne, culture, éducation, mobilité, communication, technologie, environnement...

“Aucun secteur n’est laissé de côté par des porteurs de projets qui réinventent le Bruxelles de demain”, poursuit-elle “On est dans une société où on doit réinventer plein de choses.” Les défis d’une transition économique et sociale à Bruxelles sont effectivement immenses. Mais les acteurs qui s’y engagent sont tous les jours plus nombreux, encouragés par une politique “de transition économique et sociale (qui) s’affirme en région bruxelloise”. (Lire ci-contre) Les pouvoirs publics ont “fait du trajet”, estiment nos interlocutrices. À tel point qu’aujourd’hui, la question n’est pas tant de déterminer si l’entrepreneuriat social est une alternative viable – “la prise de conscience est ancrée” -, mais bien de “transformer l’essai” en développant davantage l’écosystème créé, de telle manière que le modèle de l’économie sociale devienne le premier réflexe pour un entrepreneur qui se lance. “Il convient de renforcer le soutien et l’accompagnement de ces initiatives et entreprises afin de transformer ces acteurs en un moteur économique durable”, insiste Candice Francescato.

“Le gisement est là, d’autant plus avec la nouvelle génération qui arrive”, martèle Sabrina Nisen. Un constat qu’elle avait déjà eu l’occasion de faire au lancement de Coopcity, en 2016. “On aurait dit que les entrepreneurs nous attendaient”, retrace Candice Francescato. Depuis son lancement, Coopcity a accompagné 136 projets. Les 42 entreprises qui en résultent ont permis de créer près de 80 emplois.

Le centre bruxellois propose à ces entrepreneurs non seulement de valider leur projet mais aussi un lieu physique – à Saint-Gilles – d’accompagnement, d’expérimentation, d’innovation et de partage. La mise en réseau, ô combien importante dans le secteur de l’entrepreneuriat, est d’ailleurs une de ses principales forces. “Nous sommes des accélérateurs de projets et de liens, des connecteurs de gens”, commente Mme Nisen. Les entrepreneurs ont bien compris cette logique de coopération et se “l’approprient” – c’est encore plus vrai en temps de crise – en nouant des partenariats entre eux, en partageant leurs compétences, profitant ainsi pleinement d’une ville région à taille humaine.

Un choc des cultures

Des compétences, il a fallu en mobiliser, pour accompagner ces entrepreneurs d’un genre nouveau. Mais Coopcity n’est pas parti de rien. Sabrina Nisen aime répéter qu’au contraire, ils font “rayonner l’existant”. Des partenariats ont en effet été scellés avec des acteurs dont “les prismes sont différents : de l’économie classique à l’économie sociale très engagée”. Le reflet de l’envie de diversifier les points de vue et d’embarquer tout le monde dans la réflexion pour rendre les échanges plus riches encore. “C’est un choc des cultures, mais les débats et les désaccords permettent de changer les choses”, pense Sabrina Nisen. Ainsi, les écoles de business de Solvay et de l’Ichec, SAW-B, Job Yourself, Fedecoop, Innoviris et le Hub font partie de ces membres fondateurs, enrichissant l’accompagnement de leurs compétences propres, et “commencent à partager une même vision de l’entrepreneuriat social”, se réjouit-elle.

Et si le “business as usual” faisait peau neuve ?
©COOPCITY

Continuer à faire bouger les lignes

L’économie sociale peut-elle être une voie de développement pour le territoire ? C’est ce que pensent Sabrina Nisen et Candice Francescato. Une vision que partagent les élus de la Région bruxelloise, transcendant les couleurs politiques. “La transition économique, telle que nous la concevons, c’est aligner les objectifs économiques sur les objectifs environnementaux, mais c’est aussi valoriser les modèles économiques où la finalité sociale prime sur la maximisation du profit et dans lesquels les décisions sont prises de façon démocratique”, affirme Barabra Trachte, Secrétaire d'Etat bruxelloise chargée de la Transition économique.

Bénéficiant jusque-là de fonds européens (FEDER), Coopcity est désormais soutenu par la Région bruxelloise pour cinq ans. “Cette pérennisation a tout son sens pour capitaliser sur le travail accompli par Coopcity et permettre d’augmenter le nombre de ces entreprises présentes sur le territoire, poursuit Barbara Trachte. L’objectif est de faire essaimer : passer du laboratoire au développement à plus grande échelle”.

Fort de cette légitimité, l’incubateur entend devenir “un acteur incontournable dans le plan de redéploiement de Bruxelles”. En soutenant l’innovation, en accompagnant l’émergence de PME sociales autant que de “projets d’ampleur”, il veut “faire bouger les lignes”, réinventer les métiers et leurs finalités, à l’instar de la nouvelle venue “Casa Légal” (une ASBL d’avocates qui base son fonctionnement sur celui des maisons médicales), dont Coopcity loue le côté novateur et le réel potentiel de transformation social.

“L’innovation n’est pas notre unique préoccupation”, précise toutefois Mme Francescato. Coopcity joue aussi un important rôle de “veille” afin d’accompagner des projets qui ont marché ailleurs et qui voudraient s’implanter à Bruxelles. Encore faut-il “renforcer les liens avec les financeurs”. Un autre défi !

Après cinq années d’activité, l’heure est donc au bilan. Il devra prendre en compte les impacts d’un an de crise sanitaire. “La majorité des entreprises accompagnées a su se réinventer, trouver de nouvelles sources de financement et d’activité”, soulève Candice Francescato. Signe que ce modèle a de fortes capacités de résilience. “Ces initiatives nous démontrent qu’il est possible de relocaliser l’économie, d’innover, de coopérer et de proposer des alternatives viables même dans l’urgence”. C’est comme cela que Coopcity veut “accompagner la relance”. Au-delà, l’incubateur entend “basculer le paradigme”  et faire de l’entrepreneuriat social une nouvelle norme, le nouveau “business as usual”. “Alors on aura réussi !”, ponctue Sabrina Nisen

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