Faire de Bruxelles une ville-verger
Le projet ARBRES a pour objectif de multiplier la plantation d’arbres fruitiers dans la capitale. Ceux-ci permettent non seulement d’offrir des ressources alimentaires, mais aussi de rendre toute une série d’autres services écosystémiques aux habitants, qui seront associés à la création et la gestion de ces vergers décentralisés.
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- Publié le 05-07-2021 à 07h30
- Mis à jour le 05-07-2021 à 09h16
Reportage
Gilles Toussaint
"Bruxelles, c’est vraiment une ville très arborée. Mais pourquoi trouve-t-on partout des marronniers d’Inde, qui ne produisent rien de comestible et sont très salissants, plutôt que des châtaigniers ? À Caracas, on trouve des manguiers partout dans les rues de la ville. À Séville, ce sont des orangers. Alors pourquoi les fruitiers ont-ils déserté la ville chez nous ? Quels sont les critères qui ont dicté ces choix qui semblent reposer avant tout sur des considérations paysagères et qui ne sont plus du tout adaptés aux enjeux actuels ?”
Ces questions – et de nombreuses autres – taraudent depuis un moment Simon De Muynck, Coordinateur de projets de recherche-action au Centre d’écologie urbaine, une ASBL qui a pour objectif d’augmenter la résilience de Bruxelles en misant sur les innovations sociales et la participation citoyenne.

Des arbres fruitiers pourtant, on en croise quelques-uns dans certains parcs bruxellois, comme ce pommier haute tige et ce noyer d’un âge honorable installés dans le parc du Jardin du chat, sur la commune d’Uccle, où il nous a fixé rendez-vous. “Mais personne ne sait quand on les a plantés là, ni pourquoi”, observe-t-il.
Au sein du Centre d’écologie urbaine, Simon De Muynck a pris part depuis une dizaine d’années à une série de projets liés aux pratiques d’agriculture urbaine et d’alimentation durable dans la Région-Capitale : mise en place de jardins potagers collectifs, de vergers, de composts… “Ce qui m’a frappé, c’est que l’on pratiquait essentiellement la culture hors sol, dans des bacs. Cela s’explique en large part par la pression foncière et l’urbanisation croissante, mais aussi de la pollution des sols héritée du passé industriel de la ville”, explique-t-il.
Au bonheur des arbres fruitiers
Mais alors que la production maraîchère se heurte souvent à ce problème du manque d’espace disponible, les arbres – et en particulier les arbres fruitiers – constituent un outil de résilience incomparable, poursuit notre interlocuteur. Et d’énumérer la liste des services écosystémiques discrètement mais efficacement rendus par ces alliés feuillus : ils prennent très peu de place et offrent une production assez intensive ; ils constituent une source de nourriture pour les oiseaux et les pollinisateurs ; ils sont très peu sensibles aux polluants ; ils contribuent à faciliter l’infiltration des eaux de pluie dans les sols et ils offrent de l’ombre et des îlots de fraîcheur alors que les dérèglements du climat tendent à transformer les villes en fournaises durant l’été.
Autant d’arguments qui ont prévalu au lancement du projet “ARBRES”, retenu dans le cadre du programme Innoviris 2021-2024. Dans le cadre de celui-ci toutefois, le Centre d’écologie urbaine et ses partenaires – l’ASBL Velt Brussels, Bruxelles Environnement et les administrations communales d’Uccle et de Forest – se focaliseront en priorité sur les services alimentaires que peut apporter le déploiement d’arbres fruitiers dans la ville.

“Les communes de Forest et d’Uccle nous offrent en quelque sorte des espaces verts pour réaliser des expérimentations. Il peut s’agir de parcs, de squares, peut-être des promenades vertes, des friches et, probablement, des rues. Nous allons tout d’abord établir une base de données dans laquelle nous définirons les fonctions que nous souhaitons voir remplis par ces arbres : adaptés à la sécheresse, résistants aux vents violents ou aux pluies intenses, présentant certaines qualités olfactives, offrant des fruits à haute valeur nutritive ou jouant un rôle paysager… À partir de là, nous sélectionnerons les essences susceptibles de répondre à ces attentes. Le tout en tenant compte de l’évolution attendue du climat au cours des prochaines décennies, au regard des scénarios élaborés par le Giec”, développe Simon De Muynck.
Vergers exploratoires plutôt que conservatoires
D’autres paramètres entreront en outre en jeu en fonction de la configuration du lieu d’accueil comme la présence de véhicules en stationnement, les règles urbanistiques limitant la hauteur des arbres autorisés ou encore la volonté d’éviter certains fruits qui “tachent” plus que d’autres. À chaque fois, l’objectif sera de trouver les essences qui concordent le mieux à l’endroit d’implantation. Les fruitiers haute tige, tels les pommiers, poiriers et autres cerisiers seront plutôt réservés aux parcs, tandis que l’on peut imaginer des promenades vertes bordées de petits fruitiers comme des framboisiers ou des groseilliers à maquereau.
Si les variétés à tendance invasive seront proscrites de cette sélection, il n’en ira pas forcément de même pour toutes les essences non indigènes. Car, ici, l’enjeu est bien d’arriver à une mixité de plantations les mieux adaptées possible au climat de demain. On est dans une approche de vergers exploratoires plutôt que conservatoires, résume notre interlocuteur. “La diversité recherchée est fonctionnelle plutôt que génétique”.
Une fois ce travail de défrichage bouclé, des fiches de vulgarisation seront proposées dans les ateliers de co-création auxquels seront invités à participer les habitants du voisinage de chacun des lieux d’implantation retenus.
Une gouvernance participative
Car l’autre enjeu de ce projet, qui s’inscrit inévitablement dans le long terme dicté par le rythme naturel de croissance de ces arbres, sera d’organiser une gestion dans la durée, qu’il s’agisse de leur entretien (taille…) ou d’en récolter les fruits. L’ambition est donc d’y associer tous les acteurs directement concernés, à savoir les services chargés de la gestion des espaces verts de la commune – dont la charge de travail est souvent déjà très conséquente – et les citoyens.
“Il s’agit aussi de lutter contre certains mésusages comme l’arrachage ou le fait que certaines personnes tendent à s’approprier tous les fruits”, ajoute Simon De Muynck. Si, dans un premier temps du moins, aucune commercialisation de ces récoltes n’aura lieu afin d’éviter une concurrence déloyale avec les producteurs professionnels, on peut imaginer produire des jus avec des pressoirs mobiles, poursuit le coordinateur. Mais aussi qu’une partie des fruits récoltés soient redistribués aux CPAS, par exemple, afin que tous les Bruxellois, y compris les résidents de quartiers moins favorisés, bénéficient également de ce que la nature bruxelloise a à leur offrir.