Et si nous produisions notre propre alimentation ?

Nourrir Demain propose au citoyen de se réapproprier des techniques de culture et d’élevage. Et d’ainsi tendre vers une certaine autonomie alimentaire.

Antoine et sa compagne viennent d'acheter une maison en périphérie namuroise. "La priorité, c'était d'avoir un espace pour cultiver", souligne-t-il. Et ainsi, un jour, s'affranchir des achats en supermarchés et devenir autonome en termes de production alimentaire. "Je suis au début de la démarche", précise le jeune homme."Je m'en sors bien pour les légumes et les fruits… Mais j'ai envie d'aller plus loin et d'apprendre d'autres techniques. Les champignons, j'adore en manger et j'ai envie de savoir en cultiver". Et pour cela, il est au bon endroit !

Ce soir-là, l'ASBL namuroise Nourrir Demain organise en effet un atelier consacré à cette thématique. Il est animé par Quentin Gobert, fondateur de la Mycosphère et producteur d'une dizaine de variétés de champignons. "Un champignon, c'est quasi un miracle !", souligne-t-il d'emblée devant la quinzaine de participants.

Des spores au champignon

Pour bien comprendre comment fonctionne sa culture, mieux vaut revoir les bases. Les spores (sortes de graines microscopiques) tombent ou sont placées sur un substrat (de la matière carbonée propice à son développement telle que la sciure de bois, la paille, les bûches, le fumier de cheval…) et fusionnent (ou se reproduisent). Ce mycélium grandir et "colonise" ou "digère" progressivement le substrat. Après un stress (de température, d'air, de lumière), poussera ensuite le fruit, qu'on appelle champignon. Et c'est de ce champignon que tomberont de nouvelles spores, qui seront déplacées par l'air, les animaux ou les humains. "Nous accumulons sur nos vêtements de 10 à 100 millions de spores chaque jour", soulève Quentin Gobert.

Culture de champignons, de plantes sauvages et de légumes perpétuels, élevage d'insectes et d'escargots, construction de son bac potager, apprentissage des techniques de conservation… Voici les ateliers que propose dans un premier temps Nourrir Demain. Ils n'ont pas été choisis au hasard. Les insectes, par exemple, constituent un apport en protéines important au moment où l'on pense de plus en plus à réduire sa consommation de viande. Les champignons sont riches en protéines également et ont de nombreuses vertus thérapeutiques, en plus des bénéfices pour l'environnement et "tout ce qu'il nous reste à découvrir puisqu'on ne connaît que 20 % des variétés existantes", ajoute Quentin Gobert.

"L'idée selon laquelle cultiver est complexe est largement répandue, regrette Amandine Brouwers, coordinatrice de l'ASBL. Or, il existe des savoirs faciles à mettre en œuvre au quotidien, dans nos vies chargées, et qui concourent à une certaine autonomie dans l'alimentation". L'indépendance que vise Nourrir Demain se mesure "à l'échelle individuelle et est accessible au plus grand nombre".

Et si nous produisions notre propre alimentation ?
©Marie Russillo

Pas à pas, tendre vers l’autonomie

"C'est encore chaud !", commente Carine en plongeant sa main dans la paille humide et finement broyée amenée par Quentin Gobert. Elle a été pasteurisée le matin même afin d'en enlever les bactéries et ainsi favoriser l'incubation des champignons.

La trentaine de mains plonge successivement dans la paille, puis dans le sac de mycélium, réalisant dans un sac plastique avec filtres des couches "en lasagne" avant de le refermer avec de la corde. "D'ici 3 à 4 semaines, le mycélium devrait avoir colonisé le substrat", prévient le "maître mycologue". Il sera alors temps d'ouvrir le sac et d'y ajouter une fine couche de terre (en intérieur) ou de semer en extérieur le mycélium sur un autre substrat : copeaux de bois, sciure, carton, paille, litière d'animal compostée… "Une fois qu'il est bien établi, le mycélium demande peu d'entretien", rassure Monsieur Gobert. Les strophaires ainsi cultivés pourront être récoltés au printemps. "Il peut ensuite donner pendant deux à trois ans, selon le type de matériaux et la quantité utilisée", précise le formateur.µ

Et si nous produisions notre propre alimentation ?
©Marie Russillo

"Apprendre ces savoirs, c'est une manière de reprendre possession de ce qui constitue la base de nos besoins : la nourriture", motive Amandine Brouwers. Car aujourd'hui, "on a délégué notre alimentation aux grands producteurs et à l'industrie, si bien que des savoirs ont été perdus, que l'on ne sait pas ce qui compose nos assiettes, que l'on s'est éloigné du vivant". Les ateliers organisés par Nourrir Demain sont dès lors une "tentative de gagner en autonomie, d'être moins dépendant de filières qui nous échappent, de relocaliser son approvisionnement et de se le réapproprier tout en diminuant l'empreinte carbone de notre alimentation et en recréant du lien avec la nature."

Si le “système craque…”

Alors que Marc et Olivier sympathisent en attendant de passer à la dernière étape de l'atelier, Antoine poursuit, un brin gêné : "J'avoue que je suis un peu éco-anxieux. Apprendre de nouvelles techniques, c'est ajouter une corde à mon arc. Cela me rassure de savoir que je ne serai pas totalement désemparé si…" Si un jour, ce modèle venait à être mis en sérieuse difficulté, comprend-on. "Si le système craque, on part avec !", abonde Laura. "Par les temps qui courent, mieux vaut être capable de se nourrir soi-même", s'amuse Olivier.

"La société de consommation a un impact considérable sur l'environnement. En produisant moi-même, je court-circuite ce système dont on est aujourd'hui hyperdépendant", argumente encore Antoine.

"Ce qui nous importe, c'est de donner le goût et la satisfaction de faire soi-même ; que chacun puisse se sentir acteur de son alimentation et par ce biais, adopter des comportements plus durables, favorisant ainsi une transition écologique", avance Amandine Brouwers. Pour autant, "nous prenons chacun où il est et l'accompagnons à son rythme, sans pression". La philosophie des petits pas… D'ailleurs, "les petits ruisseaux font de grandes rivières", conclut Antoine.

En pratique

En autonomie… ou presque !

Si le champignon a fondamentalement besoin d'humidité, "il peut être récolté presque toute l'année", souligne Quentin Gobert. Encore faut-il en maîtriser la culture !

La productionde champignons est divisée en trois étapes : la production du mycélium, celle du substrat (fabrication, inoculation et incubation) et enfin, des champignons en tant que tels (la fructification). L'autonomie en matière de culture du champignon varie en fonction de la maîtrise de ces différentes étapes. Sans oublier que l'on touche au vivant et qu'un nombre de paramètres ne sont dès lors pas maîtrisables.

En kit. Pour les novices, il existe des "kits" permettant de se familiariser avec la culture de champignons. Il est ainsi possible d'acheter un mélange de mycélium et de substrat dont il faudra entailler le contenant afin que les fruits puissent pousser. Idéal pour la culture en intérieur.

Semi-autonomie. Le mycélium se produit souvent en laboratoire. Il n'est donc pas donné à tout le monde d'en faire la sélection et la multiplication. Il est par contre possible de s'en procurer dans le commerce. Avant de l'inoculer, il faudra broyer – avec une tondeuse par exemple – et pasteuriser la paille (ou autre substrat). Pour ce faire, il convient par exemple de l'immerger dans de l'eau bouillante – idéalement à 70 °C afin de conserver certaines bactéries qui défendront le champignon sans être en compétition avec lui – et de l'égoutter. Autrement, le substrat peut lui aussi être acheté dans le commerce !

Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...