Tulipal, une innovation qui simplifie la vie pendant les règles
Deux jeunes Bruxellois développent un nettoyeur pour coupe menstruelle. Une innovation bienvenue dans un secteur qui en connaît peu. Le projet Tulipal s'inscrit en outre dans une démarche écologique et de lutte pour l’égalité des genres.
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Publié le 13-12-2021 à 07h15 - Mis à jour le 13-12-2021 à 09h15
Reportage
Valentine Van Vyve
Il était programmé pour développer "des machines qui iraient sur Vénus", dit-il. Mais Lucas Secades a finalement utilisé ses compétences à d'autres fins. Toujours dans l'ingénierie, certes, mais d'un autre genre. "J'ai grandi entouré de femmes, avec ma mère et mes sœurs", explique-t-il tout sourire quand on lui demande pourquoi il a fait le choix, en première année de master en études polytechniques, de développer un nettoyeur pour coupe menstruelle. "J'ai été très tôt sensibilisé aux inégalités de genre", poursuit-il.
Alors, quand on lui demande, dans un cours rassemblant des étudiants de différentes disciplines, de développer un projet qui réponde à une problématique, c'est tout trouvé. "J'étais conscient qu'il existait des difficultés liées au nettoyage et à la stérilisation le la coupe menstruelle", se souvient-il. "Celle-ci doit en effet être vidée et nettoyée trois à quatre fois par jour, ceci alors qu'une à deux fois au moins, la personne concernée est hors de son foyer et ne sait pas de quelles infrastructures elle bénéficiera." Le problème se pose effectivement lorsqu'il n'y a pas d'évier dans la cabine de toilette. "C'est une charge mentale pour la personne menstruée." Et peut aussi être "un frein à l'utilisation de la coupe menstruelle", qui est pourtant la solution la plus écologique développée jusqu'à présent.

Le problème est ainsi posé. Lucas Secades y consacrera son mémoire de fin de d'étude. Julia Thieffry, tout juste diplômée bio-ingénieure, le rejoint à ce moment. Le duo décide d'avancer ensemble afin de rendre le produit "fonctionnel et industrialisable". "Il fallait le valider : s'assurer qu'il soit viable et qu'il réponde à un besoin", confie-t-elle. Nul besoin d'attendre longtemps, dès le lancement de la phase-test, 200 personnes s'en font ambassadrices (et ambassadeurs). "Il était évident qu'il y avait une demande !" C'est ainsi que la tulipe de Tulipal est sortie de terre pour entrer dans le cercle des start up MedTech après six mois d'incubation.
Une innovation essentielle dans un domaine délaissé
Dans un vaste local mis la disposition des start-up par l'ULB – Tulipal est hébergé par le Start Lab de l'université bruxelloise -, Lucas Secades et Julia Thieffry ont aménagé leur petit coin cosy. Quelques plantes et deux tables. Sur l'une d'elles, deux imprimantes 3D. "Elles sont à nous !", commente Julia Thieffry. "Voilà le genre de pièces que l'on modélise nous-mêmes", poursuit son acolyte en tendant une pièce rouge vif. On y devine l'extrémité du nettoyeur. "Grâce à ces imprimantes, on peut apporter des modifications et voir directement ce que ça donne", poursuit la jeune femme.
Sur la table d’en face, est fièrement exposé le résultat de leur travail : plusieurs modèles de nettoyeur, tels que développés depuis deux ans. Le dernier est le plus abouti. L’objet tient dans une main. La partie supérieure dévissée, on y glisse la “cup”. Par un ingénieux système de double fond, de l’eau- remplie au préalable - peut y être écoulée. Le capuchon, muni d’une brosse en silicone, s’insère ensuite dans la cup. En le tournant, celle-ci est nettoyée par la brosse. En bout de course, l’eau souillée est versée dans la cuvette des toilettes.

"La forme et la couleur, tout comme la chaîne logistique doivent encore faire l'objet de réflexions avec un ingénieur industriel", précise Lucas Secades. Mais le principe est bel et bien acquis et un brevet a d'ailleurs été déposé. "Pour un tas de raisons structurelles, la recherche et développement est un monde très masculin, soulève Lucas Secades. L'innovation dans le domaine des menstruations est donc rare." Et pourtant incontournable pour la moitié de l'humanité…
S’inscrire dans la transition écologique
Outre son aspect technologique novateur, Tulipal s’inscrit dans son époque en poursuivant des objectifs écologiques ambitieux.
En Belgique et en France, ce ne sont pas moins de 325 millions de protections hygiéniques – une matière non recyclée – qui filent à la poubelle. "Ou pas, d'ailleurs, puisque ça fait partie du top 10 des déchets retrouvés sur les plages, relève Lucas Secades. À l'échelle européenne, on atteint 19 milliards de protections en cinq ans !"
L'atout de la coupe menstruelle, réutilisable pendant cinq années en moyenne, est son impact environnemental faible. Pendant qu'une personne menstruée utilise cette cup, elle n'utilise en effet pas de tampon ou de serviettes à usage unique. Elle permet ainsi d'éviter la production de déchets liés à ces protections hygiéniques, aux applicateurs et autres emballages en plastique individuels, sans compter l'usage de produits chimiques. "L'impact écologique est important puisqu'en utilisant une coupe menstruelle, on réduit notre impact de 95 % par rapport à l'utilisation de tampons, pour la même période", chiffre Julia Thieffry.
"On voulait que le nettoyeur soit en cohérence avec l'aspect écologique de la cup", poursuit-elle. Le produit a donc été réfléchi en prenant le plus possible en compte la contrainte environnementale. "Il était évident que nous voulions nous inscrire dans la transition écologique", poursuit la bio-ingénieure.

Pour y arriver, la production se fera localement – en Belgique ou dans le nord de la France – alors que l'assemblage sera opéré par une entreprise de travail adapté afin de participer à l'insertion des personnes atteintes de handicap. Le produit, simplement composé de quatre pièces en bioplastique, est "résistant", sans colle et aisément démontable, une manière de le réparer plus facilement. Les composants pourront être vendus en pièces détachées. "On s'inscrit dans l'entrepreneuriat durable, estime Lucas Secades. Nous avons analysé le cycle de vie de chaque pièce : l'impact des matériaux, de la production, du transport, de l'usage et la fin de vie."
La fin de vie, justement, est également réfléchie par les deux créateurs de Tulipal. "On réfléchit encore à ce qui fonctionnerait le mieux : récupérer le produit pour le reconditionner nous-mêmes ou faire en sorte qu'il puisse être recyclé facilement…" À terme, l'ambition est qu'il soit "recyclé et recyclable". Mais "le choix du matériau est soumis à des contraintes telles que la résistance à des températures élevées", souligne Julia Thieffry. Considéré à certains égards comme une technologie de la santé, ce produit doit en effet respecter des normes propres au secteur médical.
Après les derniers retours d'expérience des utilisateurs, le duo – dont le travail a récemment été récompensé par un prix SE'nSE de la Fondation pour les générations futures – entamera la phase de production de 1000 à 1500 unités. Ces nettoyeurs seront vendus sur commande avant, espèrent-ils, d'être commercialisés en magasin, "partout où l'on trouve des coupes menstruelles".
Nourriture ou tampon, il faut - parfois - choisir
Tulipal, ce n’est pas juste un produit ou un service”, insiste Lucas Secades. Outre l’engagement écologique, la “valeur ajoutée” vient de son inscription dans la lutte pour l’égalité des genres, explique-t-il. “Les personnes menstruées sont encore stigmatisées partout dans le monde, poursuit Julia Thieffry. Nous voulons leur permettre de vivre leurs règles plus sainement.”
Outre ses activités de sensibilisation – visant à briser les tabous et à démystifier les règles – le duo s’est lancé dans des partenariats contre la précarité menstruelle (financière, d’accès aux infrastructures sanitaires et aux protections hygiéniques) avec le secteur associatif.
Qu’on en ait les moyens ou non, les règles reviennent tous les mois. Or, les protections hygiéniques ont un coût conséquent : de 10 à 20 euros par cycle, plus de 100 euros par an. Sur une vie, ce sont plusieurs milliers d’euros dépensés en protections hygiéniques.
La précarité menstruelle “a été fortement mise en évidence dans le milieu étudiant en France, soulève M. Secades. On a entendu le témoignage de femmes qui devaient choisir entre nourriture et tampons.” L’un et l’autre sont des produits de première nécessité… En 2018 d’ailleurs, la TVA sur les tampons, les protège-slips, les serviettes hygiéniques et les coupes menstruelles, reconnus comme tels, baissait de 21 à 6 % en Belgique. Une avancée, certes, mais qui reste jugée insuffisante par de nombreuses personnes. Fin 2020, le Parlement écossais est allé beaucoup plus loin en votant en faveur de la distribution gratuite de protections hygiéniques dans les lieux publics, débloquant à cette fin un budget annuel de 11 millions d’euros. Une première mondiale dans la lutte contre la précarité menstruelle.