La Préale, la micro-ferme des possibles

Dans la commune de Hamois, une ancienne exploitation laitière revit sous la forme d’un micro-ferme agroécologique. Les propriétaires y soutiennent des projets qui contribuent à essaimer les principes d’une production agricole locale et durable.

Reportage
Gilles Toussaint

Campés sur un échafaudage, deux gaillards s’affairent pour placer un épais matelas d’isolant sur la façade de l’annexe qui s’est greffée à l’ancien corps de ferme, apportant une touche contemporaine à ce bâtiment en moellons de petit granit typiques du Condroz.

Derrière celui-ci se déploient différentes zones de cultures : un pré-verger où cohabitent quelques pruniers et poiriers avec des rangées de pommiers ; une parcelle sur laquelle est stocké un tas de courges diverses destinées à la production de semences ; un petit massif rocailleux d’où jaillissent des plantations d’herbes aromatiques ; trois serres tunnels dans lesquelles sont cultivées diverses variétés de fruits et de légumes ; une mare qui sert de réserve d’eau en été… L’ensemble épouse le reliefs du vallon, redessinant patiemment et joliment le paysage.

La Préale, la micro-ferme des possibles
©Marie Russillo

En deux ans, l'ancienne ferme laitière de La Préale, située dans les campagnes de la commune de Hamois, a repris vie et changé de visage. "C'est un chantier continu", sourit Olivier Lefèbvre. Assis sur une chaise de jardin dans sa serre bioclimatique expérimentale, le sexagénaire raconte la genèse d'un projet personnel devenu une aventure collective. Inspirés par l'exemple de la Ferme du Bec Hellouin popularisé par le documentaire Demain (lire ci-contre), Olivier et son épouse Anne-Sophie ont racheté cette exploitation à l'abandon pour y développer une micro-ferme qui a vocation à servir d'incubateur pour de jeunes entrepreneurs et entrepreneuses souhaitant se lancer dans la production de maraîchage en permaculture et d'autres activités connexes. Avec un point commun : le respect de la terre nourricière et de la biodiversité.

La Préale, la micro-ferme des possibles
©Marie Russillo

"Aujourd'hui, même s'il est formé et compétent, un jeune qui veut se lancer dans le maraîchage est confronté à une série d'obstacles, explique-t-il. D'abord la difficulté de trouver des terres, ensuite celle de devoir financer des investissements de base assez lourds s'il veut pouvoir travailler convenablement (des serres, quelques machines, un dispositif d'irrigation…). Il doit aussi gérer tout ce qui est administratif comme la TVA, les règles de certification bio et autres normes Afsca, les questions logistiques… Tout cela représente une charge de travail très intensive pour un salaire moyen de 750 euros par mois. C'est en dessous du seuil de pauvreté tout en travaillant comme des bœufs. On observe donc beaucoup d'échecs qui sont souvent liés à des problèmes de sous-financement ou de surendettement, et au fait que les personnes qui se lancent sont souvent seules. Au moindre problème, elles se sentent fragilisées."

Le pied à l’étrier

Pour surmonter ces écueils, Olivier Lefèbvre a imaginé une structure qui permet de donner des perspectives et d’apporter une certaine sécurité aux jeunes qui ont souhaité lancer leur activité dans le cadre de La Préale, à savoir trois maraîchers, deux producteurs de semences potagères bio, deux productrices de plantes aromatiques et médicinales destinées notamment à la fabrication de tisanes.

"L'idée, c'est de les aider à démarrer leur projet d'entrepreneurs indépendants dans les meilleures conditions possible, mais aussi de créer des synergies entre ces différentes activités, détaille-t-il. C'est nous qui investissons au départ et qui apportons un accompagnement pour tout ce qui est administratif. On a également établi un partenariat avec un spécialiste en agroécologie et la Ferme de Desnié qui abrite un centre de formation en permaculture. De cette manière, ils peuvent obtenir des conseils quand ils font face à un problème. Actuellement, ils travaillent comme des indépendants qui viennent prester des services sur le site, mais toutes les décisions d'aménagement sont prises ensemble. On va calculer progressivement leur rémunération sur la marge qu'ils vont dégager. On s'est fixé une clause de rendez-vous avec pour objectif que, d'ici quatre ou cinq ans, ils arrivent à payer tous leurs frais et à se payer un salaire au moins équivalent au double du salaire minimum en net. Si cela marche, l'idée est qu'ils restent et continuent à développer leurs activités. Nous mettrons sur pied une structure juridique qui leur permettra en quelque sorte de devenir gestionnaires de l'entreprise comme s'ils l'avaient créée depuis le début."

Accroupis dans une des serres tunnels, Cédric et Xavier récoltent les dernières tomates, tandis que deux canards “Coureurs indiens” recrutés pour leurs talents de chasseurs de limaces déambulent au pied des plants.

La Préale, la micro-ferme des possibles
©Marie Russillo

L’importance de la dimension humaine

Xavier a rejoint le projet il y a quelques mois, pendant la période de confinement imposée par l'épidémie. "Cela fait 15 ans que je travaille devant un ordinateur, raconte ce graphiste spécialisé dans l'animation des dessins animés. J'avais le sentiment d'être figé sur mon siège et j'avais envie de changer un peu cela. Je me suis progressivement ouvert à l'agroécologie grâce au film Demain et à une série de rencontres. Pendant le confinement, je suis venu travaillé ici comme bénévole et j'ai adoré ce travail physique au milieu de la nature. Je me sentais beaucoup mieux et j'ai décidé de rejoindre Xavier et Thomas (l'autre fondateur des Jardins maraîchers, NdlR) et de travailler à La Préale trois jours par semaine", sourit-il.

La Préale, la micro-ferme des possibles
©Marie Russillo

Xavier pour sa part est entré en contact avec Olivier Lefèbvre il y a trois ans via la petite annonce postée par ce dernier sur Facebook. Habitant la région, il venait de lancer un projet d'habitat groupé dans un village proche de la ferme. "En tombant sur la proposition d'Olivier, la vie a bien fait les choses puisqu'une de mes intentions était de produire des légumes, mais pas tout seul. Donc, cela tombait à merveille", résume ce jardinier de formation qui, outre le maraîchage, prend visiblement beaucoup de plaisir dans l'aménagement général du site. "La dimension relationnelle et humaine", souligne-t-il, est une partie très importante du projet, même si apprendre à travailler et à décider collectivement "est tout un apprentissage". "Mais c'est chouette !", conclut-il, visiblement heureux de son choix. Et si la météo pourrie de 2021 ne leur a pas facilité la tâche, les débuts ont été prometteurs puisque 80 familles dégustent chaque semaine leurs paniers de fruits et légumes bio.

La Préale, la micro-ferme des possibles
©Marie Russillo

Diversifier les possibilités

Pour assurer la pérennité de la structure, Olivier Lefèbvre a d'autres projets dans les cartons. Une boulangerie qui sera pilotée par une jeune femme devrait voir le jour dans quelques mois, tandis qu'une halle rurale sera construite à la place d'un vieux hangar en piteux état. "Elle doit permettre de rassembler trois outils : une cuisine de transformation qui pourra être louée à d'autres artisans pour y réaliser leurs produits ; une salle de formation ou l'on pourra proposer des cours et un espace polyvalent capable d'accueillir diverses activités comme un marché paysan ouvert aux producteurs extérieurs une fois par semaine ou un resto éphémère pendant des week-ends touristiques. Pour amortir cet investissement, il faut avoir un 'couteau suisse'qui permet de diversifier les possibilités et les activités. L'objectif est de créer un lieu de circuit court avec une ambiance sociale", explicite-t-il. Lui et son épouse ont pour leur part prévu de gérer deux gîtes qui pourront accueillir une vingtaine de personnes à l'occasion de séjours thématiques.

La Préale, la micro-ferme des possibles
©Marie Russillo

Si cette renaissance de La Préale est plutôt bien accueillie par la commune et le voisinage, Olivier Lefèbvre déplore l'absence de soutien dont bénéficie ce type de projet dans le cadre de la Politique agricole commune. "Aujourd'hui, on ne perçoit quasiment rien si ce n'est un subside de base qui représente des cacahouètes. Or nous faisons tout bien en termes de qualité des aliments et de biodiversité. En outre, nous cultivons une petite superficie, mais nous sommes extrêmement productifs au mètre carré. Si les pouvoirs publics veulent encourager l'alimentation locale sur des modèles durables, ils doivent avoir une vraie réflexion par rapport à cela. Il faut changer la position des curseurs."

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De la Bourse de Bruxelles à la campagne condruzienne

Ce projet, c'est une histoire de cinéma", sourit Olivier Lefèbvre. Ancien président de la Bourse de Bruxelles après avoir, entre autres, exercé la fonction de chef de cabinet de Philippe Maystadt au ministère des Finances, cet économiste au CV bien rempli admet n'avoir éprouvé de l'intérêt pour la filière agroalimentaire que sur le tard. "C'est une filière que je ne connaissais pas vraiment, j'avais l'impression que tout allait bien, tout était efficace. On trouvait plein de trucs dans les supermarchés sans problème… Même si je me rendais quand même compte que ces pratiques agricoles n'étaient pas tops pour l'environnement."

Le déclic pour ces enjeux, et plus largement ceux liés au réchauffement climatique, s'est produit en deux temps, raconte-t-il. "En 2007, j'ai fait ma crise de milieu de vie en découvrant le documentaire d'Al Gore 'Une vérité qui dérange'. Ce film a été une grosse prise de conscience qui m'a amené à m'intéresser à toutes les questions concernant l'efficacité énergétique, les énergies renouvelables, etc."

Le second électrochoc s’est produit en 2015 à la vision du documentaire “Demain” de Cyril Dion, cette fois.

La Préale, la micro-ferme des possibles
©Marie Russillo

Un modèle économiquement et écologiquement intenable

Progressivement, et sous l’influence de son épouse très sensible aux questions liées à la malbouffe et ses conséquences pour la santé, cet aspect s’est imposé dans les réflexions d’Olivier Lefèbvre, l’amenant à questionner en profondeur des modes de production qui “sont mauvais pour l’environnement et qui en bout de chaîne donnent une alimentation très inadéquate pour la santé publique. Le coût des pathologies découlant de la malbouffe est de plus en plus coûteux. Le consommateur paie deux fois : en amont pour le financement de la PAC et en aval pour le financement de la santé. D’un point de vue économique, ça ne tient pas la route”, tranche-t-il.

Piégés dans des filières agroindustrielles qui les ont amenés à produire toujours plus en utilisant beaucoup d'intrants chimiques dont les prix ne font qu'augmenter, les agriculteurs ont été poussés à se spécialiser et à développer des monocultures pour réaliser des économies d'échelle, poursuit-il. Dans le même temps, ils sont de plus en plus exploités et bon nombre d'entre eux ont disparu, observe-t-il encore."Ce modèle est incompatible avec la nature et le fonctionnement du vivant . C'est intenable."

La suite relève à la fois du coup de cœur et du coup de tête. Séduits par l'approche de la Ferme du Bec Hellouin, dont les étonnants résultats obtenus grâce aux techniques de permaculture ont été mis en évidence dans "Demain", Olivier et son épouse se sont lancé un pari un peu fou. "On était allé y suivre deux fois une formation d'une semaine. Pour fêter mes 60 ans, alors qu'elle m'avait invité dans un bon restaurant, on s'est dit que l'on devait faire un Bec Hellouin en Belgique pour montrer que cela marche et pour diffuser ces pratiques."

Le couple s’est ouvert de cette idée à des amis, dont Nicolas et Charles-Antoine Janssen, avec qui ils ont créé l’association Perma-Projects qui a pour vocation de soutenir de jeunes entrepreneurs dans le lancement de leur activité agroécologique. Tandis qu’un premier projet, la ferme La Papelotte, voyait le jour sur une propriété des Janssen dans la région de Waterloo, Olivier s’est mis en recherche d’un site pour développer sa propre structure. Une quête qui l’a mené dans la région de Hamois où il va acquérir La Préale. L’aventure pouvait alors vraiment commencer.

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