Quand des citoyens réhabilitent un monastère en habitat
En périphérie bruxelloise, un ancien monastère devrait être transformé en habitat groupé. Une manière de valoriser le bâti, en développant des projets citoyens porteurs pour toute une localité. Pour autant que les autorités y donnent leur aval.
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Publié le 31-01-2022 à 06h49 - Mis à jour le 31-01-2022 à 10h54
Aux abords de la Chaussée de Malines, à hauteur de Wezembeek-Oppem, la bâtisse en impose. Ses hauts murs de briques rouges surplombent la large chaussée. Ici, dirait-on au premier coup d’œil, il n’y a pas âme qui vive. Les cinq pères passionistes qui y demeuraient encore plus d’un siècle après sa fondation ont en effet quitté les lieux il y a deux ans. Et les murs de cet ancien monastère s’apprêtent à subir une mue d’ampleur… Dans quelques années, il devrait en effet être transformé en habitat groupé – pour autant que ses concepteurs parviennent à dépasser certains écueils.
Du monastère aux appartements
Bâti sur un terrain de 1,6 hectare, le monastère n'en occupe qu'une moindre partie. À front de rue, le bâtiment cache un "patrimoine floral et végétal" surprenant. Un bois, d'abord, classé par Natuur en Bos. Contournant le bâtiment, les arbres nus du verger et les quelques parcelles potagères recouvertes pour l'hiver accueillent le visiteur. Récemment, les propriétaires ont pu bénéficier des conseils de Buum planten pour planter des espèces favorisant la biodiversité. Plus loin, un enclos délimite l'espace dévolu à trois ruches. "Il y a plein d'envies !", commente Philippe Van Ophem, futur cohabitant de l'habitat groupé. "Chacun arrive avec ses compétences… Et pour ceux qui n'y connaissent rien, il suffit de suivre l'élan !"
Ces espaces extérieurs sont communs à l'ensemble des habitants – ils devraient à terme être une centaine, répartis en 33 unités de logement. "Des communs – une spacieuse salle des fêtes et une cuisine – ont également été pensés à l'intérieur", souligne M. Van Ophem. Ils se situeront au rez-de-chaussée du bâtiment principal, dont la façade, quelque peu austère, sera isolée et bardée de bois et les ouvertures de fenêtres agrandies.
Au premier et au deuxième étage, des appartements simplex traverseront le bâtiment. Dans le toit, sous la magnifique structure de bois, viendront se glisser plusieurs appartements duplex. Trois petites maisons jouxtant la fabrique d'Églises compléteront les lots de logements. "L'église, quant à elle, reste fonctionnelle et la propriété de la paroisse", souligne encore M. Van Ophem. "D'ailleurs, les cloches devraient bientôt sonner !"

Ces espaces communs (comprenant par ailleurs deux chambres d'amis partagées) permettent de créer des espaces privatifs "environ 20 % plus petit qu'un logement classique", explique Deborah Martens, habitante du lieu. "L'idée, c'est de participer au projet commun, mais si on veut être chez soi, c'est évidemment tout à fait possible, précise-t-elle. Il faut aussi pouvoir mettre ses limites." "Ça demande de la transparence dans la communication", complète Lara Piret, l'une des propriétaires.
La gestion du groupe – selon un système d’intelligence collective —, c’est le cabinet d’architecte COARCHI, qui s’en charge, en sus de tout l’aspect architectural, bien entendu. Spécialisé dans les habitats collectifs, il a développé ici un projet aux multiples usages… dépassant ainsi le simple logement.
Habitat, création et apprentissage
"Cela fait 20 ans que je vis dans la commune et le monastère a toujours eu quelque chose de mystérieux : nul ne savait réellement ce qui se passait derrière ces hauts murs", se souvient Philippe Van Ophem. À l'intérieur, d'aucuns s'y perdraient ! Les longs couloirs sont percés d'une série de portes ouvrant sur des chambres sobrement identiques. Ci et là, des réminiscences originales : un papier peint fleuri, des rideaux aux imprimés caractéristiques du wax africain… "On a retrouvé des pianos, un tas d'objets divers, les pères gardaient tout !", s'amuse Lara Piret. De quoi lever un coin du voile sur leur vie…
"Historiquement, c'est le premier monastère passioniste qui a ouvert l'accès à l'église aux personnes extérieures", entraînant d'autres institutions dans son sillage, retrace Philippe Van Ophem. L'histoire se poursuit donc logiquement, pense-t-il, puisque le lieu qui adviendra se veut être ouvert sur le quartier et en contact étroit avec ses habitants, grâce notamment à sa "place du village", à certains espaces accessibles toute la journée ainsi qu'à son bar citoyen. "Les pères ont jugé le projet dans la lignée du leur : un lieu de vie et de passage, partageant des valeurs de partage et d'ouverture." "Un projet fédérateur, intergénérationnel et multilingue", complète Lara Piret. Il a en effet été pensé pour assurer la diversité, non seulement des usages mais aussi des habitants.

"C'était une clé, dès le départ : diversité de langues, d'âges, d'origines, socio-culturelles, de compétences aussi", poursuit-elle. Parmi les propriétaires, on retrouve 30 % de Flamands et le reste de francophones, mis à part trois Italiens, un Roumain, un Congolais et un Allemand. Des personnes seules, en couple, des familles.
Outre ces 26 unités classiques, le projet prévoit six logements dits "solidaires", dont deux pour des jeunes en situation de précarité et quatre pour des personnes âgées, une manière de les garder plus longtemps chez elles, bénéficiant de la solidarité de la collectivité. "Tout le bâtiment sera accessible aux personnes à mobilité réduite", ajoute Philippe Van Ophem. "Un vrai casse-tête pour les architectes", sourit Lara Piret. Ces logements seront gérés par le secteur associatif. Cela dit, "leurs locataires feront pleinement partie du projet au quotidien", souligne M. Van Ophem.
Ainsi, "s'est constitué un groupe riche qui peut échanger plein de choses", se réjouit Lara Piret. Membre du projet dès la première heure, elle a vu le groupe se constituer et se rassembler autour de l'habitat groupé et de ce que chacun y projette. "Il faut maintenant construire la cohésion", admet-elle. Philippe, Lara et Deborah entendent créer un environnement fait de solidarités entre les habitants. À cet égard, une "donnerie" a déjà été mise en place. "Il y a énormément de ressources matérielles et humaines", insiste Lara Piret.
"La particularité tient aussi de la mixité des usages : un lieu d'habitations couplé à des espaces de travail – un coworking et des ateliers d'artistes -, à une crèche et à un bar citoyen", poursuit-elle. Sans oublier les événements que le site compte accueillir. "Les affectations proposées ont l'immense avantage de combler des manques dans la commune", motive encore Mme Piret. "En plus de la redynamiser…", espère Philippe Van Ophem.

L’habitat groupé, un logement d’avenir ?
"On a fait le tour de la maison unifamiliale, avance Lara Piret. Aujourd'hui, on fait face à des défis environnementaux et sociaux pour lesquels le logement fait partie de la solution : on a besoin d'une nouvelle forme d'habitation qui mélange les générations et les personnes ; qui est créatrice de liens ; où on peut rêver ensemble de choses qu'on n'arriverait pas à faire tout seul", analyse la future habitante du co-housing Vosberg. Un exemple : "Les investissements en termes d'écologie qu'on ne pourrait pas faire à l'échelle d'une famille. Cette mutualisation des ressources, des compétences et des connaissances attire les ménages dans ce genre de projets."
L’habitat groupé Vosberg, comme d’autres avant lui, propose ainsi de valoriser le bâti par un projet citoyen, inclusif et durable. Si les porteurs du projet sont d’ores et déjà propriétaires des lieux, via un “Community Land Trust”qui, loin de la spéculation immobilière, bétonne le projet dans la durée – ses valeurs comme le prix des biens et des loyers -, la commune de Wezembeek Oppem bloque l’avancement du projet.
“Le concept est souvent considéré par les autorités communales comme une valeur ajoutée au niveau local”
, avance Philippe Van Ophem. Mais force est de constater qu’“
à Wezembeek-Oppem, ce n’est pas le cas”
.
“Pourtant, l’habitat groupé est mentionné comme bonne pratique à soutenir dans la déclaration de politique générale de la Région Flamande.”
"Le projet en soi n'est déjà pas simple, poursuit-il. Mais en plus, on pâtit d'un cadre légal peu clair." Il faut en effet changer l'affectation d'un habitat communautaire en habitation, explique-t-il. "Or, pour allouer ce changement, la commune exige que le jardin devienne un parc public." Demande difficilement acceptable pour les propriétaires. "Chaque jour qui passe, c'est de l'argent jetté par les fenêtres…", souligne Déborah Martens. Finances obligent, une vingtaine de personnes se sont déjà installées dans l'ancienne sacristie. Poussettes et vélos garnissent le large couloir du rez-de-chaussée. "Quand la commune acceptera le projet, on pourra déposer une demande de permis. Partant de là, on compte deux ans et demi de travaux", anticipe Philippe Van Ophem.
