Un hub logistique, le chaînon manquant de l'alimentation locale bruxelloise
Sociaago crée un hub logistique alimentaire à Bruxelles, canal de distribution entre les petits producteurs et les points GoodFood. La coopérative pose ainsi les jalons d’une ceinture alimentaire périurbaine.
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- Publié le 14-02-2022 à 07h35
Au milieu d'un espace rempli de cartons et de bacs, Alex ouvre avec sérieux les caisses de la brasserie urbaine Brussels Beer Project et sélectionne avec soin les bouteilles reprises sur le bon de commande qu'il a sous les yeux. À ses pieds, quelques autres sont déjà prêtes à être livrées aux clients. Le jeune homme "connaît toutes les bières à la perfection", commente-t-il sans s'arrêter de travailler.
Depuis deux ans, il est responsable des commandes chez Manufast, une entreprise de travail adapté située aux abords de la gare de Berchem-Sainte-Agathe, au nord-ouest de la Région bruxelloise. Spécialisée dans les métiers de l’impression, du mailing et du traitement de données papier, celle-ci se dirige progressivement vers l’e-commerce, suivant l’inéluctable digitalisation de la société dans son ensemble. Manufast redirige ainsi ses activités du print au pack. De la manutention ou, plus concrètement, de la “gestion de paquets” destinés à être livrés ensuite. C’est ce qu’on appelle l’e-picking.
"L'e-picking nécessite de former les ouvriers à un nouveau métier et de changer de modèle économique et opérationnel", explique Johan Dondt, coordinateur de l'atelier. Depuis peu, il est spécifiquement responsable de la partie alimentaire : du sec pour le moment, du frais à partir du mois d'avril, lorsque le nouvel outil de gestion de l'entrepôt sera opérationnel. Une mission que sous-traite à Manufast, la coopérative (de producteurs et de citoyens) Sociaago.
Celle-ci, créée en 2020, poursuit un objectif ambitieux : relocaliser l’alimentation durable à Bruxelles par le biais d’une ceinture alimentaire autour de la région capitale.

Un hub logistique alimentaire
La pierre angulaire de cet édifice est constituée d’un “hub logistique alimentaire”, favorisant l’économie circulaire et le circuit court : un point d’ancrage entre les petits producteurs bios de Bruxelles et de sa périphérie et les “points GoodFood” répertoriés par la Région bruxelloise – des distributeurs ou restaurateurs – ou vers les particuliers, membres de la coopérative.
Si aujourd'hui, une vingtaine d'ouvriers de Manufast sont déjà à pied d'œuvre, préparant les commandes que les clients soumettent par internet – "une plateforme digitale d'e-commerce permettant aux clients de s'approvisionner chez les producteurs de la coopérative a été spécialement développée"-, d'ici trois ans, un entrepôt flambant neuf mis à disposition par Citydev verra le jour à quelques centaines de mètres de là. "Dans cet entrepôt logistique, on fera du 'pick and pack', c'est-à-dire réceptionner les produits des producteurs et préparer les commandes que l'on se chargera ensuite de livrer aux clients, détaille Olivier Van Cauwelaert, Directeur général de Sociaago. À terme, on fera aussi de l'ensachage, de l'étiquetage, du nettoyage et de la transformation."
"Ce hub est le maillon manquant à la chaîne", estime-t-il. En effet, les producteurs de la coopérative sont exclusivement des petits producteurs bios bruxellois et de son hinterland – à 80 kilomètres à la ronde – qui, faute de produire de gros volumes, n'ont que difficilement accès au large marché que constituent la capitale et ses 1,2 million d'habitants. Sociaago veut favoriser la commercialisation de leurs produits et du même coup, augmenter la part de consommation en circuit court d'aliments durables, produits avec une attention pour la biodiversité, la pollinisation et la préservation des sols.
Via le "canal de distribution" qu'incarne Sociaago, les restaurateurs et magasins bénéficient quant à eux d'un réseau de producteurs regroupés au sein de la coopérative, facilitant la gestion des commandes et la logistique.

Bruxelles et les deux Brabant
Ce faisant, ce sont les premières bribes d'une ceinture alimentaire périurbaine que compte initier Sociaago. "Il y a peu de terres agricoles dans la Région capitale, analyse Olivier Van Cauwelaert. Le lien avec les deux Brabant – wallon et flamand – qui l'entourent est donc essentiel. Pourtant, il est presque inexistant à ce jour", regrette-t-il. La volonté de Sociaago est dès lors de "favoriser l'axe Hal-Vilvorde" encerclant la capitale. Certes, nombreux sont les agriculteurs qui y privilégient actuellement les grandes cultures (de betteraves, ou de pommes de terre) plutôt que le maraîchage. Mais l'ouverture à un nouveau marché d'ampleur via Sociaago – qui rassemblera l'offre – pourrait les inciter à entamer une conversion de certaines parcelles en bio, croit-il. C'est notamment le cas d'une ferme de Ronkel, située à quelques kilomètres à vol d'oiseau de l'entrepôt. "De plus, on prend une partie de la charge des producteurs, à savoir la distribution, qui n'est pas leur métier", motive M. Van Cauwelaert. "Avec cette différence notable par rapport à un grossiste : l'objectif est de mettre en valeur les producteurs." Le deal étant toutefois que ceux-ci ne dépendent pas exclusivement de Sociaago pour écouler leur marchandise.

Nourrir Bruxelles ?
Les fermes de Neerhof (Dilbeek) et de GROW (Walhain), se sont d'ores et déjà engagées dans le projet. Cela étant, "le défi actuel, c'est le sourcing : répertorier les producteurs qui voudraient entrer dans le projet", explique M. Van Cauweleart. "Nous espérons que leur nombre augmentera au fil du temps, tout comme les destinataires des produits puisque nous visons les 200 points GoodFood de Bruxelles."
De là à ambitionner de nourrir la ville ? "Il faut rester réaliste !, tempère-t-il. Le bio représente seulement 3 à 4 % des ventes alimentaires en Belgique, dont 20 % à Bruxelles – qui ne compte que 12 % de la population, ce qui est un gage d'optimisme." La moitié de ces ventes se faisant par l'intermédiaire de grossistes. "On est loin de toucher toute la population bruxelloise", concède le directeur général de Sociaago.
"C'est un enjeu politique pour la Région", estime-t-il. Elle débloque en effet des fonds importants pour le soutien à la transition vers une économie sociale et circulaire, notamment via "Be Circular". En 2020, Sociaago en était lauréat et recevait à ce titre un financement régional de 200 000 euros, ainsi qu'un soutien pratiquement équivalent de Finance Brussels. De quoi se lancer véritablement.
Les villes et leurs ceintures
Un écosystème existant. Le concept de ceinture alimentaire est loin d'être neuf. Bruxelles prend ainsi exemple sur les autres grandes villes du pays : Liège (Ceinture Alimen-terre liégeoise), Namur (Paysans-Artisans), Charleroi (CACM) ou Louvain (Kort'om), où les circuits courts sont déjà bien développés. "Nous comptons profiter de leur expérience et échanger avec elles les bonnes pratiques", espère M. Van Cauwelaert. Voire bénéficier de leurs produits, en cas d'absence dans l'offre bruxelloise.
Partenariats. "On ne va pas réinventer le fil à couper le beurre", insiste le directeur général de Sociaago. Pour augmenter sa force de frappe, la coopérative cherche plutôt à opérer des synergies avec les acteurs et écosystèmes locaux existants. Le premier est déjà scellé avec Terroirist, unique acteur de la logistique de produits alimentaires en circuit court à Bruxelles. "Nous partagerons le futur entrepôt ; Terroirist sera responsable de la logistique coté francophone, de Hal à Wavre", tandis que Sociaago s'occupera de la partie néerlandophone, précise M. Van Cauwelaert. Par ailleurs, Urbike se chargera de la livraison sur les derniers kilomètres. Enfin, la récupération des contenants sera prise en charge par Re'kwup.