À travers ses films, Tiffany, atteinte d'une maladie rare, parle de la différence
Affectée par une myopathie rare, Tiffany Rooze est une jeune cinéaste, animée par des projets et des rêves qui la maintiennent debout et donnent un sens à sa vie.
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- Publié le 28-02-2022 à 06h30
- Mis à jour le 28-02-2022 à 14h05
"C'est pas clair dans ma tête", nous dit Tiffany Rooze – "nom d'artiste" de cette jeune cinéaste -, après nous avoir livré en condensé le récit de ses 25 années de vie.
"En fait, je suis partagée. Je ne sais pas si je dois afficher ma maladie…", s'interroge la jeune femme avant d'aussitôt enchaîner : "Mais si, c'est très bien de faire passer ces messages". Comme pour se rassurer qu'elle a bien fait d'accepter l'invitation de Takeda Belgium à venir, vendredi dernier à la Maison de la Poste à Tour&Taxi, présenter en avant-première son troublant court-métrage "Le Stade du miroir". Et dans la foulée, commenter son parcours en tant que patiente et réalisatrice, dans le cadre de l'événement Takeda Rare Disease Day, "Amener les patients atteints de maladies au-devant de la scène". À l'occasion de la Journée internationale des maladies rares, célébrée ce lundi 28 février, la société biopharmaceutique avait en effet souhaité braquer les projecteurs sur ces patients parfois oubliés.

La démarche lente, fragile, mal assurée, l'artiste aux petits airs de Jane Birkin nous reçoit dans son appartement bruxellois, où ses “doudous” – des peluches -, campent sur le grand canapé à côté de son piano et ses guitares électriques. C’est dans ce petit cocon, où elle vit seule, que Tiffany Rooze nous conte son parcours pas toujours facile, un sourire pourtant omniprésent, du premier au dernier mot de notre rencontre.
"Depuis toute petite, j'ai toujours voulu être comédienne, se souvient-elle, les yeux brillants d'étoiles. C'était mon rêve ultime. Tout au long de mon enfance et mon adolescence, j'ai fait tout pour devenir actrice. Puis, une fois ma maladie connue, réalisatrice… Plus âgée, j'ai compris que si je voulais être actrice, c'était parce que j'avais déjà un mal-être par rapport à ma maladie, dont on n'avait pas encore connaissance. Je voulais m'oublier en étant comédienne et donc, aujourd'hui, avec mes films, j'aime que les gens oublient leur vie". Poursuivant son récit, elle enchaîne : "Vers 7-8 ans, je me suis rendu compte que j'étais plus pataude en gym, et surtout, que je ne courais pas vite. Même quand on me tirait par les bras, les jambes ne suivaient pas. Je ne comprenais pas car j'étais une petite fille super active. Je me suis dit qu'il y avait un problème".
Ce n'est pourtant qu'à l'âge de 13 ans que Tiffany s'en ouvre vraiment à ses parents. "Tout le monde me riait au nez quand je parlais de ce problème et disait que j'étais tout simplement nulle en gym. Même mon prof de gym riait de moi parce que je ne courais pas vite… Seule ma maman m'a prise au sérieux". Au point d'enfin consulter.
La maladie de Pompe
Arrivée en 2e secondaire, après une batterie de tests, elle voit tomber le diagnostic. Assez vite d’ailleurs pour une maladie orpheline, en l’occurrence la maladie de Pompe, une myopathie qui se caractérise donc par une faiblesse et une dégénérescence musculaire progressive. Aussi nommée mucopolysaccharidose de type II, cette maladie génétique héréditaire (les deux parents doivent être porteurs du gène) touche, selon les estimations, 1 personne sur 50 000 à 1 sur 150 000 dans le monde.

"J'avais 13 ans. Quand on m'a annoncé que j'avais une maladie, j'étais super contente parce que c'était la preuve qu'il y avait bien quelque chose qui ne tournait pas rond. Mais je ne savais pas que c'était une maladie incurable. Je pensais qu'avec des médicaments, j'allais être soignée. En réalité, si j'ai eu beaucoup de chance, car un traitement était arrivé sur le marché environ deux ans plus tôt, il ne fait que ralentir l'évolution de la maladie…". Laquelle est difficilement prévisible.
Aujourd'hui, Tiffany dit avoir déjà perdu beaucoup de ses capacités. "Avant, je savais tout faire. Maintenant, il y a déjà plein de choses dont j'ai fait le deuil. Je ne sais plus courir, ni monter des marches sans qu'il y ait une rampe. Depuis peu, je n'arrive plus à me relever d'un siège bas si je n'ai aucun appui. Dans mon cas, ce sont surtout les muscles comme les abdos, ou au niveau des hanches et des épaules, qui sont atteints. J'essaie de me dire qu'au pire, ce sera un jour la chaise roulante… Mais on ne sait pas. Si, parfois, j'ai l'impression d'être maudite, je me dis que j'ai quand même beaucoup de chance parce que, l'air de rien, malgré une maladie qui est quand même vachement lourde, je suis encore 100 % indépendante".
La souriante cinéaste au regard malgré tout quelque peu mélancolique serait-elle d'un naturel optimiste ? "Je pense, oui. Sinon, je ne serais pas là où je suis maintenant. Cela dit, je ne le suis pas tous les jours. J'ai énormément de problèmes à accepter ma maladie. Même si là, je sens que je suis à un tournant de ma vie. Je commence à voir plus positivement les choses. Avant, j'étais vraiment dans l'optique : pourquoi moi ? C'est une tare… Même si je ne me suis jamais laissé abattre, car j'ai toujours voulu poursuivre ma carrière dans le cinéma, cette dernière année, je me suis vraiment reprise en main. Aujourd'hui, je me dis : c'est qui je suis. Maintenant, j'en suis sûre, cette maladie, c'est ce qui donne un sens à ma vie, à mes projets. Et c'est ce qui me rend unique. Je suis de plus en plus convaincue que c'est ma particularité et que ce n'est pas une tare.."
Il faut arrêter de se prendre en pitié
Alors, arrivée à ce stade de maturité, que dirait-elle à toutes ces personnes affectées par une maladie, rare ou non ? "J'essaie de faire passer le message qu'il faut vraiment avoir un rêve. Quel qu'il soit, un rêve propre. Le mien : c'est faire des films. Pour l'instant, des films qui parlent de la différence. Physique ou mentale. Le rêve d'être comédienne, j'ai un peu oublié parce que, étant limitée dans mes actions à cause de la maladie, je ne serais pas aussi épanouie qu'en tant que réalisatrice. Là, il n'y a aucune limite. C'est une discipline où je ne me sens absolument pas bridée. Je peux tout faire, la seule limite est mon imagination. C'est vraiment euphorisant, cette sensation de "no limit". Il faut juste trouver les moyens de pouvoir le faire, c'est super challengeant. Moi, si je n'avais pas de rêve, je n'aurais plus rien. C'est vraiment tout ce rêve qui me tient en vie et qui me tient debout. Il faut arrêter de se prendre en pitié. Si nous n'avons pas pitié de nous, les gens auront moins pitié de nous. On doit montrer ce comment on a envie d'être traité. Si on se comporte en victime, on est traité comme des victimes. Et je trouve que cela gâche un potentiel et on se limite à la maladie. Je ne suis pas une maladie, je suis une personne avec une maladie".

Avec de beaux projets. Comme, en fonction de l’évolution de son état, celui de mettre en route les démarches pour adopter un enfant d’ici à ses 30 ans.
Des projets cinématographiques aussi. "Après un court-métrage sur la différence au niveau de la santé mentale, j'aimerais réaliser un premier long-métrage inspiré de ma maladie. C'est mon objectif. Si j'y arrive, je peux mourir après. Et je ne mourrai pas avant d'avoir fait ça, lance-t-elle en riant. Quand je l'aurai fait, si je suis encore vivante et en bon état, hé bien là, je ferai d'autres films qui raconteront d'autres choses. Parce que, des histoires, j'en ai plein…"
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Une salle d’attente installée dans la gare Centrale
Une salle d’attente installée, trois jours durant (de ce lundi à mercredi) sur le parvis de la gare Centrale, à Bruxelles : c’est par cette action que RaDiOrg, l’association belge qui représente les personnes atteintes de maladies rares, a choisi de marquer le coup, à l’occasion de la Journée mondiale des maladies rares, célébrée le 28 février. Lors de cet événement, l’association invite tout le monde à se rendre dans l’endroit où les patients – surtout ceux atteints de maladies rares – passent malheureusement beaucoup de temps : la salle d’attente. (*)
"Cette action est symbolique pour les plus de 500 000 patients atteints d'une maladie rare qui attendent des soins appropriés, explique l'association. Les passants peuvent voir les patients ainsi que les prestataires de soins en dialogue avec les décideurs politiques à propos des besoins non satisfaits qu'entraîne leur maladie. RaDiOrg souhaite ainsi inciter les décideurs politiques à collaborer avec les patients pour assurer une meilleure qualité de soins pour les maladies rares et pour leur donner l'attention qu'ils méritent. Parce que chaque personne compte, quelle que soit la rareté ou l'inouïe de sa maladie".
A l’échelle mondiale et à ce jour, plus de 6 100 maladies rares ont été identifiées, la plupart ne touchant pas plus de quelques centaines de personnes en Belgique, certaines – comme la myopathie dont souffre Tiffany Rooze (lire ci-contre) ne comptant qu’une poignée de patients. Ainsi, dans notre pays, on estime à plus de 500 000 le nombre de personnes affectées par une maladie rare, sachant qu’une maladie est considérée comme rare dès lors qu’elle touche moins de 5 personnes sur 10 000.
"Il s'agit généralement de maladies dont non seulement le grand public n'a jamais entendu parler, mais également la majorité des aides-soignants, précise RaDiOrg. En raison de la complexité de la plupart des affections, les patients doivent faire appel à plusieurs médecins et prestataires de soins. Par conséquent, les patients sont obligés de devenir des experts de leur propre trouble."
Invitation aux responsables politiques
Comme l'explique Eva Schoeters, directrice de RaDiOrg, "des choses ont déjà été mises en route au profit des maladies rares ces dernières années, mais de nombreuses mesures restent bloquées dans la phase de conception. Nous invitons les responsables politiques à venir discuter avec les patients et les médecins dans notre salle d'attente du carrefour de l'Europe et à s'informer directement de leurs besoins. Nous voulons lancer la conversation dans la salle d'attente sur ce qu'il faut faire pour apporter des améliorations concrètes aux patients et à leurs familles." D'où l'action à la gare Centrale.
(*) Les débats qui auront lieu dans la salle d’attente le 1er et 2 mars pourront être suivis par les passants de la gare de Bruxelles-Central, mais aussi en ligne via Facebook live. Ceux qui soutiennent l’action peuvent signer une pétition soutenant la demande de soins appropriés pour les personnes atteintes de maladies rares.