En fin de vie, les pales d’éoliennes n’iront pas à la poubelle
Les premières générations d’éoliennes implantées en Europe arrivent en fin de cycle. La question de leur démantèlement et de leur recyclage se pose. Les pales sont le principal écueil.
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Publié le 07-03-2022 à 11h31 - Mis à jour le 10-03-2022 à 11h36
Majestueuses pour les uns, horripilantes pour les autres, les éoliennes se sont progressivement fait une place dans les paysages européens. Au cours des vingt dernières années, le secteur s’est considérablement développé, en particulier dans quelques pays pionniers tels le Danemark, l’Allemagne ou l’Espagne. Une croissance motivée par la prise de conscience des dérèglements climatiques, par des considérations d’indépendance énergétique ou encore par la défiance que suscite l’énergie nucléaire suite à la catastrophe de Fukushima.
Mais rien n’est éternel. Alors que leur durée moyenne de fonctionnement tourne autour de vingt à vingt-cinq ans, la fin de vie se profile peu à peu pour les aérogénérateurs implantés dans les premiers parcs éoliens européens. Une mise à la retraite qui pose la question du démantèlement et du retraitement à grande échelle de ces équipements.
Composée de fondations en béton armé, d’un mât et d’une nacelle en acier, de pales en composite thermodurcissable et d’un système électromécanique, une éolienne utilise pour l’essentiel des matériaux - béton, acier, aluminium, zinc, cuivre… qui représentent environ 90 % de sa masse totale - pour lesquels il existe des filières de recyclage bien établies.
Le principal écueil concerne les pales. À l'heure actuelle en effet, les solutions pour revaloriser ces gigantesques "ailes", à défaut de pouvoir les recycler formellement, demeurent insatisfaisantes. Si une partie des éoliennes, encore en état de mouliner mais remplacées par des modèles plus performants, trouvent acquéreurs sur le marché de la "seconde main", cette perspective reste limitée. D'autres pistes, comme leur réutilisation sous forme de mobilier urbain - comme abri de vélo au Danemark ou comme modules de jeux en plein air aux Pays-Bas - sont également explorées mais demeurent marginales.
En cimenterie plutôt qu’en décharge
Une fois broyées, leur parcours se termine dans le meilleur des cas dans les fours de cimenterie où elles servent de combustible en remplacement du fioul ou du gaz, avant que leurs cendres soient ensuite intégrées comme matière première dans la fabrication de ciment. Dans le pire des cas, ce sera l'enfouissement ou la mise en décharge comme un vulgaire déchet, ce que les acteurs du secteur veulent absolument éviter (lire page suivante).
Les projets de recherche pour apporter des réponses "durables" à cet enjeu se multiplient donc tous azimuts alors que se profile une première vague de remplacement. Selon les projections de la Fédération Wind Europe, quelque 14 000 pales pourraient être mises hors service d'ici à 2023, ce qui représente 40 000 à 60 000 tonnes de matériaux. Un cycle qui ne fera que s'amplifier au cours de la décennie dans la mesure où l'Europe compte 34 000 éoliennes âgées de 15 ans ou plus.
D'après une étude publiée en 2017, à l'horizon 2050 le volume de pales à traiter en Europe représentera 450 000 tonnes par an. Un chiffre impressionnant, mais qui doit être relativisé puisqu'il correspond peu ou prou au tonnage des déchets ménagers collectés en 2019 pour… la seule Région bruxelloise.
Avec Recypale, la Wallonie veut être pionnière
Dans son gigantesque atelier-laboratoire implanté sur le site d'une ancienne chaudronnerie industrielle à Tournai, le Centre Terre et Pierre (CTP) finalise la mise au point d'une technique qui pourrait apporter une partie de la solution. En partenariat avec le groupe Dufour et l'entreprise Wanty, ce centre de recherche agréé est en effet parvenu à mettre au point un procédé permettant de récupérer 70 % à 80 % des fibres de verre et de la matrice en composant thermodurcissable qui les entourent pour leur donner une seconde vie "avec la plus haute valeur ajoutée possible", souligne son directeur général Stéphane Neirynck.
Entamé il y a deux ans, le projet est né de la volonté d’essayer d’anticiper l’arrivée de l’énorme gisement de pales attendu au cours des prochaines années. Un sérieux défi, on l’a dit, mais qui représente aussi une opportunité pour les deux entreprises partenaires. Le Groupe Dufour est en effet un acteur important dans l’installation des éoliennes en Belgique et en France. Le renouvellement des parcs ouvre donc d’intéressantes perspectives pour les opérations de démontage et de remplacement. Spécialisé dans les travaux de génie civil, Wanty est pour sa part en quête de matières premières utilisables dans la fabrication de béton et d’asphalte destinés aux chantiers routiers.
Des recherches menées par le CTP dans le cadre du projet européen Recycomposite ont montré que recycler intégralement les pales d'éoliennes pour en fabriquer de nouvelles n'est pas possible au stade actuel, mais que la revalorisation "vers la voie matériaux offrait un vrai potentiel", explique Stéphane Neirynck . "Les pales sont composées d'éléments en balsa qui ont un rôle de raidisseur et de quelques pièces en acier. Mais l'essentiel de la structure est formé par de longues fibres de verre, qui mesurent deux à trois mètres de long. On trouve parfois aussi des parties en fibres de carbone, mais en petite quantité car cela coûte beaucoup plus cher. Ces fibres sont noyées dans une résine thermodurcisssable extrêmement dure. C'est ce qui permet à la pale d'être à la fois légère, mais aussi très rigide et très résistante."
Une force qui constitue un obstacle majeur quand celle-ci doit être démantelée car il est impossible d'extraire les fibres de leur enveloppe thermodurcissable. "Pour les récupérer, on devrait les chauffer dans des fours à des températures très élevées, ce qui aurait un coût très lourd et affecterait négativement le bilan environnemental. On est donc obligé de broyer le matériau, mais même si on essaie de le faire de la manière la plus fine et la plus délicate possible, on récupère des fibres de quelques centimètres de long qui ne peuvent plus être réutilisées pour la production de pales d'éoliennes."
Une revalorisation dans les routes et le ciment "bas carbone"
Au terme de multiples essais et erreurs, le CTP est néanmoins parvenu à mettre au point un procédé de tri et de tamisage qui permet de récupérer de petits filaments de fibres quasiment vierges de tout résidu de composite. Un matériau qui peut être intégré dans des mélanges de béton ou d'asphalte utilisés dans la construction des routes, décrit notre interlocuteur. "Une route doit pouvoir résister au passage du trafic tout en conservant une certaine élasticité, pour éviter l'orniérage trop rapide. C'est aussi le cas des bermes en béton de type new-jersey qu'on trouve le long des autoroutes. En cas d'accident, celles-ci doivent avoir une certaine élasticité pour absorber l'énergie du choc sans renvoyer le véhicule comme une balle de flipper. L'utilisation des fibres issues des pales - comme cela se fait déjà avec d'autres matériaux - permet de répondre à ce besoin."
Une incorporation qui ne devrait pas poser de problèmes liés à la diffusion de ces fibres dans l’environnement sur le long terme, juge M. Neirynck, dans la mesure où celles-ci sont essentiellement composées de silice, que l’on retrouve abondamment dans la nature et notamment dans certains granulats utilisés dans la fabrication du béton.
Le résidu ultime, mélange des restes de la matrice en résine et de fragments de fibre de verre non exploitables, fait pour sa part l'objet d'un traitement supplémentaire. Transformée en une poudre très fine grâce à un procédé mis au point par le CTP, elle voit ses caractéristiques chimiques légèrement modifiées. De cette manière, elle acquiert des propriétés de liant qui peut être utilisé pour fabriquer des ciments. "On peut remplacer jusqu'à 20 % du clinker qui est le composant principal du ciment et qui est obtenu en chauffant du calcaire et de l'argile dans un four à 1 600 degrés. C'est un processus qui émet énormément de CO2. Avec ce substitut, qui ne doit pas passer par le four, le matériau final présente la même résistance mécanique tout en réduisant ces émissions de CO2 ", se félicite Stéphane Neirynck.
Techniquement parlant, le procédé est aujourd’hui au point. Le dernier obstacle consiste à régler le processus de découpage des pales d’éoliennes sur le site où elles se trouvent, afin de pouvoir les transporter par morceaux sur des poids lourds standards plutôt que via des transports exceptionnels onéreux et compliqués à mettre en œuvre. L’enjeu est d’éviter la dispersion des "fines" dans l’environnement lors de la phase de sciage. Une opération pour laquelle il faudra faire appel à des machines adaptées équipées de systèmes de captation des poussières.
L’approche développée par le consortium au terme de deux années de recherche est également rentable, insiste le directeur du CTP, précisant que son coût est inférieur à celui d’une incinération en cimenterie ou d’un enfouissement en décharge. Un projet d’usine, qui devrait voir le jour dans le courant de l’année prochaine, est également couché sur papier. Elle sera capable de traiter 20 000 tonnes par an.
Des règles contraignantes en Wallonie
Financé par la Région wallonne, Recypale devrait permettre à celle-ci de disposer d’un schéma de revalorisation complète quand viendra le moment de démanteler ou renouveler les éoliennes existantes (on en dénombrait 458 en 2020).
Pour obtenir leur permis, la législation régionale impose d’ailleurs aux opérateurs des parcs éoliens de constituer une garantie financière qui leur permettra de procéder à une déconstruction sélective des aérogénérateurs et de leurs fondations en fin d’exploitation, afin de faciliter le recyclage des différents composants. Le terrain qui les accueille - y compris les terres agricoles - doit en outre être rétabli à son état initial. De plus, la mise en centre d’enfouissement des matériaux qui constituent les pales est interdite, ceux-ci sont donc essentiellement utilisés comme combustibles de substitution dans les cimenteries.
La nouvelle option offerte par Recypale devrait changer la donne. Puisqu’une solution de revalorisation plus intéressante est disponible, ces matériaux spécifiques pourront en effet prochainement être interdits d’incinération, explique-t-on au cabinet de la ministre de l’Environnement Céline Tellier (Écolo). Celle-ci présentera dans les prochaines semaines un arrêté comprenant des dispositions dans ce sens.