En ville, laissons tomber le béton au profit du vivant
Le béton est roi dans de nombreux quartiers bruxellois.Alors que l’on subit inondations et canicules, l’Asbl Less Béton invite à regarder le potentiel de résilience qui se trouve sous nos pieds. Et propose de revégétaliser de petits espaces urbains.
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- Publié le 30-05-2022 à 06h40
Dans le quartier anderlechtois de Cureghem, les arbres sont rares et les espaces verts quasiment inexistants. Un quartier hyperminéralisé dans lequel le béton règne en maître. Le square Robert Pequeur, non loin de la gare du midi, ne déroge pas à la règle. À quelques exceptions près : en son centre, quelques nichoirs et quatre bacs rehausseurs de cultures, utilisés par des commerçantes du quartier, ont été installés. Sur les pourtours, trois fosses d’arbre ont été agrandies et encerclées de plots en bois faisant office de barrière – et de terrains de jeu. “Le square Pequeur se met au vert”, peut-on lire sur une pancarte siglée des logos de l’Université populaire d’Anderlecht (UPA) et de l’Asbl bruxelloise Less Béton.
"Dans le cadre du Contrat de rénovation urbaine, l'UPA a obtenu un subside régional pour réaménager cet espace et en sous traite la gestion à Less Béton", explique Laetitia Cloostermans, sa fondatrice. Elle a ainsi accompagné les élèves de l'école des devoirs de l'UPA pour "verduriser" cette place asphaltée.

Depuis 2020, l'Asbl mène en effet des chantiers participatifs dans le but de "déminéraliser l'espace public" en procédant à des "aménagements qui luttent contre les effets du changement climatique et l'effondrement de la biodiversité", détaille la jeune femme. "Libérer des sols parfois enfouis sous le béton pendant des décennies, et les régénérer, c'est leur permettre de fournir à nouveau des services écosystémiques – y ramener de la vie, permettre l'infiltration de l'eau, fournir le gîte et le couvert à la biodiversité - et impacter le climat local et global en constituant des îlots de fraîcheur et des puits de carbone", souligne-t-elle.
En ville, les effets du changement climatique
"Dans des quartiers densément peuplés comme celui de Cureghem, on subit les canicules de plein fouet", poursuit-elle. En plus d'être "un enfer écologique à sa production", le béton rend les sols imperméables et incapables d'absorber l'eau, particulièrement en cas de fortes précipitations. En outre, ces sols artificiels "transforment la ville en îlots de chaleur", déplore Mme Cloostermans.
Il y a une paire d'année, ce constat "est devenu une obsession", admet-elle. "Je me suis alors demandé quels étaient les lieux où ce béton était réellement nécessaire et, a contrario, où il pourrait être retiré au profit de la nature." S'inspirant des modèles nord américains "Depave" et "Sous les pavés", elle a lancé Less Béton. En ajoutant la dimension de l'espace public comme un espace à se réapproprier.
Pour ce chantier, Laetitia Cloorstermans et une dizaine de bénévoles ont prévu d'agrandir six fosses d'arbre. Ce "plan d'implantation" est le résultat de réunions multiples, d'une "balade exploratoire" afin de prendre connaissance des lieux, des contraintes (accès pompiers, impétrants…), d'identifier les zones déminéralisables et de déterminer les envies propres aux habitants, dans un "écosystème déterminé", précise la fondatrice de Less Béton. Ce plan, soumis à la commune, a été avalisé, "souvent avec quelques allers-retours", précise-t-elle. "Mais les pouvoirs publics sont globalement preneurs de ces initiatives, quand ils n'en sont pas à l'initiative." "On n'est donc pas dans de la "green guérilla", puisque les pouvoirs publics font partie du projet. "Less Béton est en fait un intermédiaire entre les communes, les citoyens et les associations, qui bien souvent portent le projet et s'occupent de sa maintenance", résume Laetita Cloostermans.

“Enlever sa petite pierre”
Le jour J, les outils – burins, masses, pieds de biche, barres à mine, brouette – nécessaires à la débétonnisation ont été empilés sous une tonnelle. "Les ouvriers communaux ont délimité un espace sur une place de parking pour pouvoir stocker les pavés que l'on va retirer, et qu'ils réutiliseront pour d'autres chantiers", explique Mme Cloostermans. Après un rapide briefing sur la manière de procéder, elle lance les apprentis ouvriers au travail, lunettes sur les yeux et mains gantées. "C'est parti ! On débétonnise à l'huile de coude !", commente-t-elle. La tâche semble ardue mais les ouvriers se prêtent au jeu, enlevant avec patience un pavé après l'autre. Certains sont intacts, d'autres volent en éclats. "C'est comme un petit accouchement à chaque fois !", lâche une participante.
Une fois les pavés retirés, "on enlève à peu près dix centimètres de sable", explique Laetitia Cloostermans. "À Bruxelles on a majoritairement de la terre de remblais, qu'il convient de remplacer par de la bonne terre mélangée à du compost afin de régénérer les sols" nourris par ailleurs par les feuilles qui y tomberont. À côté des plantations qui existent déjà, des plantes indigènes (mellifères, annuelles, semis, petites vivaces et plantes sauvages) seront ensuite plantées, participants à augmenter la perméabilité des sols et la biodiversité.

"Plutôt que d'être passif dans son milieu social et environnemental, de râler parce que les choses ne changent pas assez vite, j'avais envie d'être actrice de changement : de mettre, ou en l'occurrence d'enlever ma petite pierre !", motive Adèle. "Si les citoyens ne font rien, rien ne risque de se faire !", renchérit Simon. "Protéger la nature et rendre les villes respirables, c'est du bon sens", assène ce jardinier, qui nourrit l'espoir que de telles actions puissent faire évoluer les politiques communales. Un mouvement qui, en l'occurrence, est parti de la base – le monde associatif – pour remonter vers le politique. "La dynamique est différente lorsque c'est une demande qui émane du haut, explique Mme Cloostermans. Il faut alors activer la participation citoyenne."
Au-delà des convaincus
"Il s'agit d'impliquer plus largement les citoyens, au-delà d'un cercle de convaincus", poursuit-elle. Agir dans l'espace public, c'est aussi sensibiliser les personnes qui vivent dans ces quartiers." Les travaux en cours éveillent d'ailleurs la curiosité des passants. Certains, intrigués, s'arrêtent et questionnent. "Ah oui, c'est mieux ! Le béton, c'est gris et triste. Un peu de vert, c'est coloré, ça met de la vie et c'est bon pour l'écologie", commente Abdessaoud, qui vit à quelques rues du square depuis de nombreuses années. "Le végétal, c'est bon pour la santé mentale", ajoute Laetitia Cloostermans.

D'autres, amusés, lancent des "courage !" et "bonne chance !", tout en continuant leur chemin. "Venez nous aider !", alpague Carolina Ruiz, chargée de projet à l'UPA. Ses appels ne sont pas vains. Deux personnes finissent par se saisir d'un pied de biche. Quelques minutes seulement, mais "c'est déjà ça de pris", commente Mme Ruiz.
Ces échanges, aussi brefs soient-ils, ont à tout le moins permis de lancer un dialogue et de mettre l'accent sur l'implication citoyenne par rapport à "un espace que l'on traverse plus qu'on ne l'occupe", analyse Mme Cloostermans. "Le projet vise à rééquilibrer les usages et les fonctions. On tend vers la réappropriation de l'espace public par les citoyens et par la nature", explique-t-elle.
"En travaillant sur les interstices minéralisés, on permet à la nature d'être présente un peu partout et donc de changer le regard des citadins sur celle-ci, qu'ils ne la voient plus simplement comme du mobilier urbain." Une manière aussi de "se reconnecter au vivant et aux cycles de la vie" alors que l'on a "externalisé l'alimentation, la gestion de l'eau…", observe notre interlocutrice, selon qui "cette prise de conscience augmente aussi notre résilience."
