Grewfarm : produire des légumes et de l’électricité en circuit court
À Chimay, des serres agrivoltaïques exploitées par un jeune maraîcher répondront directement aux besoins de l’auberge voisine. Le projet Grewfarm espère essaimer en Wallonie.
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- Publié le 27-06-2022 à 06h00
- Mis à jour le 27-06-2022 à 06h34
Reportage
Gilles Toussaint
Combiner production et consommation en circuit court, tant sur le plan alimentaire qu’énergétique. Née dans l’esprit de Vincent Vanderveken, cette idée est récemment devenue réalité avec l’inauguration du projet Grewfarm dans la région de Chimay.
"L'idée m'est venue parce que j'accompagnais des maraîchers à qui je donnais des formations en économie circulaire, commente celui qui se définit comme un consultant-entrepreneur dans le domaine de la transition énergétique. Ils étaient tous très motivés, puis on s'est rendu compte que beaucoup abandonnaient au fil des mois car c'est un travail très dur, avec des horaires très lourds pour finalement ne gagner que 6 à 7 euros de l'heure."
Également fondateur de la coopérative Green City Wallonie, spécialisée dans le développement d’installations de production d’énergie renouvelable, Vincent Vanderveken s’est alors dit qu’il devrait être possible d’améliorer les conditions de travail et les revenus des maraîchers en couplant leurs activités avec des infrastructures de production d’électricité photovoltaïque.
Conçues en partenariat avec des architectes, un bureau d’étude paysagiste et la société Green Energy 4 seasons, une première série de serres agrivoltaïques pilotes viennent ainsi d’être installées sur une parcelle de terrain mise à disposition par la Fondation Chimay, qui borde l’Auberge du Poteaupré. Prisé des touristes et des organisateurs de séminaires, cet hôtel-restaurant est également adossé à un espace qui valorise les bières trappistes de Chimay et autres produits du terroir.
Posée sur une charpente métallique, la toiture des serres alterne rangées de panneaux en polycarbonate et rangées de panneaux solaires. Légers et résistants, les premiers nommés permettent de laisser passer la lumière indispensable à la croissance des plantes, tandis que les seconds apportent un ombrage bienvenu qui évite aux cultures de “brûler” en période de trop fort ensoleillement, tout en produisant de l’électricité.

Au total, ces 1500 m² de serres permettront de cultiver en bio divers légumes de saison, parfois oubliés, tandis qu’à leurs côtés 10 000 m² supplémentaires sont également disponibles pour des cultures en plein air.
Pousser l’autoconsommation au maximum
"L'électricité produite alimentera directement l'Auberge de Poteaupré. Elle va être autoconsommée à hauteur de 80 % sur le site, l'objectif étant de viser 100 % à terme, explique notre interlocuteur. Une petite fraction de cette production sert à faire fonctionner la pompe qui assure l'irrigation des cultures ; elle pourra également être utilisée pour alimenter des éclairages leds qui permettront de favoriser la croissance des plants, de gérer la ventilation ou chauffer les serres à l'aide d'une pompe à chaleur dans l'entre-saison. De cette manière, le maraîcher pourra démarrer sa saison un peu plus tôt en produisant ses propres semis et la terminer un peu plus tard. Le but étant de lui permettre d'améliorer ses revenus en diminuant ses coûts. En partenariat avec l'ULiège, l'UMons et la haute Ecole Condorcet, nous avons rentré un dossier dans le cadre des pôles de compétitivité du plan Marshall pour développer des équipements qui permettraient d'optimiser et d'automatiser l'utilisation de ces systèmes afin de faciliter la vie du maraîcher en atteignant le meilleur rapport coûts-bénéfices."
Un programme de recherche qui visera aussi à réduire les coûts de ce genre d’équipements afin de faciliter leur diffusion a plus grande échelle, souligne Vincent Vanderveken.
High-tech et traction animale
En ce début juin, plusieurs rangées de choux et de brocolis sont soigneusement alignées dans l'une des trois serres. "Ils ont 'filé'car ils ont été plantés quand il faisait très chaud et très sec, et que le dispositif d'irrigation n'était pas encore opérationnel", commente Jean Yernaux, le directeur de l'Auberge de Poteaupré – Espace Chimay.
Le site dispose désormais d’un bassin de 300 m³ dans lequel est stockée l’eau de pluie récupérée depuis les toitures des serres et des hangars de rangement. Un réservoir qui est également relié à un puits tout proche, qui permettra de faire l’appoint si nécessaire en période de sécheresse.
À quelques pas de là, deux ânes s'ébrouent sur un morceau de pâture adjacent à leur confortable abri. Ce sont les deux "tracteurs" de Corenthin Rouneau, le jeune maraîcher qui a été choisi pour exploiter le site après un appel à candidatures. "C'est un bioingénieur. Il utilise la traction animale d'abord parce qu'il est convaincu par cette technique et ensuite parce que les ânes lui permettent de circuler beaucoup plus facilement entre les structures portantes des serres qu'avec un engin mécanique."

Jean Yernaux ne cache pas son enthousiasme face à ce projet qui, à ses yeux, porte le circuit court à son "paroxysme". "Avec le chef cuisinier, nous avons réécrit notre carte au niveau des accompagnements en légumes chauds et froids de manière à nous adapter à ce que le maraîcher nous a dit qu'il pourrait produire tant en termes de variétés que de respect des saisons. De notre côté, nous lui avons donné des prévisions sur les quantités à produire sur base de nos moyennes de consommation. L'objectif est de mettre dans nos assiettes 80 à 90 % de ce qu'il va produire dans les serres et sur la parcelle en plein air qui se situent à quelques dizaines de mètres du restaurant."

Une prévisibilité qui apportera une certaine garantie financière au jeune maraîcher indépendant, qui exploite par ailleurs un autre terrain d'un hectare et demi. "Nous allons absorber une grande quantité des légumes qu'il produit. Il pourra utiliser le surplus et continuer à cultiver pour ses clients particuliers et les coopératives qu'il fournit", observe notre guide.
L'autre atout de cette formule, poursuit M. Yernaut, est qu'elle permet d'optimiser l'utilisation de l'électricité produite par les panneaux photovoltaïques. "Le système a été dimensionné pour favoriser au maximum l'autoconsommation en s'appuyant sur le fait que le pic de production photovoltaïque correspond globalement à notre pic de consommation au printemps et en été. Quand il fait beau, nous recevons beaucoup de visiteurs et les cuisines tournent à plein régime." Des visiteurs – l'Auberge accueille environ 150 000 clients chaque année – qui dégusteront donc des légumes bios et locaux préparés grâce à une électricité également produite localement.
C'est en outre "bon pour notre image de marque", reconnaît le patron du Poteaupré. "Il est clair qu'on va communiquer là-dessus durant la haute saison. Mais ce projet n'est pas du greenwashing, c'est surtout un beau projet parce qu'il a vraiment du sens."
Un projet par commune wallonne ?
Une telle infrastructure représente un investissement conséquent – environ 300 000 euros pour ce projet pilote – qui n’est évidemment pas à portée de la bourse d’un maraîcher.
"L'idée est de créer un modèle un peu atypique qui associe un tiers investisseur – Green City Wallonie dans le cas présent, NdlR – qui se rembourse avec la vente de l'électricité et les certificats verts. Au bout de 10 à 15 ans, il a amorti son investissement et bénéficie d'un return sur une installation qui a une durée de vie d'une trentaine d'années, détaille Vincent Vanderveken, ajoutant que l'on peut aussi imaginer faire appel au crowdfunding ou à l'épargne privée".

En Wallonie, les communes, CPAS, fabriques d'église et autres propriétaires terriens disposent de nombreux terrains susceptibles d'accueillir une infrastructure de cette nature. "Et celles-ci pourraient directement fournir en légumes frais un hôpital, une maison de repos, les bénéficiaires du CPAS ou encore des restaurants locaux", tout en permettant à des maraîchers de disposer d'un outil qui renforce la viabilité de leurs activités et améliore leurs conditions de travail, développe-t-il dans la foulée.
Les concepteurs du projet, quant à eux, envisagent de créer un acteur industriel susceptible de fabriquer, livrer et assembler ces "kits" d'installations, déjà utilisées en France et en Espagne, pour lesquels la demande est en forte progression en Europe. "On entend partout qu'il faut réindustrialiser la Wallonie, c'est très bien. Mais il faut être conscient que l'on ne fera plus d'aciéries. Il faut que l'on bâtisse les industries de demain et ce projet nous semble réconcilier les objectifs d'autonomie, ainsi que de relocalisation alimentaire et énergétique que l'on doit poursuivre."