A Rochefort, protéger la biodiversité et se protéger des inondations

La commune de Rochefort a été fortement touchée par les inondations de juillet 2021. Parmi les solutions retenues, une soixantaine de mares naturelles vont être creusées avec le soutien de l’ASBL Kick Belgium.

Reportage
Gilles Toussaint

"Ce cocon, c'est un nid de chenilles d'Eriogaster lanestris (la Laineuse du cerisier, NdlR). C'est une espèce très rare qui est surtout présente en Fagne-Famenne. Avec l'inquiétude née autour de la Processionnaire du chêne, qui est urticante, les gens sont en panique dès qu'ils aperçoivent une chenille", commente notre guide, mi-amusé, mi-désespéré par ce constat. Avant de poursuivre : "Là, c'est de la Centaurée, une plante patrimoniale. Et ici un Demi-Deuil, un autre papillon relativement rare…"

A Rochefort, protéger la biodiversité et se protéger des inondations
©GUILLAUME JC

Nous avons à peine parcouru quelques dizaines de mètres que déjà Patrick Lighezzolo est intarissable. Passant d'un côté à l'autre de la route, il scrute les talus pour en décrire toute la richesse avec une passion qu'il ne cherche pas à dissimuler. "Je voue une grande partie de ma vie à la biodiversité", sourit-il, le regard pétillant sous une casquette qui le protège des rayons du soleil.

Une biodiversité qui, en Wallonie comme partout dans le monde est de plus en plus mal en point. À ses côtés, la nature se transforme en musée vivant, source inépuisable d’émerveillement. Ce qui vous semble n’être qu’une “mauvaise herbe” est en réalité un trésor caché, explique-t-il, un brin contrarié quand, exceptionnellement, un nom lui reste sur le bout de la langue.

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©GUILLAUME JC

Nous sommes sur le Tienne d'Aise, petit hameau du village d'Ave et Auffe situé sur les hauteurs de la ville de Rochefort. Le choix du lieu ne doit rien au hasard : ce site fait partie des endroits identifiés par Patrick pour accueillir une série de mares qui constitueront les maillons d'un réseau bien plus vaste. "Au total, la commune de Rochefort a pris la décision de creuser 60 mares", raconte celui qui pilote ces opérations pour le compte de l'association de protection de la nature Natagora. Avec un objectif double : "Contribuer à l'amélioration de la biodiversité, et aussi à lutter contre les inondations en cas de fortes précipitations estivales."

Doper la biodiversité et freiner le ruissellement

"Ici, on peut voir les axes de ruissellement par priorité", décrit M. Lighezzolo, pointant du doigt les points sensibles sur une cartographie de ce petit vallon composé de pâturages et de bosquets. Tous ne sont pas problématiques, mais certains posent des difficultés. "L'an dernier, l'eau a déferlé sur la route qui a été en partie bloquée, raconte-t-il en nous menant vers une zone située non loin d'un large virage sur la N86, un peu en contrebas. Il y avait vraiment beaucoup d'eau avec un risque d'accident important car c'est un axe très fréquenté."

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©GUILLAUME JC

Pour éviter de voir ce scénario se répéter, Patrick Lighezzolo envisage de créer un chapelet de cinq petites mares d'une capacité d'environ 150 m³ chacune. Se succédant sur une trajectoire définie le long de la pente, celles-ci feront en quelque sorte office de micro-bassins d'orage. "Cela ne va pas aider à la gestion de l'eau en hiver. Mais par contre en été, lorsqu'elles sont asséchées et que de fortes pluies surviennent, elles auront chacune un effet tampon qui va freiner le ruissellement vers la route."

Les parcelles concernées appartiennent à trois agriculteurs, à qui il faut encore exposer ce projet pour obtenir leur feu vert, comme il l'a déjà obtenu pour une quarantaine d'autres mares. Mais il a bon espoir. "Le bouche-à-oreille fait son travail et le monde agricole réagit très bien parce qu'ils sont demandeurs."

Outre le côté positif en termes d’image, ces mares et leurs abords pourront entrer en ligne de compte dans le calcul des 3 % de superficies non productives que les agriculteurs auront dorénavant l’obligation de respecter pour obtenir les aides dans le cadre de la nouvelle Politique agricole commune (Pac), avance Patrick.

Qui plus est, ces zones sont de toute façon très humides. "Quand le bétail y a accès, elles se transforment en marécage, ce qui crée des problèmes aux pattes des animaux. Il y a aussi le risque d'apparition d'organismes pathogènes. Comme nous placerons une clôture, on va donc assainir le site pour le bétail."

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©GUILLAUME JC

Sans oublier bien sûr, les bénéfices pour les nombreuses espèces animales et végétales présentes dans la zone, en particulier de "nombreux amphibiens, dont des espèces protégées !"

De l'autre côté de la N86, un second projet est lui d'ores et déjà sur les rails. D'ici à la fin de cet été, quatre mares auront été creusées dans ce pré très humide situé en zone Natura 2000 (expliquer). "On est sur une nappe phréatique perchée", expose le naturaliste en pointant une série de plantes indicatrices de la présence d'eau. Ce que nos chaussettes trempées nous avaient déjà permis de constater…

Ici encore, l'objectif est de freiner les écoulements vers la vallée en contrebas lors des périodes de fortes pluies. Mais la biodiversité ne sera pas en reste. "Actuellement, ce site est classé dans la catégorie la plus médiocre de Natura 2000. Quand on aura creusé les mares, et grâce à la gestion menée par le propriétaire de la prairie, je pense que dans deux ans elle figurera dans la catégorie des prairies hautement biodiversifiées", se réjouit-il. Un bénéfice qui rencontre la proposition récente de la Commission européenne de restaurer massivement les sites naturels.

"Les petites mares font les petites rivières", résume Grégor Chapelle, directeur de l'ASBL Kick Belgium. Lancée en janvier 2021, celle-ci chapeaute cette action qui s'inscrit dans le cadre d'un programme bien plus large co-construit en partenariat avec les autorités communales et d'autres acteurs locaux.

Accélérer la transition écologique à l’échelle locale

Kick a vu le jour à l'initiative de la famille de Pret, détaille M. Chapelle. "Notre mission est d'être un accélérateur de transition écologique en travaillant au départ des territoires. Le but est de protéger la biodiversité en agissant sur six leviers : l'eau, l'alimentation, la forêt, les déchets, la mobilité et l'habitat durable. Mais, surtout, notre ambition est de faire communauté. Nous ne venons pas avec notre feuille de route à appliquer. Notre philosophie consiste à faire travailler ensemble des acteurs qui ont souvent beaucoup de préjugés les uns sur les autres. Mobiliser des acteurs privés classiques comme les entreprises, les pouvoirs publics, les représentants du secteur associatif et les citoyens pour faire émerger un plan et quelques projets qui feront une différence. Kick apporte des ressources humaines pour fédérer cette communauté et trouver en commun des solutions qui pourront servir à d'autres. Nous cherchons aussi des moyens financiers supplémentaires via du crowdfunding ou du sponsoring."

A Rochefort, protéger la biodiversité et se protéger des inondations
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Une "utopie réaliste" qui se décline dans un programme élaboré sur trois années. Dans le domaine des déchets, par exemple, 200 bacs à compost domestiques vont être distribués dans la commune, tandis que plusieurs composteurs collectifs seront installés en parallèle. L'opération, ainsi que des formations au bon usage de ces équipements, sera encadrée par l'ASBL Worms ou le comité Jean Pain, à la manière de la collaboration conclue avec Natagora pour la réalisation des mares.

Si Rochefort fait office de commune pilote, Kick a également conclu des partenariats avec Amay, Grez-Doiceau et Chaudfontaine. D’autres communes sont également en attente, l’association – qui entend déployer son action sur l’ensemble du territoire belge – n’étant pas à ce stade en capacité de répondre à toutes les demandes, explique son directeur.

Agir sur plusieurs leviers

"Si Kick se focalise sur la régénération de la biodiversité, dans la biodiversité il y a aussi les humains, embraie Simon Loop, coordinateur du projet rochefortois. Il est donc important pour nous de prendre en compte les réalités de la commune. Et à Rochefort, les habitants ont été fortement concernés par les inondations de l'été dernier. C'est une des dix communes wallonnes les plus touchées. Il n'y a pas eu de décès, mais les dégâts ont été très importants. Ils ont laissé des traces qui sont encore visibles aujourd'hui."

Dans ce contexte, le collège communal a logiquement demandé à l'association de porter une attention particulière à ce que les mesures envisagées en faveur de la biodiversité puissent également jouer un rôle dans la prévention des inondations, même si elles ne régleront évidemment pas tous les problèmes à elles seules. La commune a choisi d'investir un montant de 379 500 euros pour soutenir les différentes initiatives qui émergeront de la dynamique portée par Kick. Un budget qualifié de "gigantesque" par Grégor Chapelle, qui illustre la préoccupation pour ces enjeux. De son côté, l'association a décidé à titre exceptionnel d'un apport de 50 000 euros.

Fin décembre, le conseil communal a voté un plan d'actions, explique Simon Loop. "Pour le pilier 'eau', nous avons défini trois axes de travail : le diagnostic, les actions à impact et la sensibilisation. Pour ce qui est du diagnostic, la société Hydroscan a été sélectionnée pour cartographier six zones de 500 hectares et identifier les risques d'inondations liées au ruissellement. Ce sont six bassins-versants qui posent problème par rapport à des points noirs identifiés suite aux événements de juillet 2021. L'idée est de déterminer les zones propices à la mise en place de dispositifs de prévention comme les mares, qui peuvent avoir un effet tampon lors de gros orages, ou encore des haies qui favorisent la pénétration de l'eau dans le sol, contribuant à ralentir le flux et évitent les coulées de boues. À terme, cela pourrait aussi être de plus gros projets d'infrastructures réalisés par la commune, comme des bassins de rétention ou des zones d'immersion temporaires. Notre rôle sera alors d'essayer que l'on porte aussi attention à l'enjeu de la biodiversité lors de la mise en place de ces infrastructures."

A Rochefort, protéger la biodiversité et se protéger des inondations
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Des actions d’information du public sur la bonne gestion de l’eau sont par ailleurs à l’agenda, poursuit M. Loop. Celles-ci se dérouleront entre autres dans le cadre de la journée “Big jump”, à l’occasion de laquelle les citoyens sont invités à piquer une tête dans diverses rivières. Un événement qui met l’accent sur l’importance d’améliorer la qualité des eaux de surface en Europe et qui donnera l’opportunité à Kick et diverses associations partenaires (maisons de jeunes, contrat de rivière…) de proposer plusieurs types d’animations. L’occasion, notamment, de partager les témoignages sur la façon dont les habitants de la région ont vécu le traumatisme provoqué par les inondations.

D'autres initiatives cibleront en outre la sensibilisation à l'installation de citernes de récupération des eaux de pluie dans les bâtiments et, surtout, à leur bonne utilisation. "Ces citernes permettent de limiter le ruissellement dans les zones artificialisées. Elles peuvent servir de tampon de la même manière que les mares", relève le coordinateur.

De tampon, mais aussi de réservoir pour les périodes de sécheresse, un autre mal auquel la région de Rochefort, qui attire énormément de touristes en été, doit désormais faire face de façon récurrente.

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