Du grain au pain : comment faire revivre la meunerie wallonne ?
"Histoire d’un grain" tente de faire revivre la production et la transformation de céréales panifiables sur le Plateau de Herve. La coopérative veut participer à la relocalisation de la farine en créant du lien entre les acteurs de la filière. Agriculteurs et boulangers collaborent.
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Publié le 13-02-2023 à 07h17 - Mis à jour le 13-02-2023 à 07h25
Dans un doux ronronnement, le moulin de la coopérative Histoire d’un Grain écrase doucement et des heures durant, des grains de froment. La farine de blé traditionnelle ainsi produite sur meule de pierre tombe directement dans un sac de 25 kg. « Les grains sont moulus sur commande, pour que la farine soit la plus fraiche possible », commente Renaud Keutgen, cofondateur de cette coopérative située à Soumagne, au Pays de Herve.
« Les moulins wallons ne représentent que 2% de la meunerie belge », soulève ce boulanger. « Le pain que nous mangeons en Belgique contient moins de 8% des céréales cultivées en Wallonie », expose-t-il encore, citant les chiffres publiés par Nature & Progrès. « Il y a donc de la place », constate-t-il, pour l’émergence d’une filière locale et bio, du grain au pain, sur le plateau de Herve.
Pourtant, la région est davantage connue pour la production de fromage, de lait, de pommes et de poires. Les céréales, on les retrouve plutôt sur les terres voisines de Hesbaye… « En faisant des recherches, j’ai découvert que sous Charles Quin, le Pays de Herve était couvert de céréales », s’amuse Renaud Keutgen. Il ne lui en fallut pas plus pour valider son projet de « diversification de la production alimentaire ». Un pas vers « davantage d’autotomie » : « Fruits, fromages et céréales : on pourrait produire localement notre alimentation de base », se réjouit Caroline Simays, boulangère et cofondatrice de la coopérative.
Le bat blesse cependant : « En 2018, nous sommes quatre boulangers à constater le manque d’offre de céréales locales et bio : on voulait produire un pain naturel, mais on manquait de matière première, retrace Renaud Keutgen. On s'est dit alors : puisqu’on ne la trouve pas, produisons-la! »
Agriculteurs et boulangers se parlent
Avec une dose d’idéalisme, le quatuor lance un premier appel à coopérateurs-investisseurs. Ils sont 350 citoyens lambda, boulangers et agriculteurs à leur emboiter le pas, réunissant sous une même bannière les différents maillons de la chaîne du pain. « L’idée est de recréer du dialogue entre eux, et particulièrement entre les agriculteurs et les boulangers », souligne M. Keutgen. Le système est ainsi fait que les uns et les autres ne se parlent pas : les agriculteurs vendent leurs céréales sur les marchés ; les boulangers achètent leur farine à des commerciaux. Le gouffre est immense entre deux professions pourtant dépendantes l’une de l’autre. L’idée de la coopérative, en plus d’encourager le retour d’artisans boulangers dans les villages, est dès lors de faire dialoguer les acteurs de la filière du pain.
Autre avantage à cette collaboration : celui du prix de la matière première, qui reste relativement constant puisque ces grains ne s’échangent pas sur les marchés et ne sont donc pas sujets à la spéculation. Une garantie bienvenue pour les boulangers et, in fine, le consommateur final.
Ayant entamé sa diversification (élevage et agriculture) puis dans la foulée, une transition vers le bio en 2015, Jean-Pierre Deru cultive - selon les principes de l’agroécologie et sur 10 hectares -, les céréales panifiables (épeautre, froment et seigle) pour la coopérative. Les volumes sont fixés un an avant la récolte afin de garantir un revenu à l’agriculteur. Outre cette garantie, Jean-Pierre Deru a été séduit par le caractère citoyen de l’initiative. « On ne discute pas avec des commerciaux : on parle avec les consommateurs de leurs besoins et ça, ça donne envie de travailler autrement. »
Reconnecter les citoyens à leur environnement
Les citoyens, propriétaires de la coopérative au même titre que les agriculteurs, boulangers et meunier, y trouvent un espace d’expression. Mais aussi de prise de conscience. « Pleut-il trop ou trop peu pour que nos grains poussent ? Les coopérateurs se soucient de l’impact du climat sur les récoltes », expose Renaud Keutgen. L’épeautre, par exemple, a été « fortement impacté par l’humidité conséquente aux inondations de l’été 2022 », poursuit Caroline Simays. « Et cela a modifié les pratiques en boulangerie. »
« Au contraire du supermarché où le produit est constant en dépit des saisons, ici, le pain est tous les jours différent », poursuit la boulangère. Ces réalités concrètes, elle les explique sans relâche à sa clientèle. « En première ligne, nous avons un rôle d’éducation permanente. Nos clients deviennent des ambassadeurs : de nos produits et des valeurs que l'on véhicule », motive-t-elle. « On prend notre bâton de pèlerin pour convertir les gens! », ajoute Renaud Keutgen. On le fait « par le plaisir : celui qu’on les clients à manger un produit de qualité », poursuit Caroline Simays.
Les deux cofondateurs de la coopératives soulève cependant avec insistance « l’impact de la variable d’ajustement qu’est l’alimentation dans le budget des ménages : au niveau individuel - sur la santé notamment - mais aussi macro, sur tout un système de production et de consommation ».
Un grain peut-il changer le monde ?
Et si un grain de blé pouvait « changer le monde » ? Caroline Simays, Renaud Keutgen, Jean-Pierre Deru et les quelques centaines de coopérateurs d'Histoire d'un grain y croient. Mais pour initier ce mouvement, la « nano-meunerie » aspire à grandir. Grandir ou mourir. Car actuellement et depuis ses débuts en 2018, le rendement n’est pas suffisant pour que l’activité soit pérenne. « Nous devons passer un palier pour atteindre un seuil de rentabilité : de 15 à 40 tonnes annuelles », précise Renaud Keutgen. Cet objectif devrait, selon les prévisions, être atteint endéans les trois ans, après un nouvel appel à coopérateurs lancé en début d’année et l’achat de deux moulins supplémentaires. L’objectif, à terme, est de fournir les 400 tonnes de farine nécessaires à tout un bassin de vie et ainsi devenir « la meunerie du grand Pays de Herve ». Si tout s’est fait par bouche-à-oreille jusqu’à présent, l’heure est au démarchage : des artisans boulangers, épiceries de village, agriculteurs qui font de la vente à la ferme et au champs…