Orta, la marque de mode belge à tendance responsable, à des prix abordables
Objectif Responsable, Tendance Abordable. Tout est dans le nom d’ORTA, marque belge qui fait du vêtement mode, éthique, européen et humain. Alors que la Fashion Week s’ouvre à Paris ce lundi, visite à Roubaix des ateliers de confection réchappés de la mondialisation.
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Publié le 27-02-2023 à 06h36 - Mis à jour le 27-02-2023 à 06h49
Plus ou moins 235 % d’augmentation du chiffre d’affaires en cinq ans. 224 000 followers en tout genre d’Insta à Tik Tok. Quinze ateliers un peu partout en Europe : Italie, France, Portugal. Taux de rachat des clients : 80 %… Les chiffres de la jeune marque belge de mode sont au beau fixe, tendance vent dans les voiles. Chez Orta, acronyme d'” Objectif Responsable, Tendance Abordable”, on a la banane. Mais il ne faudrait pas croire qu’on repose pour autant sur ses lauriers.
Il n’est d’ailleurs pas sûr que Marion Schoutteten, cofondatrice d’Orta, et actuelle directrice artistique de la marque, ait une grande expérience du repos. Pas sûr que cela l’intéresse beaucoup non plus. Ce qui la branche, c’est de changer le paradigme du vêtement de mode, le rendre éthique et abordable, tout en cherchant à comprendre qui porte quoi et comment. Rencontrer la demande tout en pensant un vêtement éthiquement transparent. Voilà, c’est dit, et c’est un peu de turbin, vu le marché actuel.
Au départ, il y a Gauthier, le compagnon de Marion, qui la voit travailler d’arrache-pied, et qui se dit qu’avec toute l’énergie qu’elle y met, il vaudrait mieux que ce soit pour son propre compte. Marion, quant à elle, a fait des études de communication à l’Ihecs et pourrait vendre des glaces à un esquimau. Mais elle a une autre ambition.
Saisir le pouls d’une époque
La jeune femme de 34 ans est tout à fait de son époque. Ouverte. Connectée – le téléphone en bandoulière. Et adepte de sens. Elle s’engouffre dans le domaine de la mode, “même si je n’y connaissais rien. C’est Gauthier qui m’a planté une petite graine dans la tête. 'Si tu crées une marque éthique, lance-toi, découvre le métier', m’a-t-il dit. J’ai commencé de zéro. Je me suis dit que je verrais comment la clientèle réagirait. En toute transparence, je ne me suis pas payée pendant trois ans et demi”.
Les initiales de sa marque dessinent le but à atteindre. Encore faudrait-il trouver un atelier pour fabriquer des vêtements. Marion ouvre le bottin. Elle se souvient, elle qui a grandi dans le bassin textile de Roubaix, des usines de confection installées dans le décor de son enfance. Elle appelle IMC, Impact Mode Créations, et tombe sur une autre stakhanoviste, Laetitia Ferreira. “On ne prend plus de nouveaux clients”, chez IMC. Déjà qu’on a échappé au démantèlement de la filière textile. Tout le monde étant parti fabriquer au Bangladesh, “il n’était plus resté que ma mère et ma tante, qui avaient, au départ, ouvert un atelier de confection pour dépanner ceux qui n’étaient pas encore partis. Elles ont cru que ça durerait un an. Quand j’ai voulu entrer dans l’entreprise, il y a quelques années, elles m’ont dit : 'Mais non, tu es folle, il y a la mondialisation'. Disons que ça fait 33 ans que ça va durer un an”.

Laëtitia est pragmatique, ultra-calée dans la production textile, sans chichis, et sait dire non, notamment à ces griffes de mode pas clean qui voudraient bien lui racheter son empreinte carbone. Mais, à Marion, elle ne dit pas “non”, elle répond : “Passe cinq minutes, on verra bien”. IMC prend désormais en charge près de 30 % de la production textile d’Orta, qui fabrique environ 85 000 pièces par an, à travers 400 modèles et onze collections. “Une tous les mois”, sauf au mois d’août. “Au début, on lançait les nouveaux modèles sur Instagram le dimanche matin, et il nous arrivait que notre collection soit 'sold out' en 6 minutes”, se rappelle Marion. Au début, elle bricole pour organiser des précommandes. Elle n’a pas les fonds pour faire autrement. “Je demandais aux gens qui likaient sur Instagram de me communiquer leur taille de vêtement en MP. Ensuite, je compilais les messages et je commandais mon métrage de tissu”. Fonctionner avec des précommandes lui permettait “d’être sûre” de payer ses fournisseurs”. Elle fait le tout avec trois sous, à l’époque. Et paie ses couturières à la livraison – “on demande déjà beaucoup à nos usines”. L’actuel chiffre d’affaires est estimé à 6,1 millions d’euros.
Faire autrement
En 2017, Marion a cette intuition, que le public des consommateurs a besoin de sens. Et d’humain, aussi. Hormis IMC à Roubaix, spécialiste dans la technique de la “chaîne et trame” avec succès (l’atelier roubaisien fait les prototypes de Pimkie, Decathlon, ou les collections Made in France de la Redoute), Marion s’attache des pros venus du milieu de la mode, qui ont assisté aux déboires du secteur. “Laetitia, ma modéliste, bossait pour une grande marque belge qui a, tout à coup, tout délocalisé en Chine, en laissant derrière elle couturiers, usines, fournisseurs.” La responsable de la chaîne de production est débauchée chez Balenciaga, la maison de luxe de Keiring. Et c’est justement au Portugal – que des marques fuient, pour faire plus de marge en Asie – que Marion trouve des alliés qui maîtrisent d’autres savoir-faire nécessaires… Les ateliers qu’elle dégote en Italie prennent en charge la fabrication de la maille et travaillent de la laine recyclée, puisque l’on ne perd rien chez Orta. Tout est pensé du début à la fin pour que la cliente sache ce qu’elle achète et au prix qui est le plus juste.

Étant donné ces choix, quelle est la marge sur les pièces vendues ? “Je me pose la question à l’envers. Je me demande combien ma cliente Orta a-t-elle à dépenser pour une chemise ? On fait des sondages dans les bureaux, sur nos réseaux. On discute avec Laetitia. On cherche un compromis. En ce moment, avec l’augmentation des matières premières, 150 % pour le fil de coton, il y a des modèles que nous avons choisi de ne pas proposer car le prix explosait.” Et on ne rognera pas sur le prix de la main-d’œuvre. “Je sais combien tout le monde gagne ici”, précise Marion alors qu’on traverse l’atelier découpe, “et il n’y a pas de turnover”. “Il était important pour Gauthier et moi (son mari est cofondateur, NdlR) que tout le monde y gagne dans le circuit de production.” Et elle poursuit, bille en tête, cherchant le prix juste, celui qui pourra correspondre à la conscience et à la bourse des acheteuses, car, même si les clientes sont désormais plus sensibles à ce qui est écrit sur l’étiquette, dans l’échelle des valeurs qui déterminent l’achat de mode, c’est d’abord le style qui est cité par les consommateurs, puis le prix et enfin l’étiquette de confection.
De l’importance de l’étiquette “qui dit tout”
“On est arrivé à un moment où les mentalités évoluaient, à une époque où les gens ont envie de mieux consommer. Orta n’a rien inventé. On n’est pas une technologie, on est là pour répondre à une demande. Et puis après, il y a le bouche-à-oreille…”
Comment, alors, résout-elle la question de la surconsommation ? Certes, elle fait fabriquer des vêtements éthiques, donne du travail dans une région affectée par le manque d’emploi, mais dans le même temps, elle participe aussi à la production d’objets supplémentaires. Pas vraiment compatibles avec les notions environnementales. “J’ai tout à fait cela à l’esprit. Et alors qu’on grandit, je m’interroge : nos valeurs sont-elles encore respectées tout au long du processus ? Vinted est à la mode, et acheter seconde main est une bonne chose, mais ne nous leurrons pas : les gens continuent à acheter des vêtements. Alors, il faut des marques comme Orta pour proposer autre chose. On a toute notre légitimité, sinon comment veut-on changer les choses ?”
Et d’insister sur les combats du moment : la viscose européenne. “Pas de cachemire ou de soie, ça vient de trop loin. Les étiquettes doivent tout nous dire sur les produits. Nous sommes allés à l’Europe, pour négocier cela. Pouvoir faire valoir sur les produits textiles le Made in Europe.” Il ne faut pour autant pas être dupe : “De grandes marques font poser leurs boutonnières en France sur des vêtements chinois et y mettent le label Made In France”. Laetitia, d’IMC, renchérit : “On doit encore se battre avec les organismes de certification qui ne font pas de différence entre production française et chinoise. Et que penser du Made in France, fabriqué dans le quartier parisien du Sentier, où les droits des travailleurs du textile ne sont pas respectés ?”
Avec la mondialisation, certains pensaient que les vêtements étaient fabriqués par des machines. Mais ce sont bel et bien des personnes de chair et d’os qui cousent les boutons. Et ça tombe bien : les clients veulent de l’humain. “C’est à nous d’être transparent, de continuer de l’être. À force d’exister, on comprendra que ce qu’on fait avec Orta, ce n’est pas pareil. On réfléchit chaque minute à maintenir un prix de vente décent”. Très sincèrement, Marion ne peut pas imaginer faire autrement.
Recycle tes fringues, c’est facile et efficace
EuRIC, la fédération européenne des entreprises de réutilisation et de recyclage des textiles, a publié récemment une étude sur les cycles de vie du textile. Et ses résultats prouvent l’utilité d’en plébisciter la seconde vie. On parle d’un impact environnemental jusqu’à 70 fois inférieur à la production de vêtements nouveaux. Chaque vêtement réutilisé (de qualité moyenne ou élevée) permet d’économiser jusqu’à 3 kg de CO2, et ne nécessite que 0,01 % de la consommation d’eau nécessaire à la production de nouveaux vêtements. Néanmoins, les habitudes de recyclage du textile ne sont pas installées dans les mentalités puisqu’environ 62 % des vêtements et textiles usagés finissent dans les ordures ménagères.