Comment transformer sa voiture thermique en électrique : "Pour un ancêtre populaire, cela revient à environ 15.000 euros"
Faire du neuf avec du vieux, c’est l’idée du rétrofit, qui consiste à allonger la vie des véhicules très émetteurs en CO2 en remplaçant leur motorisation thermique par un équivalent électrique. Cette pratique connue pour les ancêtres pourrait-elle s’étendre au reste du parc automobile ?
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- Publié le 12-06-2023 à 06h43
À première vue, la Ford Escort blanche d’Yves Toussaint ressemble à s’y méprendre à n’importe quel ancêtre “populaire”. Pourtant, ce véhicule datant de 1970 revêt une particularité. Sous le capot, le moteur thermique a fait place à une batterie d’une taille similaire, un onduleur et un moteur électrique. Dans l’habitacle, le levier de boîte de vitesses a disparu. “Avec une batterie de 16 kilowattheures, une voiture légère comme celle-ci a une autonomie de 160 km et une vitesse maximale de 120 km/heure… même s’il est extrêmement rare de rouler si vite”, poursuit cet expert indépendant en électrification de véhicules. C’est ce qu’on appelle le “rétrofit”. Une technologie qui consiste à “enlever la motorisation thermique d’un véhicule et de la remplacer par un kit électrique”, résume M. Toussaint.
“Ces ancêtres, tels que les Opel Kadett, MG, Austin ou les premières BMW, ont été pourvus de moteur d’entrée de gamme et sont fort polluants”, poursuit-il. Le “kit électrique” qu’il a développé permet désormais à ces véhicules de circuler sans émissions d’échappement.
Bon pour le climat
Électrifier ces “ancêtres fumants”, facilite non seulement leur entretien mais il est surtout question “d’inscrire la pratique dans une démarche environnementale”, soutient Yves Toussaint. Si l’extraction et le traitement des matières premières composants les batteries a un coût environnemental important, il a été démontré que, sur l’entièreté de leur durée de vie, les véhicules électriques sont nettement moins polluants que leurs homologues thermiques. “Cela dit, équiper les véhicules de collection de moteurs électriques ne changera pas le sens de rotation de la Terre”, tempère Yves Toussaint.

Pour faire une vraie différence, la pratique pourrait-elle s’étendre à l’entièreté du parc automobile ? Les véhicules thermiques les plus anciens, frappés par des interdictions de circuler (la prochaine échéance dans les zones à faibles émissions est fixée en 2025), pourraient-ils éviter la casse et entamer par ce biais une deuxième vie ?
C’est le pari qu’a fait la France : depuis 2020, une loi encadre l’homologation des véhicules rétrofités en série. Autrement dit, la certification vaut pour toutes les voitures d’un même modèle et non au cas par cas, comme c’est d’application aux Pays-Bas, notamment. “Il y a un marché potentiel de 4 millions de véhicules”, commente à cet égard Yves Toussaint. Ce chiffre grimperait à 20 millions en 2035, date à laquelle tous les véhicules thermiques seront interdits à la circulation.
Le bien-fondé de la législation hexagonale est conforté par une étude de l’Ademe, réalisée en 2021. L’Agence française de la transition écologique a en effet évalué l’intérêt environnemental du rétrofit. Elle en conclut que, quand la conversion vers l’électrique est possible, elle est toujours meilleure en termes d’émission de CO2 que l’utilisation prolongée d’un véhicule diesel, sa revente et l’achat d’un véhicule électrique neuf. Ainsi, la conversion des citadines permettrait de réduire de 66 % les émissions par rapport à la conservation d’un modèle diesel et de 47 % par rapport à celui d’un modèle électrique neuf.
Selon l'Agence française de la transition écologique, la conversion des citadines permettrait de réduire de 66% les émissions par rapport à la conservation d’un modèle diesel et de 47% par rapport à celui d’un modèle électrique neuf.
Et pour le portefeuille ?
Le rétrofit deviendrait-il aussi une alternative économique à l’achat d’un véhicule électrique neuf ou d’occasion ? Yves Toussaint doute de la faisabilité d’une telle mesure. “Pour un ancêtre populaire, cela revient à environ 15 000 euros. Allonger la vie d’une Twingo de 12 à 20 ans, c’est une idée vertueuse… sur papier. Mais je n’y crois pas. L’équation économique ne tient pas la route.” La concurrence avec les robots de l’industrie automobile est bien trop forte, dit-il en substance. “Si l’on prend en compte le développement des kits et leur installation, cela revient à une centaine d’heures de main-d’œuvre par véhicule, à quoi il faut ajouter le prix de l’homologation – 150 0000 euros environ pour le premier véhicule de la série dans le cadre légal français”, ajoute-t-il.
Allonger la vie d’une Twingo de 12 à 20 ans, c’est une idée vertueuse… sur papier. Mais je n’y crois pas. L’équation économique ne tient pas la route.
Au-delà de l’argument économique, l’expert avance celui de la sécurité. “Même sur une Twingo, il y a une série d’instruments modernes – ABS, direction assistée… – qu’il faut maintenir en fonctionnement, explique-t-il. Or, c’est difficilement compatible avec la technologie du rétrofit telle qu’on la connait aujourd’hui”. Pour y parvenir en toute sécurité, il faudrait investir des sommes colossales dans la recherche et le développement. “Mais ce n’est pas rentable en l’état”, concède-t-il. Enfin, le rétrofit fonctionne parfaitement sur des voitures légères – la Ford Escort pèse 800 kilos – mais les voitures modernes sont bien plus lourdes et nécessitent donc des batteries de plus grande capacité.
Si le rétrofit est une solution crédible pour les ancêtres, Yves Toussaint ne pense pas que ce soit le cas pour le reste des voitures du parc automobile.
Vers une transformation du métier de garagiste
Quoi qu’il en soit, cet expert considère le rétrofit comme une aubaine pour la création d’activité économique. “Deux métiers verraient le jour : d’une part, celui de constructeur de kits électriques et, d’autre part, celui de monteur”, imagine Yves Toussaint. Par ailleurs, anticipant une “transformation inéluctable du métier de garagiste due à l’augmentation des véhicules électriques qui nécessitent moins de maintenance”, il interroge : “Pourquoi ne pas former les garagistes et les mécaniciens à la technologie du rétrofit afin qu’ils assurent le démontage des moteurs thermiques et le montage des kits électriques et de leurs pièces d’adaptation ? ”
Un cadre légal désormais précisé
Les règles du rétrofit ont été simplifiées le 1er juin dernier, à la faveur de l’entrée en vigueur d’un arrêté royal. Ce nouveau cadre légal s’applique tant à la transformation vers des véhicules électriques que vers des véhicules à l’hydrogène.
Les Régions doivent toutefois encore adopter leur propre cadre normatif “dans les plus brefs délais” afin que la procédure d’homologation soit complètement opérationnelle.
Jusqu’ici, les véhicules devaient être homologués et certifiés par un constructeur automobile une fois transformés, mais l’absence de règles sur le sujet rendait les projets très difficiles à concrétiser. Preuve en est : la Ford Escort d’Yves Toussaint attendait toujours des avancées législatives pour enfin pouvoir prendre la route.