Quand améliorer le processus de recyclage des vêtements textiles ne tient qu’à un fil… thermo-soluble
Pour être recyclés, les produits textiles doivent être désassemblés. Pour y parvenir efficacement, la start-up bruxelloise Resortecs a mis au point une double innovation technologique : un fil thermo-soluble, à utiliser lors de la conception des vêtements, et un four adapté. Ceci permet d’optimiser le recyclage dans une industrie extrêmement polluante.
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- Publié le 26-06-2023 à 06h23
- Mis à jour le 07-07-2023 à 09h40
“L’industrie de la mode est l’une des plus polluantes au monde : on jette l’équivalant de 500 milliards de dollars de matière par an ; toutes les secondes, un camion vide son contenu en décharge ou à l’incinérateur”, entame Cédric Vanhoeck, cofondateur et CEO de la start-up bruxelloise Resortecs. Ces chiffres illustrent l’impact environnemental colossal de l’industrie textile, qu’il s’agisse de ses émissions de gaz à effet de serre (environ 10 % des émissions mondiales et 121 millions de tonnes EqCO2 dans l’UE), l’utilisation des terres (400m² par citoyen européen en 2020), de matières premières (391kg/personne) et d’eau (9m³ par personne) ou encore de la pollution des sols et des eaux par les produits chimiques et les microplastiques.
Le bilan, sur tout le cycle de vie d’un vêtement, est lourd. Raison pour laquelle de plus en plus d’acteurs de l’industrie textile et de la mode s’accordent sur l’urgence de passer d’un modèle linéaire – produire, utiliser, jeter – à une mode circulaire. “Ce shift est crucial pour économiser la matière première vierge, l’énergie, l’eau et les terres, diminuer les émissions carbone et la production de déchets”, ressort-il d’un rapport réalisé par le Réseau d’Information et d’Observation de l’Environnement Européen Eionet Portal, en 2019. Dans ce modèle, il s’agit non seulement d’augmenter la durabilité des produits textiles – en favorisant la qualité, la réparabilité et le réemploi – , mais aussi d’en optimiser le recyclage. Ces 20 dernières années, le temps d’utilisation d’un vêtement a en effet diminué de 36 %, et chaque pièce n’est en moyenne utilisée que sept à huit fois, selon une autre analyse réalisée par la Fondation Ellen MacArthur.
Faciliter le désassemblage
C’est ce maillon-là de la chaîne de valeur que Cédric Vanhoeck a voulu améliorer. “L’une des raisons pour lesquelles on ne recycle que 1 % des vêtements que l’on produit, tient au fait que l’on a peu de solutions efficaces de désassemblage des différents matériaux constituant un vêtement”, observe-t-il. En effet, à l’instar des pratiques de tri des déchets ménagers, “pour pouvoir recycler les vêtements, on doit en séparer les différentes matières”. Il s’agit essentiellement de séparer les différents textiles, enlever la fermeture éclair et les élastiques, qui se recyclent différemment “ou ne se recyclent pas encore”, précise Cédric Vanhoeck. Or, “tant que le démontage est complexe, le recyclage à l’échelle industrielle – nécessaire vu les volumes – le restera”, prévient-il. Pourtant, les pays de l’UE seront tenus de collecter séparément les textiles d’ici à 2025.

Constatant le manque voire l’absence de solution efficiente et peu coûteuse pour les acteurs du secteur, ce diplômé en design industriel et en marketing a développé, avec Vanessa Counaert, deux innovations technologiques. Leur but est de faciliter et d’optimiser le recyclage en pensant la fin de vie des produits textiles dès leur conception. “Pour le moment, l’industrie de la mode fonctionne de telle manière que l’on crée des produits qui ne sont absolument pas adaptés à la circularité, observe Cédric Vanhoeck. Or, il faudrait que la compatibilité avec le recyclage soit la norme. ”
«L’une des raisons pour lesquelles on ne recycle que 1% des vêtements que l’on produit, c’est parce qu’on a peu de solutions efficaces de désassemblage des différents matériaux constituant un vêtement.»
Le temps presse. La start-up bruxelloise Resortecs propose donc d’automatiser le désassemblage de vêtements composés de différents matériaux en deux étapes. Le fil “smart-stitch”, tout d’abord, permet de coudre entre eux les textiles qui devront être séparés l’un de l’autre en fin de vie. Ce fil thermo-soluble a la particularité de fondre à haute température. Pour ce faire, Resortecs a conçu le “Smart disassembly system”. Un four qui “fonctionne avec trois systèmes : thermique, mécanique et de contrôle, poursuit son concepteur. D’abord, la chaleur fait fondre le fil de couture. Ensuite, le système mécanique s’assure que les éléments qui doivent être détachés le sont, comme si une vis perdait son pas de vis. Enfin, le système de contrôle s’assure que la matière reste intacte : l’absence d’oxygène permet de préserver la qualité de celle-ci pendant tout le process de démontage”. Cette étape est primordiale puisqu’elle permet d’avoir “une réserve de matière optimale pour sa réutilisation”. Ce qui reste l’objectif final.

De la matière première secondaire
Une fois désassemblés et triés, les composants rejoignent le circuit du recyclage classique. “On envisage cependant de placer des plus petits fours chez les collecteurs de textiles”, poursuit Cédric Vanhoeck. Propriétaires de la matière, ils pourraient soit la réutiliser directement eux-mêmes, soit la vendre sur le marché du recyclage. “Les grands fours seront par ailleurs placés stratégiquement en fonction de l’intérêt des grandes marques européennes”, explique-t-il encore. “Nous cherchons à travailler avec elles puisqu’elles produisent les plus gros volumes et constituent le plus gros problème. C’est donc là que l’on décuple notre impact, défend-il. En facilitant le recyclage, on vise à éviter l’émission de 1 milliard de tonnes de CO2/an. ”
L’objectif ultime de ce système est de “transformer les déchets textiles en matières premières secondaires (de la fibre textile, NdlR) pour de nouveaux produits textiles”, résume Cédric Vanhoeck. La circularité permet ainsi de diminuer l’impact environnemental du secteur en même temps qu’elle augmente sa mainmise sur l’entièreté de la chaîne de valeur, avec des bénéfices économiques à la clé (lire ci-dessous).
Moins de coûts, plus d’indépendance
Le four en cours de conception pourra traiter 600 kilos de matière simultanément. Il remplacera le travail de 150 personnes et récupérera 95 % de la matière traitée. Cédric Vanhoeck estime que ce système de démontage adapté à l’échelle industrielle est douze fois moins cher et cinq fois plus rapide que le système manuel actuel. Le modèle circulaire réduit ainsi autant le besoin de matière première vierge – et de ce fait la pression sur les ressources – que la quantité de déchets générés. Tous deux représentant un coût important pour les marques. Des arguments économiques de poids quand il s’agit de convaincre ces enseignes d’adopter des pratiques vertueuses pour l’environnement. “Il faut que chaque acteur de la chaîne de valeur en sorte gagnant”, résume Cédric Vanhoeck.

Les arguments ne manquent pas quand il faut dénoncer des pratiques “aberrantes”, tant d’un point de vue économique qu’écologique. D’un côté, “l’UE importe 100 % du coton et du polyester, équivalant à pratiquement deux tiers des matières utilisées”, commente encore M. Vanhoeck. De l’autre, “en fin de vie, alors que seuls 30 % des textiles sont récupérés, c’est 90 % de ce qui est réutilisable qui est exporté”. Ceci alors que l’Europe, “a un des process les plus avancés au monde pour le recyclage du fil de coton et de cellulose”. “On marche sur la tête ! ”, déplore-t-il.
Pourtant, en recyclant les vêtements qu’elles mettent sur le marché, les marques diminuent leur dépendance tant vis-à-vis des producteurs de matières premières, que du marché des plastiques recyclés – que l’on retrouve dans nos vêtements. “Ce marché est sous pression, particulièrement avec les nouvelles normes européennes”, insiste Cédric Vanhoeck. Celles-ci contraignent les acteurs du secteur textile et du packaging à utiliser des matériaux recyclés, selon des taux variables, dans la conception de nouveaux produits.
En recyclant les vêtements qu’elles mettent sur le marché, les marques diminuent leur dépendance tant vis-à-vis des producteurs de matières premières, que du marché des plastiques recyclés - que l’on retrouve dans nos vêtements.
Le 1er juin dernier, les députés européens ont par ailleurs présenté des propositions de mesures plus strictes afin de mettre un terme à la production et à la consommation excessives de textiles. Le Parlement appelle ainsi les multinationales au devoir de vigilance – le respect des normes environnementales et des droits humains – et ce, tout au long de la chaîne de production.
Pour poursuivre son développement, Resortecs a récemment levé 2.2 millions d’euros (dont un ticket important du fonds d’investissement Finance.Invest Brussels) et a reçu une subvention de la Commission européenne d’une valeur de 2.5 millions d’euros.