Le végétarisme chez la femme enceinte ne s’improvise pas
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Publié le 10-01-2019 à 10h45 - Mis à jour le 12-09-2019 à 12h27
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Le phénomène croissant du végétarisme et du végétalisme inquiète certains diététiciens. En particulier quand cela s’inscrit dans le cadre de la grossesse et de l’allaitement.
Diététicienne-nutritionniste spécialisée en périnatalité (fertilité, grossesse, allaitement), Geneviève Vanbellinghen ne cache pas ses inquiétudes. Depuis quelque temps déjà, elle voit arriver dans sa consultation "de plus en plus de femmes enceintes suivant un régime végétarien ou végétalien, mal équilibré". À tel point qu’elle envisage d’organiser avec d’autres soignants spécialisés un petit congrès pour "alerter les accompagnants de la grossesse à être attentifs vis-à-vis de ces femmes" car "on voit tardivement des états de carences et des séquelles tout à fait évitables par la prévention".
Pourquoi les femmes végétariennes enceintes ou allaitantes courent-elles des risques particuliers ?
La grossesse et l’allaitement constituent des moments où les besoins sont augmentés : au début de la grossesse surtout, notamment en oligo-éléments comme le zinc, et en vitamine B12, principalement d’origine animale. Ils sont indispensables à l’organogenèse, c’est-à-dire la différentiation cellulaire qui mène à la formation des organes du bébé et dure environ trois mois. Cette période très délicate nécessite surtout des oligo-éléments et des vitamines. Les ressources en zinc et en B12 vont différer d’une femme à l’autre, selon son type de régime végétarien - avec ou sans œufs, produits laitiers, poisson… - et la durée : une femme qui est végane depuis quelques années et une autre qui l’est depuis seulement quelques mois n’auront pas les mêmes réserves.
D’autres facteurs influencent-ils le statut nutritionnel ?
Oui, le nombre de grossesses, le fait d’avoir des jumeaux, la durée des allaitements… Il y a donc une grande diversité, à évaluer si possible avant de tomber enceinte, afin de favoriser un bon développement embryonnaire et placentaire dès le début de la conception. Bien que biologiquement omnivores, nous pouvons bien évidemment survivre en étant végétarien ou végétalien, mais la fertilité, la grossesse et l’allaitement exigent protéines, oligo-éléments, minéraux et acides gras polyinsaturés en quantité. Or, une partie de ces éléments proviennent de produits animaux, d’autres des végétaux. Les sources se complètent. Sans aucune source animale, il est difficile d’atteindre les niveaux requis dans ces situations spécifiques.
Que recommandez-vous quand une femme enceinte est ovo-lacto-végétarienne, donc qui mange aussi des œufs et des produits laitiers ?
Si le régime est bien équilibré, ce qui est à objectiver, il y a en général peu de problèmes. Je recommanderais, dans ce cas, un œuf par jour - plutôt le matin - et deux au dernier trimestre. Des produits laitiers à midi et, le soir, l’association végétarienne de base, c’est-à-dire trois quarts de céréales et un quart de légumineuses (lentilles, pois chiches, haricots, fèves, flageolets…). On a ainsi une complémentarité des acides aminés, ce qui signifie que l’on a les acides aminés nécessaires pour fabriquer nos propres protéines autant que si l’on avait mangé du poulet ou toute autre viande. Cette base permettra à une végétarienne de ne pas avoir de grosse carence en protéines.
Et qu’en est-il des végétariennes qui s’autorisent quand même le poisson ?
Le poisson est une bonne source de protéines animales complètes. Si on inclut les petits poissons gras des mers froides, comme les sardines, anchois, maquereaux, flétans…, cela permet d’avoir des acides gras oméga-3, dont le DHA (un acide gras de la famille oméga-3), qui interviennent dans la construction du système nerveux du bébé. Que l’on soit végétarienne ou pas, un des problèmes est la pollution des poissons par les métaux lourds notamment. Aussi, je pense qu’il faut envisager le recours aux compléments alimentaires car il est très difficile d’arriver aux apports en DHA uniquement avec les poissons gras si l’on ne veut pas dépasser les seuils fixés d’un point de vue toxicologique. On se trouve en effet dans une situation complexe. Certains œufs riches en oméga-3 permettent cependant d’atteindre les apports recommandés en DHA.
Quel message essentiel faut-il faire passer à ces femmes végétariennes et végétaliennes qui désirent avoir un enfant ?
De façon générale, devenir ou être végétarien doit se faire avec des conseils et un suivi nutritionnel adéquat. Supprimer les produits animaux doit être compensé de façon précise au quotidien. A fortiori, dans le cadre d’une grossesse pour la santé du bébé mais aussi celle de la maman. Un suivi médical précoce et régulier permet d’assurer à temps le dépistage. Rencontrer une diététicienne permet d’apprendre de nouvelles techniques et de délicieuses recettes. Cette collaboration au projet d’enfant est bénéfique pour la santé de toute la famille, à partager avec plaisir autour de la table !
"Quand une personne végane vient consulter, je sais que la négociation va être très dure"
"Quand une personne végane, c’est-à-dire qui ne veut ni manger ni porter sur elle des produits de l’animal (un pull en laine ou des chaussures en cuir) arrive à la consultation, je sais que la négociation va être très dure, même pour lui faire manger un demi-œuf", nous confie Geneviève Vanbellinghen, diététicienne-nutritionniste spécialisée en périnatalité.
Dans le cadre de la grossesse, le cas des femmes végétaliennes et végans s’avère en effet souvent plus délicat et complexe que celui des femmes végétariennes. D’ailleurs, les autorités de santé déconseillent ce mode alimentaire pendant la grossesse. Alors que, pour l’Office national de l’enfance, "le végétarisme peut être poursuivi sans danger pour la maman et le bébé pendant la grossesse et l’allaitement si certains principes sont respectés comme la consommation en suffisance (3 ou 4 portions par jour) de produits laitiers et d’huiles riches en acides gras oméga 3, l’association des céréales et légumineuses au sein d’un même repas, la consommation de fer d’origine végétale avec des aliments ou des boissons riches en vitamine C afin d’en augmenter l’absorption". En revanche, il n’en va pas de même pour l’alimentation végétalienne.
En effet, l’ONE la déconseille pendant la grossesse et l’allaitement "car le risque de carences nutritionnelles est important". Les femmes végétaliennes doivent pouvoir bénéficier de conseils personnalisés d’un diététicien et/ou d’un médecin, estime encore l’ONE.
"Ces femmes devraient faire l’objet d’un suivi particulier, car elles atteignent très difficilement les apports requis, confirme la diététicienne. Or c’est rarement le cas aujourd’hui… Au cours des mois de grossesse et d’allaitement des symptômes tels que la fatigue importante, une perte de masse musculaire, des déficits de l’immunité et la cicatrisation peuvent se manifester. Il ne faut pas les négliger : la carence en zinc augmente le risque d’hémorragie autour de l’accouchement. Pour les végétaliennes, il faudra recourir à des aliments spécifiques (germes de blé, algues…) et des compléments alimentaires plus complexes pour espérer rencontrer les besoins. Une surveillance par des professionnels formés est indispensable."
Plus encore sans doute pour les végétaliennes et les végans, mais aussi pour les végétariennes. "Chez toutes ces femmes, nous voyons souvent des pertes de masse musculaire, des cas de sarcopénie, notamment au niveau des bras, des jambes, mais aussi du périnée. Des kinés avec lesquels nous travaillons observent des périnées difficiles à rééduquer tant ils sont devenus fins. Il s’avère qu’il s’agit souvent de patientes végétaliennes dont les apports protéiques sont déficitaires. On voit aussi des anémies très importantes, des altérations de la peau, des cheveux, des ongles."
Les recommandations
Bilan préconceptionnel. À la question de savoir quelles sont les principales recommandations qui peuvent être faites aux femmes végétariennes et végétaliennes avec un désir de grossesse, Geneviève Vanbellinghen conseille de "faire un bilan en préconceptionnel pour savoir où elle en est, prendre les bonnes habitudes et si nécessaire donner les vitamines et minéraux requis à temps. Le statut en zinc ou en fer, par exemple, met du temps à se corriger. Parfois des mois. Réalisé en fonction de son cas particulier, de son mode de vie, des maladies ou allergies éventuelles, ce bilan permettra de personnaliser l’alimentation. Idéalement, il faudrait que la femme enceinte soit suivie par une diététicienne au cours de sa grossesse et l’allaitement, conjointement à son médecin et/ou sage-femme".
Allaitement. "Après l’accouchement, ces femmes vont continuer à avoir des déficits nutritionnels très importants, pendant de nombreux mois ou parfois années, poursuit la diététicienne. Un allaitement long va exacerber les déficits notamment en zinc, en protéines, en DHA, qui sont précisément les points critiques chez les végétariennes-végétaliennes. On risque donc d’avoir, à terme, certaines carences en vitamines et en oligo-éléments chez le bébé. C’est pourquoi il est indispensable qu’elles continuent à prendre un complément alimentaire adapté à l’allaitement, qui contient notamment plus de zinc. Il faudra aussi envisager quelle alimentation sera donnée à l’enfant à partir de la diversification alimentaire."