"Des calculs trop rapides", "exagérés" et "anxiogènes sans raison": des experts relativisent le scénario catastrophe de Philippe Devos
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Publié le 03-03-2020 à 08h46 - Mis à jour le 03-03-2020 à 10h13
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Dans une opinion publiée sur son blog personnel (et relayée sur notre site), le Docteur Philippe Devos, président de l'Absym, le plus grand syndicat belge de médecins, a partagé quelques réflexions personnelles sur le coronavirus Covid-19.
Selon lui, "sans mesures de précaution plus drastiques qu'avec la grippe, le risque est d'avoir 850.000 personnes infectées par le coronavirus en Belgique". Sur base de calculs mathématiques, le médecin souligne qu'il n'y aurait dans ce cas pas assez de lits dans les hôpitaux pour faire face à l'épidémie, et que le coronavirus pourrait causer 50.000 morts directs et indirects. "Le scénario du pire", écrit-il. Pour éviter cela, Philippe Devos prie tout un chacun de respecter les mesures d'hygiène élémentaires (se laver souvent les mains, utiliser des mouchoirs jetables ou encore tousser ou éternuer dans son coude). "La priorité absolue est d’éviter d’atteindre ces 850 000 infectés. C’est encore faisable. Cela dépend du comportement adéquat de tous. C’est pour cela que les autorités font un tel tapage médiatique : c’est un peu comme les patrouilles de pompiers dans les forêts de Provence : quand le feu n’est pas parti, on dit qu’ils exagèrent. Si le feu prend, ils seront débordés…"
Même s'il se voulait rassurant en expliquant que "nous n'allions pas tous mourir" et qu'il fallait "arrêter la psychose", son texte a beaucoup fait réagir. Y compris dans le corps médical.
Son confrère, Gilbert Bejjani, président de l'Absym Bruxelles, a ainsi expliqué au Vif avoir envoyé un mail "ce week-end" avec les mêmes chiffres. "Mais j'extrapolais", précise-t-il. "Je trouve que le chiffre de 850.000 est exagéré parce que quand la personne est malade les gens prennent des précautions autour d'elle. De plus, la ligne du temps fait que les malades ne le seront pas en même temps." "Nous pouvons également mobiliser plus de lits que les lits aigus (ndlr : réservés aux hospitalisations qui ne concernent pas les maladies chroniques, c'est-à-dire la chirurgie, la médecine interne, la gériatrie, la pédiatrie, les accouchements)", assure-t-il.
Pour Steven Van Gucht, le "Monsieur Coronavirus belge", "les gens, et en particulier les médecins, devraient réfléchir à deux fois avant de diffuser ce genre de choses". Le virologue affirme à Het Nieuwsblad que Philippe Devos a fait "des calculs rapides qui ne sont utiles à personne". "Ils ne marchent pas d'un point de vue épidémiologique, d'autant plus que l'on connaît bien mieux la grippe saisonnière que le coronavirus. Nous avons une bonne approche. Restez chez vous si vous êtes malades, lavez-vous bien les mains et ne rendez pas visite aux grands-parents si vous ne vous sentez pas bien." Il poursuit en expliquant que le comité scientifique Coronavirus qu'il préside, a lui aussi établi un scénario catastrophe en Belgique, sur base de ce qu'il s'est passé à Hubei, la province chinoise où est né le Covid-19. "Sur une période de 9 semaines, nous arrivons à 13.000 cas avec 2.500 nécessitant une hospitalisation. Quelques centaines de personnes mourraient, ce qui est comparable à une grippe saisonnière", conclut le spécialiste.
Sophie Quoilin, cheffe de service Épidémiologie des maladies infectieuses chez Sciensano, l'Institut scientifique de santé publique, reconnaît qu'"une des choses que l'on craint est que notre capacité hospitalière soit dépassée". Mais elle tempère en expliquant que les chiffres avancés par le président de l'Absym restent des "spéculations". "C'est un exercice", résume-t-elle. "Se lancer dans de tels calculs est anxiogène sans raison, car il y a encore beaucoup trop d'inconnues et d'hypothèses dans un tel modèle". La spécialiste rappelle qu'en passant en "phase 2", la Belgique a déjà pris des mesures pour empêcher la diffusion du coronavirus. "En recherchant les personnes qui ont été en contact avec les malades, on souhaite qu'il y ait le moins de malades possibles. On s'assure aussi que notre capacité hospitalière restera performante pour les patients qui en ont besoin".