Des expatriés nous expliquent la recette de Singapour et de la Corée du Sud pour contenir le coronavirus
Publié le 18-03-2020 à 12h30 - Mis à jour le 20-03-2020 à 12h54
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La Corée du Sud et Singapour sont cités en exemple dans leur gestion de l’épidémie. Leurs gouvernements ont mieux réagi que leurs homologues occidentaux. Mais ils ont des atouts que l’Europe et la Belgique n’ont pas.
Plusieurs Etats asiatiques, voisins de la Chine, ont contenu l’épidémie du coronavirus. Au point que certains voudraient y voir des modèles pour l'Europe et la Belgique. Singapour, 6 millions d’habitants, n’a enregistré que 243 cas positifs et aucun décès, à la date du 16 mars. La Corée du Sud, 51 millions d’habitants, affronte une épidémie plus large : 8236 contaminés, dont 1137 sont guéris. Le bilan, mardi, était de 75 morts. Mais le virus semble jugulé : depuis le 13 mars, le nombre quotidien de guérisons dépasse celui des nouvelles infections.
Si des leçons peuvent être tirées en Belgique, pour l’avenir, elles concernent une meilleure anticipation par les autorités (kits de dépistage, contrôles préventifs, quarantaine ciblée, plans de réaction préétablis) mais aussi dans l’immédiat : un civisme accru et renforcé de la population. Ces Etats ont évité confinement et pénuries de produits nécessaires (masques, gel hydroalcoolique) parce que les citoyens ont écouté et respecté les directives des autorités publiques et sanitaires dès le début. Mais sur d’autres points, certaines spécificités géographiques et sociales ont aussi aidé ces Etats, tout comme Hong Kong et Taiwan, qui ont aussi des taux d’infection et de décès très bas, malgré leur proximité et leurs échanges avec la Chine.
Natascha Muth est une créatrice belge qui vit à Singapour depuis 2018, où elle a lancé la société ELNA Design. Clément Charles est un expatrié français qui vit en Corée du Sud depuis 2007, où il travaille pour la radio internationale de la chaîne KBS (Korean Broadcasting System) et gère la page Facebook Bienvenue en Corée du Sud. Ils témoignent pour nous de la gestion de la crise par les autorités locales.
Anticipation et communication
L’anticipation a été renforcée parce que tous ces pays ont affronté l’épidémie du SARS en 2003. A Singapour, "elle a laissé des traces. Il y a eu 238 cas et 33 morts suite au SARS", souligne Natascha Muth. "Le gouvernement a créé un groupe WhatsApp, qui envoie deux à trois messages par jour et une page Facebook pour faire taire les fausses rumeurs et informer des mesures à prendre." La communication des autorités politiques et sanitaires est quotidienne, claire et ferme. Transparente, aussi.
Tests en voiture et SMS
En Corée du Sud, explique Clément Charles, "ils ont mis en place, un peu comme au MacDo, le "drive-through testing" : il suffit de rester dans sa voiture. On remplit un questionnaire d'abord, puis on subit un test naso-pharyngé avant de recevoir un message un peu plus tard par SMS pour avoir le résultat. Les autorités ont réalisé beaucoup de tests : 20 000 par jour. Même des personnes qui avaient de légers symptômes ont fait le test. Ça a été assez rapide de voir qui étaient les personnes infectées, quels étaient les cas graves et les autres. Ils ont été assez réactifs comme ils le sont toujours." A Singapour, les résultats d’un test de dépistage sont disponibles en deux heures. Et les tests sont gratuits pour les résidents. Dans les deux pays, des agents prennent la température à l’entrée des entreprises avec des thermomètres frontaux.

Masques rationnés mais disponibles
En Corée, "les autorités ont effectué un rationnement. En fonction de son année de naissance, on peut aller dans une pharmacie à un jour précis pour aller récupérer deux masques par semaine. Une plateforme a été mise en place dans le but de savoir, en temps réel, le stock de masques qu'il reste. Cet aspect technologique fonctionne bien." Taiwan applique la même méthode.
A Singapour, "il y a eu une brève pénurie de masques et de gel hydroalcoolique dans les magasins à l'annonce du niveau Orange", relève Natascha Muth. Mais depuis, il n'y a "aucune rupture de stock dans les hôpitaux. Ils ont distribué des masques a tous les habitants." Et la plupart des gens ne les portent pas : "le gouvernement a répété que les masques sont inutiles sauf si on est soi-même malade pour protéger les autres." Contrairement à chez nous, les citoyens suivent ce message.
Traçage des personnes infectées
"Les Coréens sont très connectés", précise Clément Charles. "Lorsqu'il y a un typhon, un tremblement de terre ou autre, nous sommes alertés sur notre téléphone. Ils ont fait pareil avec l'épidémie de coronavirus. Il y a trois jours, j'ai reçu une alerte m'indiquant qu'une Française avait été contaminée près de chez moi. Dès qu'une personne est repérée, ils remontent son historique, Elle a pris tel bus à telle heure, est allée dans tel magasin, qui elle a rencontré... Ensuite, ils avertissent tout le monde."
Même traçage à Singapour. "Il y a des caméras partout pour des raisons de sécurité et de contrôle de sa population" précise Natascha Muth. "Il y a un site avec tous les cas répertoriés, leur origine et leur description. Nous avons le cas d'un couple dans notre immeuble. Le ministère de la Santé a envoyé une équipe pour la désinfection des espaces communs et la mise en quarantaine de ce couple." En Corée du Sud, des caméras thermiques permettent d’identifier les personnes atteintes de fièvre.
Et la vie privée ? En Corée, Etat toujours virtuellement en guerre avec son voisin du nord, "ils s'en moquent un peu" commente Clément Charles. A Singapour, la loi sur les maladies infectieuses (Infectious Diseases Act) fait primer le bien commun sur les libertés individuelles.
Discipline, respect et entraide
"Les Coréens vivent en groupe, s'entraident. Certains propriétaires ont baissé de moitié les loyers des commerces présents dans leur bâtiment pour les aider à faire face à cette crise. Ils sont tous ensemble dans le même bateau et ça joue. Ils sont beaucoup plus disciplinés [que les Français ou les Belges]. S'il y a des problèmes, des critiques seront émises par après mais pour l’instant, on obéit. Il y a un respect de l'autre, on fait attention aux autres."
Même civisme à Singapour : "Les habitants sont disciplinés. Ici, on respecte les règles, les agents de police et les forces de l’ordre." Tout écart est sévèrement sanctionné.
Contrôles des voyageurs
"Au fur et à mesure, les contrôles ont été renforcés à l'aéroport pour Hong Kong, Macao... Les arrivants devaient répondre à un questionnaire, indiquer leurs adresses d'hébergement, leur température était prise…)." Les mesures de contrôle des voyageurs sont très strictes à Singapour, comme l’explique Natascha Muth. "Ne pas mentionner un voyage ou un contact à risque, c’est retour chez soi pour les expatriés, et des conséquences graves pour les Singapouriens. Mentir ou mettre les autres en danger : c’est risquer d’être renvoyé chez soi (toute la famille) et d'être banni du territoire pour un expatrié. Il y a des cas depuis le début de l'épidémie."
Des recettes non transposables en Belgique
La distanciation sociale et l’hygiène sanitaire collective sont bien ancrées dans la culture de ces pays : "Les Coréens ne font ni bise, ni accolade et ils se serrent rarement la main. Tout le monde est habitué à porter un masque, à utiliser un gel hydroalcoolique. On a l'habitude de se laver les mains."
Il y a aussi les réalités géographiques. "Singapour est une île, c’est beaucoup plus facile de gérer les entrées et les sorties." C’est aussi le cas de Taiwan. La Corée du Sud est une péninsule qui n’a qu’une seule frontière terrestre, sécurisée, avec la Corée du Nord. Hong Kong, ancienne colonie britannique, est une péninsule, qui demeure une région administrative spéciale, avec une seule frontière terrestre, avec la Chine.