"Il faut rouvrir les écoles, le confinement peut entraîner de très gros troubles du comportement chez les enfants"
Catherine Gueguen est une pédiatre à la retraite qui s'est imposée, en France, comme une référence dans le domaine de l'"éducation bienveillante".
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- Publié le 19-04-2020 à 16h59
- Mis à jour le 14-05-2020 à 16h50
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Catherine Gueguen est une pédiatre à la retraite qui s'est imposée, en France, comme une référence dans le domaine de l'"éducation bienveillante". Spécialiste des interactions et relations affectives et de la communication non violente, cette médecin de 70 ans donne désormais des formations et des conférences pour les professionnels de l’enfance et de l’adolescence sur l’accompagnement des adultes dans leur relation à l’enfant à la lumière des neurosciences affectives et sociales. En cette période de confinement, elle adopte une position tranchée en faveur de la réouverture rapide des écoles. Interview.
Pourquoi plaidez-vous pour une réouverture des écoles ?
Le confinement creuse beaucoup les inégalités entre enfants. Certaines familles vivent dans des conditions sociales et financières très difficiles qui augmentent le stress, les violences à l'égard des enfants. Certains jeunes, qui mangeaient pour pas cher à la cantine, n'ont même plus de repas normaux. Ensuite, l'école à la maison n'est pas possible dans toutes les familles car certaines n'ont pas internet ou un ordinateur. Il arrive aussi que des parents parlent mal français et ne savent donc pas aider les enfants à travailler.
Le confinement a-t-il un effet sur le moral des enfants ?
Quand les parents sont très stressés ou que les enfants ont déjà des fragilités psychologiques, le confinement peut entraîner de très gros troubles du comportement : anxiété, dépression, agressivité. Il faut essayer de ne pas contaminer les enfants avec nos angoisses. Ils sont très précieux mais très fragiles, ils ont besoin d'être rassurés. Ils doivent retrouver la vie la plus normale possible, dans la joie, avec leurs copains, leur maîtresse. Ils ont besoin d'apprendre, à l'école, dans une ambiance sans stress.
En milieu scolaire, les enfants risquent de se contaminer entre eux et de transmettre le virus à leur entourage !
Au départ, les épidémiologistes ont pris la grippe comme modèle, pensant que les enfants étaient des réservoirs à virus et donc d'importants transmetteurs. Même s'il demeure beaucoup d'inconnues, cela se révèle faux. Les enfants sont même beaucoup moins porteurs que les adultes. Ce serait les adultes qui contamineraient les enfants, et non l'inverse. En outre, on sait que ce virus est bénin chez les enfants. Les formes graves chez eux restent tout à fait exceptionnelles. Les hospitalisations des enfants malades du Covid ont été très courtes et la grande majorité de ces enfants hospitalisés avaient des pathologies préexistantes. Il faut le marteler ! Empêcher les enfants et les adultes jeunes de vivre normalement entraîne une psychose.
Bon nombre d'épidémiologistes, en tout cas en Belgique, continuent de recommander un confinement strict, y compris pour les enfants...
En France, les épidémiologistes expliquent que le confinement a permis de ralentir l'épidémie et d'éviter une grande saturation des hôpitaux, à cause notamment du manque de masques, de tests... Maintenant que le confinement commence à avoir des effets positifs, on peut relâcher la pression sans problème.
Comment convaincre les parents de la nécessite d'un retour scolaire ?
La communication jusqu'à présent a complètement stressé les adultes. Il faut changer de discours et rassurer. Evidemment, il y a toujours des exceptions aux généralités en médecine, mais la grande majorité des formes graves de coronavirus concernent les personnes âgées et malades. Les autres peuvent tomber malades, être secoués, mais ils ne risquent rien, leur vie n'est pas en danger.
Les parents ne sont pas les seuls à convaincre. Les professeurs sont aussi très frileux...
Oui, ils sont extrêmement anxieux à l'idée de reprendre l'école, ils ont peur pour eux-mêmes. Or, un enseignant jeune ne risque rien, il peut juste se sentir mal quelques jours. Par contre, il faudrait que les enseignants âgés ou qui présentent des pathologies à risques (obésité, diabète, hypertension...) ne reprennent pas le travail et restent confinés tant que l'épidémie est très active. Je suis admirative du modèle danois, qui a rouvert une partie de ses école. Les enseignants y accueillent les enfants et les parents sans masques. Il faut expérimenter et, si le test ne convient pas, on reviendra en arrière.
Dans votre modèle, les enfants de parents en mauvaise santé doivent-ils aussi éviter d'aller à l'école ?
Oui, tant les enfants de parents malades que de pères âgés. Cela pose un problème de discrimination, c'est sûr... Mais c'est aux politiques de définir les règles.
Votre raisonnement s'applique à toutes les tranches d'âges ?
Il y a peu d'études sur les enfants, mais on sait qu'en dessous de 14 ans, les cas graves sont rarissimes. Au-dessus de 14 ans, ils augmentent un tout petit peu. Seuls 1% des enfants détectés malades sont hospitalisés. Ils doivent donc tous, des plus petits aux plus grands, retourner à l'école.
Dans votre schéma, on gomme les mesures de distanciation sociale et les gestes barrières à l'école ?
Au Danemark, ils demandent aux enfants de se laver les mains toutes les deux heures. Cela risque d'engendrer ensuite des troubles obsessionnels. J'espère qu'on ne mettra pas de masques aux enfants, qu'on les laissera jouer dans la cour de récréation. C'est dramatique qu'ils ne puissent plus se toucher en jouant. Ils ne doivent pas non plus percevoir le stress des enseignants...