Catherine Linard : "Il va falloir redoubler d'efforts pour garder le contrôle de l'épidémie"
"On savait que la rentrée serait un moment délicat, et c’est le cas. On s’y attendait donc, mais cette hausse est assez rapide. Je m’attendais à ce que cela se passe de façon plus tardive et plus progressive. Et cette hausse se voit aussi dans les hospitalisations", souligne l'épidémiologiste de l'Université de Namur, Catherine Linard.
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- Publié le 14-09-2020 à 16h28
- Mis à jour le 14-09-2020 à 16h53
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Dans notre pays, le nombre moyen de patients admis à l’hôpital pour un Covid-19 est passé à 30,3 par jour entre les 7 et le 13 septembre, a indiqué lundi l’Institut de santé publique Sciensano. Cela représente une hausse de 78 % par rapport à la période de sept jours précédente. Quant au nombre moyen de contaminations au coronavirus, il est de 680,6 par jour pour la période comprise entre le 4 et le 10 septembre, soit une hausse de 42 % par rapport à la période de sept jours précédente (les données des trois derniers jours doivent encore être consolidées). Le taux de reproduction (Rt), qui estime le nombre de personnes qu’un individu infecté va contaminer, est désormais supérieur à 1 dans toutes les provinces. Sciensano rappelle qu’une épidémie devrait se poursuivre si le Rt a une valeur supérieure à 1 et diminuer si le Rt est inférieur à ce taux. Au niveau national, il est estimé à 1,463 pour la période du 7 au 13 septembre.
Lundi, le taux de reproduction de la province de Namur est passé à 1,133, alors que dimanche, il était à 0,974. L’estimation médiane du taux de reproduction est actuellement la plus élevée en Flandre occidentale, avec 1,598. Les estimations du taux de reproduction par province sont basées sur le nombre de nouveaux cas diagnostiqués par des tests de laboratoire.
“Le taux approche 1, 5 dans le pays, ce n’est pas anodin. La hausse est aussi généralisée sur l’ensemble des régions, souligne l’épidémiologiste Catherine Linard (Université de Namur). On savait que la rentrée serait un moment délicat, et c’est le cas. On s’y attendait donc, mais cette hausse est assez rapide. Je m’attendais à ce que cela se passe de façon plus tardive et plus progressive. Et cette hausse se voit aussi dans les hospitalisations (les décès, eux, ne se voient que plusieurs semaines après les contaminations). Il va falloir redoubler d’efforts pour garder l’épidémie sous contrôle.” Jusqu’à quand peut-on laisser les chiffres monter ? En d’autres termes, quand faut-il exercer ces efforts “Au plus tôt au mieux. Plus tôt on fera les efforts, plus vite il y aura un impact sur l’épidémie. Si on attend une semaine, les efforts seront les mêmes, mais si on les prend maintenant, le niveau d’hospitalisations et de décès sera plus faible…” Déterminer quelles mesures prendre est cependant une question sensible : “La situation est très difficile, on va devoir obliger à prendre des mesures, or la population en a marre… Et il faut garder l’adhésion de celle-ci aux mesures, sinon, cela ne fonctionne pas ! C’est une situation très délicate.”
Délicat pour les politiques
En France, mercredi, le président du conseil scientifique, Jean-François Delfraissy, avait annoncé que le gouvernement allait “être obligé de prendre un certain nombre de décisions difficiles”, “dans les huit à dix jours maximum”, face à la recrudescence de l’épidémie. Finalement, le Premier ministre Jean Castex soucieux de ne pas aggraver la crise économique, n’avait pas annoncé de mesures contraignantes mais “fait appel au sens des responsabilités” tout en reconnaissant “la dégradation manifeste” de la situation épidémiologique. En Belgique, après plus d’une semaine de hausse des cas quotidiens, le conseil national de sécurité ne sera pas avancé : il aura bien lieu la semaine prochaine comme prévu en août. Les autorités publiques hésitent-elles à prendre des mesures difficiles, davantage qu’à d’autres moments de l’épidémie, comme fin juillet par exemple ?
“C'est possible, effectivement, répond Catherine Linard. C’est très difficile pour les politiques de prendre des mesures quand le ras-le-bol de la population est généralisé. Encore une fois, il faut garder son adhésion...” Pour l’épidémiologiste, il y a cependant encore plusieurs “curseurs” sur lesquels on peut jouer : “dans les relations entre collègues, il y a moyen de limiter les contacts. Une possibilité est de rendre le masque, si pas obligatoire, fortement recommandé, dans les entreprises. Il faut aussi continuer à enfoncer le clou sur la distanciation sociale, car si tout le monde respecte les mesures, cela fonctionne, on l’a vu au mois de juin ! Une leçon à tirer des mois précédents serait également de réinciter au télétravail, qui semble moins automatique qu'il y a quelques mois. Une autre possibilité, encore, est de passer au scénario orange dans les écoles (pour l’instant nous sommes au scénario jaune) qui implique moins de présentiel dans les établissements scolaires.” Quant aux masques dans les écoles secondaires, on assiste “à des incohérences avec le port obligatoire dans les classes, mais pas à la récré”, par exemple. La population, conseille enfin le Pr Linard, doit continuer à s’habituer à vivre avec les gestes-barrières et à limiter ses contacts rapprochés. "Les derniers mois nous ont montré que nous pouvions contrôler l'épidémie grâce aux mesures prises. Le grand enjeu est surtout de bien communiquer sur l'objectif et la raison d'être de ces mesures."
“Il y a un problème”
De son côté, le virologue Steven Van Gucht estime qu'il n'est pas réaliste que les chiffres de la pandémie chutent dans les semaines à venir, a-t-il dit lundi dans VRT NWS. "Il faut maintenant surtout s'assurer qu'ils n'augmentent pas trop, ni trop vite", affirme-t-il. Le nombre d'infections et d'hospitalisations a fortement augmenté ces derniers jours. Alors que l'automne approche et que les gens sont de moins en moins motivés à suivre les règles, il semble irréaliste que les chiffres baissent dans un proche avenir. "Ce sera vraiment très difficile", dit M. Van Gucht. "Il faut maintenant surtout faire en sorte que l'augmentation ne devienne pas trop importante, pour que les hôpitaux puissent encore suivre. Il faut absolument essayer d'éviter un scénario comme à Marseille. Les chiffres doivent se stabiliser, une diminution serait bien, mais cela ne me semble pas réaliste". Steven Van Gucht souligne une fois de plus l'importance des règles à respecter. "Le virus circule effectivement plus qu'en juin ou juillet. Les mesures actuellement en place ont prouvé leur effet. Mais ce que nous voyons maintenant, c'est que les gens, par exemple, font du sport et adhèrent initialement aux règles. Mais une fois l'activité terminée, ils se retrouvent entre amis et oublient ces règles. C'est précisément à ce moment que se produisent les infections. Donc, continuons à maintenir les distances".
Enfin, l’infectiologue Erika Vlieghe (Université d’Anvers) avertissait lundi matin sur Radio 1 : “Nous devons admettre qu’il y a un problème”. Certes, le nombre de tests a augmenté mais ce n’est pas la seule explicaton au nombre de cas de Covid-19 dans notre pays, qui augmente indéniablement. “Nous ne pouvons évidemment pas comparer la situation actuelle à celle du mois de mars. Aujourd’hui, nous pouvons réagir beaucoup plus rapidement et nous avons une meilleure vision de la situation. Mais en même temps, nous ne pouvons pas minimiser le danger. Dire qu’il y a encore très peu d’hospitalisations et de décès, et donc regarder tout cela dans l’autre sens, c’est très dangereux.” Pour elle, nier le problème se répercute inévitablement sur la sphère privée puisque les gens auront tendance à ne plus respecter les mesures. “En disant qu’il faut repenser la bulle de 5, le problème est minimisé. Vous pouvez continuer à voir des gens, mais à l’extérieur et avec distance. Il est préférable de limiter ses contacts étroits à cinq, même si cela s’apparente à un défi de le respecter.”