Ces anomalies génétiques silencieuses "réveillées" par le coronavirus
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Publié le 29-09-2020 à 10h56 - Mis à jour le 06-10-2020 à 15h13
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"J’ai vu plus d’un patient qui n’avait aucune raison de faire une forme sévère du Covid-19. Si ce n’est parce qu’ils avaient une prédisposition génétique à réagir comme cela", nous disait le responsable des soins intensifs aux cliniques Saint-Luc Pierre-François Laterre, début juillet, après avoir accueilli un total de 70 patients dans son USI. On sait en effet que la grande majorité des malades graves du Covid-19 sont des patients âgés qui souffrent de maladies sous-jacentes diverses (maladies cardiovasculaires et pulmonaires, hypertension, diabète…). Mais quid du reste ? Ces personnes jeunes, en bonne santé, sans excès de poids, qui malgré tout arrivent en soins intensifs ? "Quelqu’un qui pouvait courir le marathon en octobre 2019 et qui en avril 2020 est en réanimation, intubé et ventilé", évoquait en mai le Pr Jean-Laurent Casanova, qui s’intéresse donc à ces "4 à 5 % restants", cas graves restés en quelque sorte inexpliqués. "L’hypothèse est que ces malades ont des variations génétiques qui sont silencieuses jusqu’au moment de la rencontre du virus", poursuivait le codirecteur du laboratoire de génétique humaine des maladies infectieuses, basé à Paris et à New York.
Le Pr Casanova a lancé au début de la pandémie le "Covid human genetic effort", qui a recruté des patients en Chine, en Iran, en Amérique du Nord ou encore en Belgique. Leur sang est prélevé, leur ADN séquencé et ces séquences sont analysées, en sélectionnant des variations génétiques candidates, pour les incriminer ou les innocenter.
Cinq mois plus tard, les résultats commencent à être connus. Ce consortium de chercheurs a publié la première étude, selon Science, à établir un lien indiscutable entre des mutations génétiques pathogènes et des cas sévères de Covid-19.
L’équipe a analysé l’ADN de 654 patients sévères "inexpliqués" (comparés à 534 patients peu ou asymptomatiques) en se focalisant sur 13 gènes impliqués dans une voie de la réponse immunitaire qui pouvait influencer la sévérité d’un Covid-19. Ces 13 gènes étaient déjà connus pour être impliqués dans des formes sévères de grippe.
Quel que soit leur âge, les personnes porteuses de variants pathogènes rares au niveau de ces 13 gènes seraient plus à risque de développer une forme potentiellement mortelle de Covid-19 (et/ou de grippe). Plus précisément, ces variants génétiques rares diminuent la production et/ou la réponse des "interférons", des puissantes molécules antivirales. Ces interférons ou IFN, de type 1, sont considérés comme la première ligne de défense contre l’attaque virale.
Le sommet de l’iceberg
Ceci pourrait expliquer 3 à 4 % des formes graves de Covid. "Au moins" 3 à 4 %, souligne l’étude, car seuls 24 de la centaine de variants des 13 gènes trouvés chez les patients sévères ont pu être testés formellement et donc prouvés pathogènes.
Ces variants et gènes pourraient n’être "que le sommet de l’iceberg", juge l’expert Paul Hertzog dans Science ; d’autres mutations pourraient influencer la sévérité d’un cas Covid.
"Tout à fait, confirme la Pr Isabelle Migeotte, du Centre de génétique humaine à Érasme (ULB), qui a participé à l’étude. Cette étude s’est focalisée sur une série de gènes qui sont dans la voie de l’interféron de type I. Il y a d’autres recherches, à la fois dans ce consortium et dans d’autres laboratoires, qui mènent des études génétiques (...). Il y aura certainement des résultats génétiques qui pointeront vers d’autres voies. Il paraît vraisemblable que l’on trouvera davantage de choses." Dans quels types de gènes ? "Ce qui est regardé en priorité, c’est le système immunitaire, qui est énorme. Le plus plausible, c’est qu’on trouve d’autres anomalies génétiques qui soient liées à des molécules du système immunitaire."
Traitements possibles
Sur l’ensemble des cas graves du Covid, à côté de ceux liés à une comorbidité (hypertension, âge…), les cas liés à la génétique resteront "une minorité", estime Isabelle Migeotte. "On peut affirmer sans aucun doute que chez les patients graves ‘inexpliqués’ (jeunes, en bonne santé, sans excès de poids) on va trouver davantage de causes génétiques. Mais aujourd’hui on ne peut pas donner de pourcentage."
Autre avantage : mieux connaître les spécificités génétiques des patients Covid peut conduire à trouver ou donner de meilleurs traitements. Ainsi, dans le cas des patients avec les variantes génétiques qui "bloquent" les interférons, la prise précoce d’IFN de type 1 pourrait être une piste. "Chez des patients chez qui le Covid prend des proportions inattendues ou semble difficile à contrôler, il y aurait un intérêt à mesurer les taux d’interférons de type I et probablement d’autres molécules du système immunitaire, poursuit Isabelle Migeotte. Chez des patients qui ont des taux bas et pas d’auto-anticorps (les résultats de l’étude génétique ont permis d’en mener une seconde, qui a déterminé que 10 % des patients Covid sévères avaient une pathologie auto-immunitaire et produisaient des auto-anticorps bloquant les interférons, NdlR), il est très probable que donner des interférons sera utile." Une série d’études où l’on donne des interférons à des patients ciblés sont d’ailleurs en cours.